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Guerre du Vietnam : le combat des 4,8 millions de victimes de l’agent orange, un herbicide toxique

Le scandale de l’agent orange représente aussi le premier « écocide » (une destruction irrémédiable de l’environnement par l’homme) et la plus grande guerre chimique de l’histoire de l’humanité.

Les 9 et 10 août 2020 a eu lieu en France la « Journée des victimes de l’agent orange » : organisées par le collectif Vietnam-Dioxine, ces trente-six heures de témoignages, de performances et de projections avaient pour but d’informer la population sur un désastre écologique encore méconnu et de demander que justice soit rendue aux quelque trois millions de victimes vietnamiennes qui souffrent aujourd’hui de ses conséquences.

Un herbicide polluant et toxique pour tous les êtres vivants

Produit ou commercialisé entre 1961 et 1971 par les firmes agro-chimiques Monsanto et Dow Chemical, l’agent orange est le nom d’un herbicide et défoliant extrêmement puissant, qui fut utilisé pendant la guerre du Vietnam par l’aviation militaire des États-Unis pour empêcher les résistants de se cacher dans la jungle.

Pendant une dizaine d’années, sans interruption, près de 80 millions de litres de cet herbicide toxique sont déversés sur des forêts du sud du Vietnam et des cultures vivrières, dans le cadre de l’opération « Ranch Hand ». Le but : détruire la végétation essentielle aux pratiques de guérilla, affamer les résistants, ainsi que la population parmi laquelle ils se cachent.

On estime que 20 % des forêts tropicales sud-vietnamiennes, soit plusieurs millions d’hectares, ainsi que 400 000 hectares de terres agricoles, furent alors contaminés ou détruits par ces épandages.

Avions militaires américains épandant au Viêt Nam pendant l’opération Ranch Hand – Crédit : USAF — US Military Picture, found at the U.S. National Agricultural Library

Mais l’agent orange, également nommé « 2,4,5-T », ne constituait pas un simple défoliant : avec ses niveaux très élevés de dioxines, une famille de molécules polluantes présentes dans les produits chimiques, c’était aussi un poison redoutable, dont Monsanto connaissait la toxicité dès les années 1940.

Très persistantes dans l’environnement, s’accumulant dans les graisses animales et humaines et pouvant y demeurer pendant plus de dix ans, les dioxines entraînent chez l’Homme un ensemble de maladies, cutanées, digestives, nerveuses, cardiovasculaires, des malformations, des cancers, du diabète (etc.), du moins quand le taux d’exposition dépasse un certain seuil de tolérance.

Selon le collectif Vietnam-Dioxine, depuis une soixantaine d’années, 4,8 millions de personnes auraient été directement exposées à l’agent orange, parmi lesquelles des centaines de milliers d’enfants, parfois de la troisième ou quatrième génération d’après-guerre.

Touchées par des malformations de membres ou d’organes provoquant la trisomie, l’autisme, la cécité, la surdité et des dizaines d’autres affections, « sans parler des fausses couches, des mort-nés et des naissances prématurées qui s’accentuent dans les régions » particulièrement visées par les épandages, ces familles n’ont jamais obtenu réparation, comme l’explique le collectif Vietnam-Dioxine dans une tribune.

Groupe d’enfants handicapés, principalement à cause de l’agent orange. – Crédit : Alexis Duclos

Un long combat pour la reconnaissance de cet écocide

Le scandale de l’agent orange représente aussi le premier « écocide » (une destruction irrémédiable de l’environnement par l’homme) et la plus grande guerre chimique de l’histoire de l’humanité.

Éléphants, tigres, rhinocéros, antilopes, gaurs, oiseaux, serpents, papillons, insectes, la défoliation systématique et concertée des grands arbres par l’armée des États-Unis a ruiné les écosystèmes de deux millions d’hectares de forêts tropicales et de 500 000 hectares de mangrove, provoquant la disparition de certaines espèces forestières, « la fuite des animaux vers le Laos voisin » et un appauvrissement généralisé des sols, dans lesquels ne poussent plus, à certains endroits, que des bambous et des hautes herbes surnommées « américaines » par les populations locales.

