Passé en toute discrétion pendant l’été, un article ajouté au Code général des impôts octroie un avantage fiscal conséquent aux ménages les plus riches : 100 000 euros par enfant de droits de donation, exonéré d’impôts ! L’observatoire des inégalités dénonce une mesure choquante dans une période de crise profonde et contradictoire avec le discours de la majorité sur « les inégalités de destin ».
Un bonus aux héritiers
Adopté début août, en pleines vacances d’été, dans le troisième projet de loi de finances rectificative pour 2020, l’article l’article 790A bis du CGI résulte d’un compromis entre députés et sénateurs sur les donations inter-générationnelles.
Concrètement, les personnes les plus riches peuvent maintenant donner 100 000 euros à l’un de leurs descendants (enfant, petit-enfant, arrière-petit-enfant ou à un neveu ou une nièce s’il n’y a pas de descendants directs) sans avoir à payer aucun impôt.
« Ce dispositif est temporaire. Il porte sur les sommes versées jusqu’au 30 juin 2021. Le donataire ne peut bénéficier du dispositif qu’une seule fois par donateur. Pour un même donateur, la somme des donations ayant bénéficié de l’exonération ne peut excéder un montant de 100 000 €. » explique ainsi un site de notaires
Officiellement, ce cadeau fiscal a été promulgué pour relancer l’économie en cette période de crise. Pour bénéficier de l’exonération, les dons doivent donc être dépensés au plus tard trois mois après le transfert et servir pour :
- la création ou au développement d’une petite entreprise de moins de 50 salariés (via une augmentation de capital), sous réserve de respecter certaines conditions
- le financement de travaux d’économie d’énergie dans sa résidence principale
- la construction de son habitation principale
Mais s’il est temporaire, ce dispositif est loin d’être anodin comme l’explique l’Observatoires des inégalités. Si un seul donateur ne peut pas donner plus de 100 000€, chaque bénéficiaire peut recevoir de l’argent de différents membres de sa famille ce qui peut augmenter le cadeau fiscal très vite !
Une seule personne peut ainsi toucher, sans avoir à payer aucun impôt ou droit de succession, un total de 400 000€ grâce à ses parents et grands-parents, et encore plus si des oncles et tantes n’ont pas de descendants directs.
Une nouvelle gifle pour la France populaire
Si l’article de loi stipule bien que cette mesure est conditionnée par des clauses anti-abus visant à éviter le cumul avec d’autres avantages fiscaux (réduction d’impôt Madelin, CITE, MaPrimeRénov, etc.), ce dispositif vient s’ajouter à l’abattement de 100.000 euros déjà en place en pour les héritiers en ligne directe et à l’exonération déjà existante sur les dons familiaux pouvant aller jusqu’à 31 865€.
Une façon de s’assurer que les richesses restent bien au sein des mêmes familles pour l’Observatoire des inégalités qui dénonce une mesure choquante et incompatible avec le discours de la majorité sur la soi-disant volonté de mieux redistribuer les richesses.
« Cette mesure constitue une gifle aux catégories populaires marquées par la forte progression du chômage et de la pauvreté liée à la crise sanitaire. Ce vote souligne la duplicité du discours d’une majorité qui répète qu’elle veut réduire les « inégalités de destin », tout en permettant aux plus aisés d’accumuler encore plus, et donc de reproduire les inégalités de revenus. » écrit Louis Maurin, directeur de l’Observatoire des inégalités
En plus des autres mesures précédemment citées, d’autres dispositifs fiscaux permettent ainsi aux familles les plus riches de transmettre en toute facilité plus d’un million d’euros sans avoir à payer aucun impôt sur les successions. Reste donc à savoir à qui bénéficie cette nouvelle mesure.
L’Observatoire des inégalités rappelle qu’en France, la moitié des ménages possèdent moins de 110 000 euros de patrimoines. Ce nouveau cadeau fiscal ne s’applique donc qu’à une petite partie de la population, à savoir des familles très aisées.
