Au cours des dernières décennies, le débit des rivières s’est radicalement transformé. En voulant en comprendre les raisons, une équipe de recherche internationale dirigée par l’ETH Zurich a fait une découverte majeure. Le changement climatique est responsable d’un bouleversement sans précédent du cycle de l’eau dans le monde entier, influant sur le débit des rivières, de façon plus forte que la gestion de l’eau et des terres. Selon la région et la période de l’année, la quantité d’eau dans les rivières va donc différer en fonction des variations de température, et entraîner davantage d’inondations ou de sécheresses.
Dans un article du 12 Mars 2021, la revue américaine Science – véritable interface des découvertes de nombreux champs de recherche – a rapporté une découverte permettant de modéliser fidèlement les changements passés et à venir du débit des rivières autour du monde. Comment s’y sont pris les chercheurs ? En prenant en compte l’impact des gaz à effets de serre d’origine humaine sur ces flux.
Jusque-là, la question de prédire fidèlement les changements mondiaux dans le débit des rivières restait une énigme pour les chercheurs et une impossibilité technique. C’est un laboratoire de l’ETH Zurich qui s’est attelé à résoudre ce problème.
L’université résume dans cet article le déroulement de leur recherche. Il a d’abord fallu réunir les données de 7.250 stations de mesure des débits de rivières autour du monde. A partir de là, le laboratoire a pu établir qu’entre 1971 et 2010, certaines zones se sont globalement asséchées, tandis que d’autres ont vu leur débit d’eau gonfler.
Certaines régions comme la Méditerranée et le nord-est du Brésil sont ainsi devenues plus sèches, tandis qu’ailleurs, le volume d’eau a augmenté, comme en Scandinavie. En France, environ 40 % du volume de précipitations est disponible pour les cours d’eau et les nappes souterraines. Le volume des précipitations et des pluies « efficaces » varie fortement selon les années, avec plus de 60 % d’années déficitaires depuis 1990.
Une des hypothèses explicatives de ces changements postulait que les politiques locales puissent être à l’origine de ces tendances.
« Par exemple, l’eau est détournée pour l’irrigation ou régulée par des réservoirs, ou [lorsque] des forêts sont défrichées et remplacées par des monocultures. ».
Mais la mise à l’épreuve de cette hypothèse n’a pas été concluante : si au niveau local, ces mesures ont indéniablement un impact, ce ne sont pas elles qui expliquent les tendances globales mesurées par le laboratoire.
« Pour nous, il ne s’agissait pas de tendances locales, mais de changements globaux qui deviennent visibles sur des périodes plus longues. » commente à ce sujet Mr. Gudmundsson, chercheur interrogé par l’université.
L’autre hypothèse suggérait que ces changements soient le résultat de l’impact humain sur son environnement. Pour l’évaluer, les chercheurs ont modélisé le développement du cours des rivières de deux façons : une première fois sans prendre en compte les conséquences connues du gaz à effet de serre d’origine humaine, une deuxième fois en prenant en compte ces paramètres.
Les résultats furent unanimes : le premier modèle passait totalement à côté des développements observés, tandis que le deuxième fournissait une modélisation fidèle aux données réelles.
De tels résultats fournissent non seulement un modèle capable d’expliquer pourquoi le débit mondial des rivières a changé au long des quarante dernières années, mais surtout un modèle capable de proposer des prévisions quant aux changements auxquels il faut s’attendre pour les années à venir.
La France est de plus en plus confrontée à des disputes et désaccords concernant la ressource en eau. Chaque été, certaines communes doivent désormais être ravitaillées en camion-citerne pour que les habitants aient de l’eau chez eux.
90 départements ont fait face à des cours d’eau en situation d’assèchement de fin mai à fin septembre 2019, causant des restrictions d’eau pour plus de 67% du territoire français.
Selon Météo France : « Ces événements de sécheresse à répétition sont bien en partie liés au changement climatique. La hausse des températures induit une évapotranspiration plus importante de la végétation et donc un assèchement des sols. Cette évolution est déjà constatée sur la majorité des régions françaises et va continuer de s’aggraver dans les prochaines décennies. »
Résultat : la sécheresse annuelle des nappes phréatiques a été plus longue et plus étendue que la moyenne neuf fois en 20 ans dans le pays : trois fois sur la décennie 2000-2009 et six fois sur la décennie 2010-2019.
Le système de modélisation trouvé par les chercheurs est donc un outil crucial pour avertir les habitants de chaque localisation des transformations que vont subir leurs sources d’approvisionnement en eau, et leur permettre d’adapter leurs infrastructures à ces défis – pour peu que l’action politique prenne ces défis au sérieux, et soit capable d’y faire quelque chose.