Les cinéphiles connaissent l’histoire des dernières scieries du Jura, à travers le roman de Giovanni Le Haut Fer, portée à l’écran par Robert Enrico, dans le magnifique film Les grandes gueules réunissant Lino Ventura et Bourvil. Et bien oui, l’histoire n’est pas tout à fait terminée : dans les Pyrénées, les grosses scieries s’installent et tuent les scieries familiales.
A Lannemezan, le collectif « Touche pas à ma forêt »
Lannemezan est une petite commune des Hautes Pyrénées. Un projet de scierie industrielle y représente une menace importante contre l’environnement, la biodiversité et l’écosystème des entreprises locales. Des associations et syndicats se sont regroupés en collectif « Touche pas à ma forêt ».
Le projet consiste à créer une structure industrielle importante qui serait gérée par un groupe italien, Florian. Ce sont 50 000 m3 de hêtres qui seraient sciés, soit entre 450 000 à 500 000m3 d’arbres, autrement dit, 1200 stades de football.
Sur le site de l’entreprise FLORIAN, le message écologique est affiché mais ne manque pas de contradictions : on y trouve un schéma des étapes qui finit par… la livraison en camion ! Puis le message :
« Un cycle industriel entièrement contrôlé pour assurer des standards homogènes sur une longue période, et en même temps un système auto-suffisant qui permet d’optimiser les déchets et d’en faire des ressources. »
L’entreprise italienne a 5 sites en Croatie, 2 en France, 1 en Hongrie, 1 en République Czèque et 5 en Italie. Comme par hasard, des pays qui ne sont pas des modèles en matière de protection des forêts.
Le bois, une histoire territoriale
Autrefois, les Pyrénées étaient un grand fournisseur de bois. Le « chemin de la mâture » dans les Pyrénées Atlantiques était taillé dans la roche pour faire passer les boeufs et descendre les troncs d’arbre. Ailleurs, les troncs d’arbres étaient assemblés en radeaux et descendaient par l’eau vers les plaines.
Avec l’industrialisation et l’Exode rural, l’économie locale du bois s’est trouvée bouleversée. Par rapport à d’autres territoires, les Pyrénées présentent des terrains difficilement accessibles avec peu de pistes forestières.
C’est encore autour du bois que le mouvement de protestation le plus connu des Pyrénées a eu lieu : il s’agit de la Guerre des Demoiselles, rébellion ayant eu lieu en Ariège entre 1829 et 1832. Cette rébellion faisait suite à une nouvelle réglementation du code forestier qui imposait des normes sur le massage, les coupes et le pâturage, les droits de chasse de cueillette et de pêche, où le système économique et technocratique prenait le pas sur le système traditionnel agro-pastoral.
Quelques mois avant la révolution parisienne de 1830, la région de St Girons et la vallée de Massat se rebellaient, avec des centaines de paysans qui se révoltent. On les appelle les « Demoiselles » car ils se déguisaient pour mieux attaquer les grands propriétaires et des gardes forestiers, mettant des perruques et de longues chemises blanches. La révolte s’étend vite à l’ensemble du département.
Retrouver un rapport écologique et pragmatique à la filière bois
Aujourd’hui la filière du bois en Pyrénées ne survit que par l’exploitation forestière et la première transformation du bois, puis elle est envoyée ailleurs pour la seconde transformation. Une étude effectuée en 2017 sur le seul parc des Pyrénées Ariégeoises indique que seuls 6% des menuisiers s’approvisionnent en bois local.
Ceci vient principalement du fait que la région est très pluvieuse, rendant le séchage du bois très difficile, et de ce fait, cela laisse peu de bois de qualité exploitable par les menuisiers. La production de scierie est donc principalement tournée vers du bois de charpente vert.
Le collectif SOS Forêt Pyrénées a été créé en 2019. Il est composé d’associations, syndicats et professionnels de la forêt, pour créer une « force de veille citoyenne et de contre-pouvoir face aux pressions toujours croissantes exercées sur les ressources forestières ».
