Combien sont-ils ? Des milliers ? Des dizaines de milliers ? Lorsque la pandémie a été enfin prise au sérieux, le rapatriement des français qui se trouvaient à l’étranger a été problématique dans de nombreux pays. Beaucoup ont dû débourser de grandes sommes d’argent pour pouvoir simplement rentrer chez eux. Les lacunes du gouvernement à organiser un rapatriement digne de ses citoyens ont été nombreuses. Alors quand cette lanceuse d’alerte nous a contacté pour témoigner de la situation dramatique qui se passe actuellement au Mali, nous n’avons pas hésité à relayer son témoignage face aux preuves qu’elle nous a envoyées. Corruption des agents d’Air France, passage à tabac de ceux qui la contestent, complicité et silence du gouvernement français, la situation pour les ressortissants franco-maliens témoigne d’un racisme systémique encore bien trop présent dans nos institutions.
Lundi 9 mars, arrivée à l’aéroport de Bamako, il fait chaud, l’aventure peut enfin commencer. Mon compagnon et moi préparons ce projet depuis des mois : une partie de sa famille habite un petit village dans la région de Kayes, et nous voulons les aider à planter des arbres dans les champs.
Ça fait déjà quelques années que les cultures ne suffisent pas à nourrir le village : sécheresses, changement climatique… Et de moins en moins de jeunes pour assurer la relève. La plupart tente leur chance de l’autre côté de la Méditerranée, parfois au prix de leur vie.
Au village, pas d’argent pour acheter des engrais et des pesticides chimiques. Ça tombe bien, c’est plutôt l’agroécologie qu’ils souhaitent promouvoir : cultiver sans mettre en danger l’environnement, ni les générations présentes et futures. Cultiver la diversité, associer les plantes, les arbres et les animaux…
Je suis ingénieure agronome, l’agroécologie et la souveraineté alimentaire, c’est mon combat quotidien, et l’idée de le mettre en pratique sur les terres de ma belle-famille me réjouis.
Seulement voilà, quelques jours après notre arrivée au Mali, la pandémie de COVID met un terme au projet. Les frontières du pays sont fermées, et les vols de rapatriement tardent à se mettre en place. Le 17 mai, après près de deux mois, l’ambassade me propose enfin un vol pour Paris. Mon compagnon, lui, reste sur place…
Les semaines passent, toujours rien. Il faudra attendre fin juin pour que de nouveaux vols de rapatriement soient annoncés par l’ambassade.
L’ambassade, qui quelques mois plus tôt se chargeait des rapatriements, se défausse cette fois sur Air France. Et si l’agence locale semble dépassée, elle s’est en réalité organisée pour attribuer les précieuses places pour la France aux plus offrants. En toute illégalité.
L’ambassade prétend avoir fourni les listes des passagers prioritaires à Air France… Mais l’agence s’en moque : que vous soyez ou non en possession d’un billet, que vous ayez ou non une famille à rejoindre, que votre emploi soit menacé ou non, l’entreprise n’en a que faire. La priorité sera donnée aux plus gros pots-de-vin, tout simplement.
Face à notre indignation, on nous a même proposé d’acheter en ligne une place pour un vol de rapatriement fin juillet : entre 2300€ et 3000€ l’aller simple Bamako – Paris. Inutile de préciser qu’après quatre mois bloqué au Mali, sans pouvoir exercer son activité professionnelle, acheter un billet à ce prix-là relève de la mauvaise plaisanterie.
Sans compter qu’un billet, mon compagnon en possède déjà un. Alors pourquoi ne lui sera-t-il pas possible de l’échanger sans frais, comme ce fut le cas pour moi, deux mois plus tôt ? A cette question, ni l’ambassade, ni Air France n’apporterons la moindre réponse.
Il faut s’adresser à l’agence locale d’Air France, nous répète-t-on inlassablement. Injoignable par téléphone, l’agence est le théâtre d’un spectacle consternant : chaque jour, des centaines de français entassés, sans respect des mesures barrières, y attendent désespérément des informations concernant leur rapatriement.
Il y a les mères et les pères de famille, qui attendent de rejoindre leurs enfants. Il y a ceux qui risquent de perdre leur emploi, et ceux qui l’ont déjà perdu. Il y a ceux qui sont vulnérables, dont l’état de santé s’est dégradé et qui nécessitent des soins en France.
Tous attendent, chaque matin, devant l’agence, que leur nom soit appelé. On s’aperçoit rapidement que pour passer les barricades de sécurité et accéder à l’agence, il faut jouer le jeu sordide de la corruption. Payer des pots de vin, à tous les niveaux, qu’encaisse une entreprise qui bénéficiera pourtant de 7 milliards d’euros du plan de relance économique, sans conditions.
Dénoncer cette corruption organisée vous vaudra un passage à tabac dans les règles. Ceux qui s’y sont risqué, comme mon compagnon, ont récolté les coups des agents Air France et d’une foule bien échaudée.
L’Odyssée ne fait que commencer : nuit à l’hôpital, tournée des commissariats pour déposer une plainte qui lui sera à chaque fois refusée…
Mon compagnon finira, par désespoir de cause, par faire appel à l’ambassade de France à Bamako. Là encore, personne pour lui venir en aide : les français qui sont aussi maliens ne sont pas traités à la même enseigne, pas considérés comme de « vrais » français, pas importants…
Ce mépris de l’ambassade envers les ressortissants français qui auraient le malheur d’être aussi de nationalité malienne, et d’être noir, est insupportable. On leur refuse l’accès à l’ambassade, on leur raccroche au nez, et les seuls mails que nous avons pu obtenir en réponses à nos sollicitations étaient des réponses automatiques.
Pire, lorsque j’ai contacté le Ministère des Affaires Etrangères par téléphone, il était parfaitement au courant de la situation. Ils auraient reçu de nombreux témoignages de corruption au niveau des agences locales d’Air France au Mali, mais aussi en Guinée, au Maroc, en Algérie… Certains passagers prioritaires, car vulnérables, n’ont pas pu être rapatriés et sont décédés, faute de soin. Mais que voulez-vous qu’on y fasse ? nous rétorque notre interlocutrice. Sidération.
Le cas de mon compagnon est loin d’être isolé, comme le révèle des centaines de témoignages publiés sur le site de l’Ambassade et d’Air France.
A Bamako, la violence est montée d’un cran la semaine dernière, avec de nouvelles manifestations contre le gouvernement en place. Mais l’insécurité et les violences gratuites auxquelles sont exposés les français toujours bloqués sur le territoire ne semblent pas préoccuper le gouvernement.
Témoins du décalage abyssal entre les annonces du Président et la situation sur le terrain, nous ne pouvons qu’être indignés.
Le gouvernement nous vend de la justice, mais continue de pratiquer une discrimination insupportable envers ceux qu’il considère comme « pas vraiment français ». Le gouvernement nous vend de l’écologie, mais finance à hauteur de 7 milliards d’euros une compagnie aérienne polluante et corrompue.