Au cours des années 1970, un grand procès est intenté par un collectif de vétérans américains de la guerre du Vietnam contre Monsanto et six autres entreprises, accusées notamment d’avoir multiplié par vingt la toxicité de l’agent orange, pour « produire plus, plus vite et à moindre coût ». Même les soldats chargés de déverser ce produit sur les forêts vietnamiennes furent contaminés.

Pendant le procès, Monsanto présenta des études biaisées qui prétendaient que l’exposition aux dioxines n’avait aucun lien démontré avec les cancers des vétérans. Or, les sept producteurs d’agent orange accusés étaient parfaitement au courant de la dangerosité extrême de leurs défoliants sur la vie humaine ; mais protégés par l’État américain, ils ne seront condamnés qu’en 1987 et devront verser 180 millions de dollars à un fonds de compensation destiné aux vétérans encore vivants.

Ce procès historique a ainsi établi pour la première fois un lien de causalité entre maladies et agent orange, ce qui ouvre la voie à de nouvelles condamnations. C’est pourquoi Tran To Nga, Franco-Vietnamienne victime de l’agent orange, a décidé en 2014 d’entamer une action en justice contre vingt-six multinationales de l’industrie agrochimique ayant participé à la fabrication ou à la commercialisation de ce défoliant.

Exposée aux dioxines alors qu’elle était jeune reporter au nord de Saigon, il y a maintenant plus de cinquante ans, Tran To Nga a perdu une enfant en 1969, à cause d’une malformation cardiaque congénitale, tandis que ses deux autres filles subissent des complications cardiaques et osseuses ou des maladies génétiques.

Aujourd’hui, Tran To Nga est malade et espère que ce procès, la cause de sa vie, permettra de considérer l’épandage d’agent orange comme un véritable crime contre l’humanité.

La procédure, qui avance lentement mais sûrement, a été rendue possible par une loi autorisant un ressortissant français à poursuivre une personne physique ou morale étrangère pour des faits commis en dehors de l’Hexagone. Si Tran To Nga gagne ce procès, dont les audiences devraient s’ouvrir à l’automne au tribunal d’Évry, elle pourra toucher une indemnisation. Mais l’essentiel n’est pas là.

Selon Sophia Olmos, l’une des porte-paroles du collectif Vietnam-Dioxine que nous avons interrogée, « cette action en justice aspire par-dessus tout à créer un précédent, à inaugurer une voie pour la jurisprudence ».

Une condamnation des firmes ayant fabriqué l’agent orange faciliterait la reconnaissance des victimes de la part de la justice, « des victimes dans le temps long, puisque les familles sont touchées sur des générations ».

Comme pour les procès américains contre le Roundup, le produit phare de Monsanto, plusieurs des entreprises incriminées auraient proposé à Tran To Nga une compensation financière, un accord à l’amiable qui leur aurait permis d’éviter de s’engager dans de véritables poursuites judiciaires. Mais cette fois-ci, l’argent n’achètera pas la paix.

« Tout ce que les collectifs, associations et victimes de l’agent orange attendent, nous indique Sophia Olmos, c’est davantage de soutien et de solidarité, c’est plus de sensibilisation sur ce fléau qui touche aussi une communauté vietnamienne ou franco-vietnamienne très présente dans notre pays. »

Au-delà des victimes, c’est notre modèle de société qui devrait être remis en question. Car les firmes telles que Monsanto, responsables de cette catastrophe écologique et sanitaire, dirigent aujourd’hui le marché mondial de l’agrochimie.

Comme le dit la porte-parole de Vietnam-Dioxine : « l’agent orange est l’ancêtre des pesticides actuels. C’est une arme chimique qu’on continue en quelque sorte à produire, car nous suivons des principes similaires dans notre agriculture. Nous utilisons les mêmes molécules, produites de la même façon par les mêmes entreprises. »

Les pesticides, herbicides et fongicides continuent eux aussi de tuer : chaque année dans le monde, ils seraient à l’origine de 25 millions d’intoxications et de plus de 200 000 morts. De quoi nourrir bon nombre de procès futurs.

Crédit photo couv : collectif Vietnam Dioxine

Augustin Langlade

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