Un arrêté publié par le gouvernement est venu récompenser le travail d’une mobilisation collective menée par des associations de protection de l’environnement. Désormais, toutes les espèces de serpents de France sont protégées par la loi. Il s’agit d’une véritable avancée pour la protection de la biodiversité. La France rattrape enfin son retard en la matière comparé à ses voisins européens, et la protection de l’habitat des reptiles devra aussi être pris en compte dans les projets d’artificialisation du territoire. L’occasion d’apprendre à cohabiter harmonieusement avec ces espèces mal-aimées. Seul bémol à cet arrêté : les grenouilles rousses et vertes ne bénéficient pas encore de la même protection. Les associations environnementales appellent donc les préfets à ne pas prendre d’arrêtés autorisant leur pêche, afin de protéger les espèces les plus menacées, difficilement distinguables les unes des autres.
Un retard de 14 ans sur le droit européen enfin réparé
C’est un véritable soulagement pour la Société Herpétologique de France. Depuis 50 ans, cette association scientifique se bat pour la conservation des reptiles et des amphibiens. Cela faisait 14 ans que l’association alertait l’État français sur de nombreuses carences et erreurs concernant l’arrêté du 19 novembre 2007 fixant les listes des amphibiens et des reptiles protégés sur l’ensemble du territoire et les modalités de leur protection.
Or, le temps presse. Selon la liste rouge nationale publiée en 2015, il y a déjà quatre ans, 40% des Reptiles et 60% des Amphibiens sont en déclin en France et 20% risquent de disparaître à court terme.
En novembre 2019, l’ouverture d’une consultation publique et la mobilisation d’une trentaine de structures de protection de l’environnement leur ouvre enfin les portes du Ministère de la Transition Ecologique et Solidaire qui a accueilli la Société Herpétologique de France pour mieux comprendre les enjeux autour de la protection des serpents.
« Le risque, c’était qu’en 2021 il soit toujours possible de tuer des espèces menacées à cause de peurs irrationnelles. On était à la traîne sur ces espèces-là par rapport aux autres pays européens où elles sont intégralement protégées. Suite à la mobilisation, on a fait une réunion avec les fonctionnaires du ministère et Bérangère Abba, et on est parvenu à obtenir un consensus en montrant le degré de menace auquel sont exposées les vipères. La situation est tellement grave que nous en sommes au stade où faut passer sur des programmes de conservation. » raconte Laurent Barthe, Président de la Société Herpétologique de France, pour La Relève et La Peste
Deux mois après leur rendez-vous de travail, les promesses du gouvernement ont été respectées par un arrêté rendu public en février. Comme en Ukraine, Portugal, Serbie, Suisse, Suède, Pays-Bas, Espagne, Danemark, Croatie, ou Angleterre…Tous les serpents de France et leurs habitats sont désormais protégés.
Concrètement, le texte publié interdit de tuer ou maltraiter l’ensemble des serpents dont les vipères, espèces en déclin et vulnérables. Toute personne outrepassant cette interdiction s’expose à 2 ans d’emprisonnement et 150 000 € d’amende.
La destruction de la Vipère aspic (Vipera aspis) et de la Vipère péliade (Vipera berus) sont donc désormais interdites.
Les vipères, des craintives en quête de reconnaissance
En France, il y a 13 espèces de serpents dont 4 espèces de vipères et 9 espèces de couleuvres. Il est donc beaucoup plus fréquent de croiser une couleuvre qu’une vipère sur son chemin. Pour les distinguer, les seuls critères à prendre en compte sont la forme de la pupille (verticale chez les vipères et ronde chez les couleuvres), et les écailles carénées sur la tête des vipères qui leur donnent l’air en colère (alors qu’elles sont plus grandes sur la tête des couleuvres).
Animaux qui ont toujours effrayés la population et ont même été traqués et exterminés par les chasseurs de serpents d’antan, les vipères sont en fait très craintives et vont chercher à fuir en entendant l’humain approcher.
