En Amérique du nord, les grands projets de pipeline sur des milliers de kilomètres rencontrent depuis quelques années de sérieuses difficultés. Après la victoire des Sioux de Standing Rock contre la construction de l’oléoduc Dakota Access, c’est la construction du pipeline Keystone XL qui est rejeté.
Les sables bitumineux, une manne pétrolière écocidaire
Ce projet pharaonique envisageait la construction d’un pipeline de 1930 kilomètres, partant de l’Alberta au Canada et acheminant les États-Unis jusqu’au golfe du Mexique. 830 000 barils de pétrole par jour étaient prévus.
Un enjeu économique de taille pour les producteurs canadiens de sables bitumineux, qui extraient mais souffrent du manque de pipeline pour acheminer leur marchandise. Les sables bitumineux représentent la méthode la plus polluante de l’extraction du pétrole.
Ce mélange de sable, d’eau d’argile minérale et de bitume brut, est transformé en bitume. Lors de l’extraction, des quantités astronomiques de dioxyde de soufre et d’oxydes d’azote sont libérés. La seule industrie des sables bitumineux représente près de 10% des émissions totales de GES du pays, mais les chiffres officiels calculés selon les méthodes internationales recommandées seraient largement sous-évalués selon une étude de la revue scientifique Nature Communications.
Mesurées par avion, la différence d’émissions est équivalente aux émissions annuelles de la métropole de Toronto. Les sables bitumeux nécessitent une grande quantité d’eau douce, qui est puisée dans les rivières et les plans d’eaux essentiels à l’équilibre des écosystèmes. L’eau usée est rejetée dans les bassins de rétention.
Un Keystone XL achevé, selon Peter Erickson, économiste au Stockholm Environmental Institute, entraînerait une augmentation de 150 millions de tonnes de CO2 et d’autres gaz dans l’atmosphère chaque année – l’équivalent de près de 30 centrales électriques au charbon
Les sables bitumineux représentent 97% des réserves pétrolières du pays, et le troisième plus grand gisement de pétrole brut au monde, s’étendant sur 142 000 kilomètres carrés, à l’ouest du pays. Autant dire que sans ces sables, l’économie canadienne ne serait pas la même. Elle emploie près de 400 000 personnes, et offre au Canada un poids sur l’échiquier international.
Le pipeline Keystone XL
Le projet lancé par TC Energy, attendait depuis plusieurs années de pouvoir redémarrer. L’administration Obama avait bloqué le passage de la frontière états-unienne/canadienne, mais l’administration Trump l’avait autorisée dès son entrée en fonction. Cependant elle avait encore besoin d’un permis fédéral, qui vient de lui être refusé par la Cour Suprême des États-Unis, sans explication.
Au printemps, le juge de la Cour du District Montana avait également refusé ce permis pour non respect de l’Acte pour les Espèces Menacées (Endangered Species Act) qui oblige les compagnies à présenter le projet aux associations de protection de l’environnement.
Mais les oppositions d’écologistes, de propriétaires fonciers et d’autochtones avaient bloqué une partie de la construction. Le tracé du pipeline traversait en effet des territoires sacrés comme la Route des Larmes du peuple Ponca, chemin d’exil que le peuple prit quand il fut forcé de quitter le Nebraska pour rejoindre Oklahoma. Ces dernières années, les droits des peuples autochtones ont rencontré la cause des écologistes, et plusieurs combats ont été remportés, notamment celui des Sioux contre le projet d’oléoduc dans le Dakota.
Et tout récemment, la Cour Suprême des États-Unis vient de rendre un avis défavorable contre le projet de Keystone XL.
Il y a deux ans, un couple de propriétaires fonciers du Nebraska avait décidé de rendre une terre ancestrale à la tribu Ponca, posant ainsi une nouvelle difficulté pour TC Energy.
Aujourd’hui, la lutte contre les projets polluants devient une pierre de lance et une nouvelle légitimité pour les peuples autochtones qui défendent leurs droits fonciers.
Car ils ont bien compris que leur seule cause ne suffira pas à intéresser les médias, le grand public, ni à engendrer du soutien. Lors de la cérémonie de passation de la terre, le stylo utilisé pour signer le contrat vient de l’ambassade américaine de Taiwan, dont le combat pour préserver sa souveraineté de l’emprise chinoise fait écho au leur. Ce geste montre à quel point les autochtones qui se battent pour leurs droits se battent aussi au nom des autres peuples qui rencontrent les mêmes enjeux, face à une puissance qui sacrifie tout au nom du profit.
Mais ils savent aussi que ces combats sont toujours à renouveler, et qu’une bataille gagnée ne signifie pas que le monde a changé. A l’heure actuelle, selon le porte-parole de TC Energy, Terry Cunha, aucun site aux États-Unis n’est actuellement en construction, bien que les travaux de pipelines se poursuivent du côté canadien de la frontière.
Après la décision de la Cour suprême d’hier, nous examinons notre calendrier de construction aux États-Unis pour 2020, a-t-il écrit dans un e-mail à National Geographic.
Le projet n’est donc pas totalement abandonné pour l’instant, reste à voir si la mobilisation populaire réussira à porter un coup fatal au Keystone XL dans un futur proche.
Crédit photo couv : Jason Connolly / AFP