Ce collectif cherche à équilibrer les enjeux écologiques économies et sociaux, en dehors des schémas binaires : « Nous considérons comme des impasses l’opposition entre forêts industrialisées et forêts sacralisées. »
Aux prises avec les réalités locales, ils agissent sur la base du principe de réalité, plutôt que sur des idéaux écologiques déconnectés du réel. Ce combat est aussi un combat démocratique :
« La gestion forestière doit impliquer l’ensemble de la population grâce à un réel partage de décisions. »
Le collectif est donc favorable sur le principe de transformer le bois des Pyrénées. Le bois représente la principale source de revenus de la Région.
Mais c’est sur l’ampleur du projet qu’elle marque son désaccord. Il s’agit ici de doubler voire tripler le prélèvement, et les hêtraies ne supporteraient pas un tel régime.
En effet, un gros industriel comme Florian cherchera du bois de gros diamètre, ce qui veut dire couper des gros bois. Or, le respect des forêts exige de prélever de façon équilibrée gros, moyen et petit bois.
Les dangers d’une seule et unique grosse scierie
Par ailleurs, cette scierie mettrait en danger le tissu industriel local qui subsiste encore. Une scierie de cette taille pourrait créer un monopole, et le bois qu’elle traite serait acheminé depuis toutes les régions des Pyrénées voire de plus loin, multipliant les transports polluants.
Pourtant, le projet serait financé de 50 à 60% par l’État, la Région et l’intercommunalité, ce qui paraît aberrant étant donné que le projet va à l’encontre non seulement de la protection des forêts, mais aussi du développement de l’industrie locale. Les élus de l’intercommunalité n’ont pas été mis au courant de cette décision. Le collectif dénonce cette atteinte à la vie démocratique, ainsi que l’absence d’une étude d’impact sur le projet.
Plusieurs mairies ont déjà alerté leurs populations sur ce projet jugé amateur, flou et irrespectueux des règles démocratiques. Ainsi Corinne Marqerie, conseillère municipale de Saint Gaudens, dénonce « un projet dangereux à triple titre » :
– risque social : en
vampirisant tous les approvisionnements, Florian entraînera dans la faillite
toutes les scieries locales.
– gaspillage d’argent public : les investissements s’élèvent à 11 millions
d’euros dont 60 à 70 % issus de la communauté de communes du plateau de Lannemezan
et de la région Occitanie
– désastre écologique et paysager : loin de développer une économie
du bois cette usine provoquera le pillage méthodique des hêtraies de toutes les
Pyrénées et du sud-Massif central.
« L’industriel exige 50 000 m3/an de bois d’œuvre de hêtre de haute qualité pendant 15 ans. Pour donner un ordre d’idées, actuellement on récolte dans toute l’Occitanie 30 000 m3/an de bois d’œuvre de hêtre (source Agreste, moyenne 2005-2018). C’est-à-dire que Florian demande pour ses seuls besoins que l’on double la récolte sur l’ensemble des Pyrénées, de Hendaye à Collioure ! » s’insurge la conseillère Corinne Margerie
Le secrétaire départemental du PCF65 déclare : « Nous ne connaissons que trop bien ce type de projet dans lequel une multinationale, gavée de subventions publiques vient exploiter, un temps, les ressources locales et plie bagage lorsque la rentabilité n’est plus attractive. »
La maire du village de Mazouau partage ces craintes, car le village vit entièrement de la scierie locale. « Si nous partons dans une exploitation aussi grosse, j’ai bien peur que nos forêts dans 10 ans, n’aient plus de bois ».
Le collectif « Touche pas à ma forêt » a lancé des recours qui ont été suspendus durant la période de confinement. La date potentielle de début des travaux de la scierie Florian n’est pas encore annoncée. L’année 2020 doit servir à étudier la faisabilité du projet.