Les vignerons de Châteauneuf-du-Pape, où est produit l’un des fleurons de la viticulture française, luttent contre l’accroissement constant des carrières de calcaire qui grignotent le massif du Lampourdier. À terme, plusieurs dizaines d’hectares supplémentaires pourraient être consommés, modifiant profondément le relief du massif et compromettant le micro-climat de l’appellation.
Le massif du Lampourdier, menacé par les carrières
S’élevant en bordure du Rhône, à cheval entre les communes d’Orange et de Châteauneuf-du-Pape, le massif du Lampourdier est le dernier poumon de ce territoire du Vaucluse connu pour ses vignobles et ses petits villages. Pourtant, attaqué de toutes parts, il pourrait être amené à disparaître.
En quelques décennies, des carrières de calcaire ont littéralement éventré 80 des 450 hectares que compte le massif, afin d’en extraire la roche qui, transformée en granulats, nourrit l’appétit insatiable des cimenteries.
Et là où les machines sont passées, il n’y a plus âme qui vive, la faune et la flore sont éradiquées pour toujours, du moins dans une temporalité humaine.
Trois entreprises se partagent les quatre morceaux des carrières du Lampourdier. L’une d’entre elles, la société Delorme, basée à Pernes-les-Fontaines, est parvenue le 31 janvier dernier au terme de son permis d’exploitation, dont elle demande le renouvellement pour trente ans.
Mais dans le dossier de mille pages qu’elle a déposé à la préfecture de Vaucluse en août 2019, elle ne se cantonne pas aux quelque 20 hectares qu’elle exploite aujourd’hui. Désireuse de mettre à profit les ressources minérales qui attendent encore sous les arbres, Delorme demande l’autorisation de défricher 3,3 hectares supplémentaires, sur un terrain du nord-est du massif qui serait du même coup voué à perdre son caractère naturel.
À la suite d’une enquête publique menée d’août à septembre 2020, le commissaire enquêteur s’est déclaré favorable à la demande de la société Delorme, justifiée selon lui « pour une durée minimale de 25 ans », à condition que les nuisances des chantiers soient réduites et des mesures de compensation au défrichage effectuées.
Seulement, le 19 janvier dernier, à la surprise générale, le préfet de Vaucluse a décidé de reporter de trois mois la publication de sa décision finale, le temps, expliquent les services de l’État, d’examiner « l’ensemble des composantes relatives au dossier ». Y aurait-il un rapport avec l’opposition croissante des viticulteurs ?
À Châteauneuf-du-Pape, ceux-ci se sont mis sur le pied de guerre. D’un commun accord, ils réclament une gestion économe et durable de la ressource calcaire. Les syndicats agricoles, l’organisme de défense et de gestion (ODG) de l’appellation, des exploitants indépendants et des riverains mènent ainsi une fronde contre le projet et tentent de sensibiliser la population aux dégâts méconnus de l’extraction rocheuse.
Le combat des vignerons pour sauver le micro-climat local
Les inquiétudes des vignerons portent sur un ensemble de facteurs croisés qui risquent non seulement de détruire la spécificité viticole de la région, mais aussi saper les efforts des agriculteurs pour assurer la transition écologique locale.
« Voilà des années que les carriers ont profité de plusieurs extensions, nous explique Victor Coulon, président du syndicat des Jeunes Agriculteurs de Châteauneuf-du-Pape et porte-parole du collectif Lampourdier en danger. Nous avons milité pour qu’ils acheminent les pierres par le Rhône, pour que les camions soient bâchés, pour qu’il y ait des replantations après l’exploitation, mais toutes ces demandes sont restées des vœux pieux. Nous ne sommes pas écoutés. »
S’inspirant d’un défi de l’Agence de l’eau régionale, l’appellation Châteauneuf-du-Pape se lance dans un « marathon de la biodiversité », qui consistera à planter 42 kilomètres de haies dans les années à venir, afin de recomposer les bocages, ces « infrastructures agro-écologiques » essentielles à la faune et la flore.
En parallèle, les jeunes vignerons se sont engagés dans « un profond mouvement de conversion de leurs vignobles en agriculture durable », comme l’indique le collectif, en hâtant la mutualisation des pratiques vertueuses déjà développées au sein du terroir. Des initiatives naissent çà et là, comme l’installation d’un réseau de douze stations météorologiques qui permettront de mieux connaître le climat du territoire.
C’est dans ce contexte qu’intervient l’extension de la carrière. Pour Victor Coulon, dont le domaine est depuis dix ans converti au biologique, il paraît complètement illogique qu’on défriche le massif.
« Le Lampourdier, c’est un mont, il participe au micro-climat local, du fait de sa proximité avec le Rhône, de la fraîcheur qu’apportent ses arbres et le reste de la flore. Le raser modifierait l’équilibre du terroir et du même coup les propriétés du raisin, et donc des vins. »
« La carrière et les monocultures vont à l’encontre de l’esprit de notre appellation, modèle en matière d’écologie,ajoute Guillemette Giraud, jeune viticultrice qui s’apprête à reprendre le domaine familial dit de Saint-Préfert, passé lui aussi au biologique et à la biodynamie. Châteauneuf-du-Pape, ce sont des vins mondialement reconnus. Il s’agit de quelque chose de précieux pour la France ! Or, si l’on casse l’écosystème, on casse l’appellation, on perd le patrimoine. »
L’exploitation du massif nuirait au micro-climat local, que les carrières actuelles ont déjà affecté. Les viticulteurs craignent de nouveaux dépôts de poussière que les procédés d’extraction et le passage intempestif des camions occasionneraient sur les vignes.
Il y a par ailleurs la préservation du paysage, l’atteinte portée au tourisme et puis tout un patrimoine archéologique dormant sous les racines du massif.
En 2016, une fouille préventive du Service régional de l’archéologie a confirmé dans le sol de Lampourdier la présence d’une série de structures et de mobilier résultant d’une occupation militaire qui daterait du début du Ier siècle avant notre ère. Pourtant, les recherches sont aujourd’hui suspendues.
Dernière raison de refuser catégoriquement le projet d’élargissement : à force de grignotages, plusieurs dizaines d’hectares supplémentaires pourraient disparaître au cours de la décennie.
« C’est une stratégie des petits pas, nous confie Victor Coulon. Les industriels procèdent par fragments de massif, pour que la population locale ne s’alarme pas. Mais le périmètre idéal qu’ils envisagent s’étend en réalité sur 60 hectares. »
Du grignotage, en somme, avec une augmentation graduelle des débits, des nuisances et du chiffre d’affaires, ni vu ni connu.
« On reproche aux agriculteurs d’utiliser beaucoup de pesticides, abonde Guillemette Giraud. Et pendant ce temps, certains détruisent carrément des écosystèmes ! »
Le 4 septembre, le conseil municipal de Châteauneuf-du-Pape s’est prononcé contre l’extension du permis d’exploitation et celle de la carrière, à l’unanimité. Seul problème : les terrains relèvent de la compétence de la ville d’Orange, dont le conseil municipal a récemment validé la durée de trente ans demandée par Delorme. Le dialogue est donc au point mort. Mais les viticulteurs sont déterminés à ne rien lâcher.
« Nous sommes conscients des emplois, de l’activité économique que les carrières génèrent, commente Victor Coulon. C’est pour cette raison que nous n’avons pas demandé leur fermeture définitive. Notre position, c’est d’arrêter l’hémorragie, de préserver chaque petite parcelle restante de notre poumon vert. »
Le collectif a mis une ligne une pétition (« Lampourdier en danger ») et n’exclut pas la possibilité du recours administratif.