« Ce n’est qu’un nouvel exemple d’une politique menée depuis trois ans. Elle choque d’autant plus que notre pays traverse la plus grande récession depuis la Seconde Guerre mondiale. Des centaines de milliers de personnes perdent leur emploi et craignent pour leur avenir en raison des conséquences économiques de la pandémie de coronavirus. Les jeunes qui sortent de l’école ne savent à quelle porte frapper. Alors qu’un très grand nombre de familles sont inquiètes, comment peut-on chercher à favoriser les plus favorisés ? Cette mesure fiscale constitue une forme de violence sociale choquante, pourtant rares sont ceux qui s’en inquiètent. Elle est passée quasiment inaperçue, à part pour ceux qui vont en profiter. » déplore Louis Maurin, directeur de l’Observatoire des inégalités
Les cadeaux aux riches, les réductions d’aide aux pauvres
Exemple frappant de cette politique laissant-pour-compte les moins favorisés, sur les 100 milliards d’euros prévus par le plan de relance du gouvernement, seulement 800 millions d’euros sont accordés aux populations les plus pauvres.
Ce nouveau cadeau fiscal aux plus riches est donc un indicateur supplémentaire du manque de cohérence sur la politique gouvernementale pour bâtir une France où les emplois seraient socialement justes et écologiquement cohérents.
« La seule condition du nouveau bonus est que les donataires doivent s’engager à construire leur résidence principale, à réaliser des travaux énergétiques, ou à développer (ou créer) une entreprise : il ne répond en rien aux besoins des PME en difficulté, à la nécessité de la transition écologique ou à l’ampleur des besoins dans la construction. Il s’agit tout simplement d’une niche fiscale supplémentaire déguisée qui favorise l’accumulation des richesses. » dénonce Louis Maurin, directeur de l’Observatoire des inégalités
La suppression de l’ISF avait créé la polémique, et son rétablissement était devenu l’une des demandes majeures des Gilets Jaunes et d’une grande partie de la population. Malheureusement, la théorie du ruissellement a la peau dure auprès des élites politiques qui font partie des familles aisées susceptibles de bénéficier de ces dispositifs fiscaux.
A l’inverse, les aides aux classes les plus précaires sont régulièrement diminuées. En 2017, les aides au logement de 2 millions de locataires ont ainsi baissé de 5 euros par mois. Puis, les loyers des HLM ont subi un prélèvement de 800 millions € en 2018, 900 millions en 2019 et 1,3 milliard € en 2020 !
« Cerise sur le gâteau, le gouvernement a prélevé, en 2020, 500 millions € sur la trésorerie d’Action Logement et ce sera 1 milliard en 2021. Pour donner de l’argent aux actionnaires par l’intermédiaire de cadeaux fiscaux aux entreprises, Emmanuel Macron continue de prendre de l’argent dans les caisses du logement social pour alimenter le budget de l’État. » détaillent les sociologues Monique et Michel Pinçon-Charlot
Le 17 septembre 2020, l’une des preuves les plus flagrantes de l’ineptie de la théorie du ruissellement a été dévoilée par des travaux menés par des économistes du CNRS et de l’Observatoire Français des conjonctures économiques concernant le CICE.
Lancé en 2013, le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi, accordé aux grandes entreprises sans aucune contrepartie, était supposé créer un million d’emplois. Sept ans plus tard, le bilan est d’une absurdité totale : pour une dépense moyenne de 20 milliards d’euros par an, financé par une hausse des impôts, le CICE a seulement permis de créer 100 000 à 160 000 emplois entre 2013 et 2017.
Donner des avantages aux plus riches ne garantit pas un retour sur investissement bénéfique à l’ensemble de la société, surtout quand cet avantage n’est accompagné d’aucune conditionnalité ambitieuse. Une leçon visiblement manquée par le gouvernement qui permet, avec cette nouvelle exonération fiscale, d’injecter des millions d’euros dans la résidence principale de familles déjà bien logées.
« La France fait face à une situation historique. Le 13 avril dernier, en pleine crise, le président nous annonçait dans une allocution télévisée avec hauteur de vue qu’il allait se « réinventer ». On voulait le croire : la majorité avait alors l’occasion de mener des politiques prenant en compte les besoins des classes populaires et moyennes. Elle n’en a rien fait. Les mots ne sont pas juste des mots, ils ont un sens pour ceux qui les entendent, pour les millions de Français qui l’ont écouté. Ce double jeu ne passe pas inaperçu et déprécie ceux qui les profèrent. Les plus pauvres auront raison de rappeler à La République en marche ses responsabilités. » conclut Louis Maurin, directeur de l’Observatoire des inégalités
« C’est de l’enfer des pauvres qu’est fait le paradis des riches. » disait Victor Hugo.