« Les serpents sont craintifs. Comme quasi toutes les espèces, ils ont peur de l’homme car il ne cesse de tuer tout ce qui lui fait peur. Il y beaucoup d’a priori sur les serpents, en vérité ils n’attaquent jamais, mais seulement chercher à se défendre quand ils se sentent en danger dans le cas de manipulation ou de contact. La vipère aspic par exemple va peu bouger, et faire preuve de mimétisme, à tel point que de nombreuses personnes ne sont même pas au courant qu’elles vivent avec des vipères près de chez elles. La cohabitation se fait donc naturellement, il suffit juste d’être prudent dans les tas de pierre, de bois et de tuiles, ou les herbes hautes : apprendre à observer ce qui nous entoure pour cohabiter paisiblement avec les reptiles. » explique Laurent Barthe, Président de la Société Herpétologique de France, pour La Relève et La Peste
Seule exception : la couleuvre verte et jaune peut parfois souffler ou sautiller pour faire peur à son assaillant. Contrairement aux croyances populaires, cela fait bien longtemps que les cas de morsures de vipères sont extrêmement rares en France et le taux de mortalité est proche de zéro. Il n’y a eu aucun mort en France par morsure de vipère depuis 2003.
Pour limiter les risques, la meilleure attitude à adopter face à ce reptile est donc de lui laisser prendre la fuite.
Dans des pays européens où cet animal est protégé, comme la Suisse depuis 1991, la Belgique depuis 1973 ou l’Allemagne depuis 1976, il n’y a eu aucune augmentation du nombre d’envenimations depuis les mesures de protection.
« C’est important de les protéger car on a tendance à se focaliser sur la notion d’espèce mais ce qu’il faut protéger, ce sont les équilibres naturels qui ont mis des millions d’années à se construire. Les reptiles comme les amphibiens sont des proies et des prédateurs qui rentrent dans ces équilibres. Si on commence à enlever le serpent parce qu’on ne l’aime pas, si on enlève le moindre maillon, c’est tout l’écosystème qui est mis en péril. Malheureusement, c’est ce qui se passe aujourd’hui dans le monde occidental et dans le monde entier. L’être humain pense que la science et la technologie peuvent pallier à tous ces équilibres, ce qui est en fait impossible. Il faut arriver à ce que l’être humain vive décemment en cohabitant harmonieusement avec les autres espèces. Il faut arrêter de détruire et d’artificialiser les sols, et reconstruire des corridors et des continuités écologiques. Les aménageurs doivent comprendre qu’ils ne peuvent plus faire abstraction des espèces, les vipères pourront désormais permettre de stopper certaines folies des grandeurs. » détaille Laurent Barthe, Président de la Société Herpétologique de France, pour La Relève et La Peste
Moins chanceuses que les vipères, les grenouilles sont elles toujours autorisées à la pêche alors que les experts sont unanimes quant au déclin de la grenouille rousse.
Les prélèvements commerciaux représentent ainsi plusieurs millions d’individus collectés chaque année dans les milieux naturels, « alors que l’espèce souffre déjà de l’assèchement de certaines zones humides, de la disparition des sites de pontes et de l’introduction des poissons dans les lacs de montagne » précise la Société Herpétologique de France.
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De la même façon, la pêche des grenouilles vertes représente un danger pour la Grenouille rieuse (Pelophylax ridibundus) et la Grenouille de Lessona (Pelophylax lessonae) dont elle est l’hybride, ces deux espèces étant toutes deux fortement menacées.
« Cette hybridation la rend particulièrement difficile à distinguer de ses congénères, même aux yeux des experts : seules des analyses génétiques permettent de les identifier avec certitude. » nous apprend la Société Herpétologique de France.
Faute de garanties, la Société Herpétologique de France invoque le principe de précaution et demande la protection intégrale de la Grenouille rousse et de la Grenouille verte.
La place des autres espèces ne doit plus être le parent pauvre des projets d’aménagement du territoire, mais bien devenir la priorité de nos politiques publiques. Afin de les recenser, la Société Herpétologique de France invite chaque personne à faire remonter les informations lorsqu’elle observe la présence d’une espèce pour la protéger au mieux.
Crédit photo couv : Vipère aspic – Vincent Premel