Des dizaines de départements, en alerte ou en vigilance, ont adopté des mesures de restriction de l’usage de l’eau, face à la vague de sécheresse chronique qui touche à nouveau la France, en ce mois de juillet 2020. Certains cours d’eau, comme la Tille en Côte-d’Or ou le Doubs, affrontent un assèchement qui menace directement leur écosystème. Cette situation critique risque de se multiplier avec le réchauffement climatique.
Troisième année à sec pour la rivière Tille
C’est la troisième année consécutive que la Tille, une rivière qui s’écoule du nord au sud-est de Dijon, dans le département de la Côte-d’Or, sur environ 83 kilomètres, avant de se jeter dans la Saône, est complètement à sec. 2018, 2019 et maintenant 2020, les habitants des villages traversés par le cours d’eau constatent chaque année, impuissants, que la période estivale des basses eaux est de plus en plus longue, de plus en plus rude.
Au lieu de se réduire progressivement, de mai à août, à son débit minimal, cette année, la rivière s’est complètement asséchée dès le mois de juillet, ne laissant çà et là que de rares eaux stagnantes, où se réfugient des poissons à l’agonie et où pullulent les moustiques.
Un peu partout, les cadavres de truites, de carpes, de vairons, de grenouilles émaillent le lit craquelé et poudreux de la rivière, diffusant une puanteur dans les habitations environnantes.
Les gardes-pêche sauvent tant bien que mal les espèces qu’ils parviennent à récupérer, mais faute d’une action d’envergure, la sécheresse a déjà mis à mal une grande partie des animaux de la rivière.
« Autrefois, ça arrivait de manière ponctuelle, déplore auprès de France Info Renaud Lehmann, maire de Lux, une commune de Saône-et-Loire également touchée par la sécheresse. On avait des étés très secs où parfois la Tille se coupait un mois, un mois et demi. Mais c’était à partir du mois d’août et puis elle revenait au mois de septembre. L’année dernière, ça a commencé mi-juin et elle est revenue seulement en novembre. »
Les périodes sèches se prolongent inexorablement, certainement sous l’effet du réchauffement climatique.
La truite, dont certaines espèces sont protégées, est la première à subir les conséquences de la sécheresse. Quand les températures dépassent 30 degrés et que les eaux viennent à manquer, certains poissons ne parviennent plus à s’oxygéner et périssent en peu de temps.
La sécheresse chronique met en péril les animaux des rivières, aussi bien les batraciens que la grande faune qui s’alimente dans les cours d’eau. Pour empêcher leur disparition, il faut désormais que les êtres humains interviennent chaque année.
Un phénomène de plus en plus répandu en France
La Tille n’est malheureusement pas un cas isolé. À travers la France, la sécheresse annuelle menace un nombre sans cesse croissant de cours d’eau. Depuis 2018 également, à divers endroits de son parcours, le Doubs disparaît entièrement de son lit, ne laissant derrière lui que des sillons désertiques. Quand le débit est très faible, les failles géologiques absorbent le mince filet d’eau restant et finissent d’assécher la rivière.
« S’il ne pleut pas vite, il faudra une fois de plus s’attendre à une forte mortalité piscicole après l’été », confie au quotidien local L’Est Républicain un pêcheur du département.
Cette année, la France a connu les vingt premiers jours de juillet les plus secs depuis 1960 : il n’est tombé que 10,2 millimètres de pluie en moyenne sur le territoire. De nombreux départements sont en alerte sécheresse, 64 d’entre eux ont annoncé des mesures de restriction, selon les données de la veille ministérielle Propluvia, en date du 28 juillet.
À titre d’exemple, en Dordogne, la semaine dernière, cinq cours d’eau étaient en crise et onze en alerte renforcée. Les usages de l’eau sont limités et les niveaux des nappes phréatiques étroitement surveillés.
La sécheresse a des conséquences dramatiques sur les milieux aquatiques, des écosystèmes fragiles incluant les cours d’eau, mais également les berges, la faune et la flore environnantes.
À l’état normal, une rivière entretient d’elle-même la qualité de son eau, grâce aux phénomènes de filtration et d’oxygénation naturelles, ainsi que l’action croisée des organismes, bactéries, insectes, plantes, des roches et des sables.
Lorsque survient un épisode de sécheresse, la baisse du niveau des eaux vient fragmenter les milieux naturels, empêchant la mobilité de certaines espèces, « confinées » dans des zones où elles ne sont par exemple pas capables de se reproduire.
La mortalité des espèces aquatiques étant alors très forte, après une saison sèche, les peuplements peuvent mettre des années à se reconstituer. Si les sécheresses deviennent chroniques, ils sont dans ce cas voués à disparaître peu à peu. Du moins sans l’intervention artificielle de l’être humain.
En les privant d’oxygène, la sécheresse altère aussi la qualité des cours d’eau, qui ne peuvent plus diluer et évacuer correctement les centaines de substances que rejettent les activités humaines. Ces phénomènes d’asphyxie et d’eutrophisation (apport excessif de nutriments, comme les nitrates et les phosphates de l’agriculture) dérèglent les écosystèmes des milieux aquatiques, en favorisant les plantes et les algues résistantes, dont la prolifération devient nocive.
Les algues, par exemple, consomment beaucoup d’oxygène et produisent des toxines qui carbonisent les autres êtres vivants, de la petite faune aux bactéries.
Enfin, la sécheresse menace directement les systèmes agricoles de nos sociétés, qui dépendent directement des ressources aquatiques, bien qu’ils contribuent à les détériorer. Alors que l’irrigation participe parfois à assécher certains cours d’eau et peut compromettre l’équilibre d’un écosystème tout entier, la sécheresse chronique due au réchauffement climatique contraint les agriculteurs, devant l’absence d’eau dans les sols, à recourir de plus en plus à l’irrigation.
Un cercle vicieux qui pourrait, à grande envergure, entraîner une crise alimentaire nationale.