Lancé en 2019, le collectif « Arch Crowd » récupère des matériaux inutilisés aux industriels locaux pour fabriquer des modules habitables. L’objectif de cette démarche écologique et solidaire : fournir une solution de transition aux sans-abri.
Offrir un abri-d’urgence aux plus précaires
L’idée est partie d’un des membres d’Arch Crowd. Durant l’hiver 2018, 20 personnes sont mortes de froid dans les rues de Toulouse. Face à cette tragédie, Yassin a eu l’idée de construire de petites arches habitables afin de leur offrir une première étape pour que les sans-abri puissent se poser et trouver des solutions plus pérennes.
Ingénieur de profil, il s’est rendu dans un fablab pour commencer à faire des prototypes qui ont attiré l’attention d’autres jeunes présents qui se sont regroupés pour l’aider. Arch Crowd était né.
« On évolue dans une société qui a énormément de moyens et d’énergie. C’est totalement amoral d’avoir autant de personnes dans la rue. Ce n’est pas l’Arche qui est importante, c’est la démarche. » raconte Aymeric, l’un des membres d’Arch Crowd, pour La Relève et La Peste
Avec 6 membres actifs, 5 garçons et 1 fille, ces trentenaires ont aggloméré autour d’eux un réseau solidaire qui les aide à rechercher et récupérer des matériaux (bois de palette, bâches en plastique, tissus, chambres à air de vélo de roues crevées) un peu partout sur Toulouse et sa périphérie pour les re-transformer et fabriquer des abris de survie : les arches.
Leur initiative met au centre du débat le sujet du mal-logement, notamment parce qu’ils fabriquent tous les abris en organisant des chantiers participatifs.
« A Toulouse, il y a des arrêtés anti-bivouac contre les tentes des migrants. Si ça peut faire évoluer le débat sur l’habitat léger comme solution pour les personnes dans l’urgence, ce serait une vraie victoire pour nous. » explique Aymeric, l’un des membres d’Arch Crowd, pour La Relève et La Peste
Il ne s’agit pas pour le collectif de placer des arches au hasard dans la ville. Arch Crowd adapte leur projet en fonction des demandes des sans-abris qu’ils rencontrent pour savoir où les disposer. En avril 2019, Arch Crowd a ainsi livré une première arche en à une femme SDF qui l’avait installée en forêt dans une ville périphérique.
« En y passant tout l’été, elle nous a raconté que l’arche lui a apporté une certaine sécurité et intimité qu’elle n’avait pas dans la rue. Ça l’a aidé à sortir du flou de l’urgence quotidienne. Aujourd’hui, elle a réussi à se re-sociabiliser et n’a plus besoin de l’arche, on a donc récupéré l’arche pour la donner à un réfugié bulgare qui a 4 enfants : Stoyan, un mec en or. » sourit Aymeric, l’un des membres d’Arch Crowd, pour La Relève et La Peste
Cette première réussite les a encore plus encouragés à en fabriquer d’autres, et ils ont peaufiné le concept pour trouver les matériaux de récupération qui fonctionnent le mieux en terme d’isolation.
Concevoir des habitats répondant aux enjeux écologiques actuels
Car leur démarche n’est pas seulement solidaire, mais aussi profondément écologique. D’abord en utilisant des matériaux considérés comme des déchets industriels, et aussi en ayant conçu l’Arche avec une dizaine de modules qui sont chacun réparable et interchangeable, et donc le plus durable possible.
La plus petite arche mesure 2 mètres 40 sur 1 mètre 20, avec une hauteur d’1 mètre 20. Composée de 13 modules, sa construction demande 1 à 2 semaines de travail. L’assemblage se fait en moins d’1 heure.
Leur seul impact écologique : les vis et les écrous qu’ils achètent, et l’énergie utilisée pour aller chercher les matériaux et les re-transformer. Jusqu’au-boutistes, ils récupèrent les clous des palettes qu’ils revendent à un ferrailleur, et mettent tous leurs déchets dans le plancher pour alourdir la structure.
La réflexion des arches est profondément low-tech, et ils profitent des chantiers participatifs pour essaimer l’envie et le goût de bricoler au plus grand nombre.
« Avec la crise climatique, on va être amenés à avoir de plus en plus de réfugiés : qu’est-ce qu’on fait ? Où on les loge ? et comment on va s’adapter à cette demande ? On amène aussi ce débat pendant les chantiers, on souhaiterait qu’il y ait un vrai éveil citoyen par rapport à ce sujet. » prédit Aymeric, l’un des membres d’Arch Crowd, pour La Relève et La Peste
Les arches sont légères mais pas encore facilement transportables, le collectif planche beaucoup sur le sujet.
Arch Crowd s’inscrit ainsi dans un écosystème local qui réfléchit à une nouvelle économie, une nouvelle politique, et des projets d’innovation sociale pour élargir le cadre de tout ce que la société française propose.
« Certains ont quittés leur boulot pour faire ce projet. On fait de la récup’ de nourriture, on vit de pas mal de gratuité, certains touchent le RSA et d’autres le chômage. Ce serait un beau rêve de pouvoir s’alimenter grâce à Arch Crowd mais ce n’est pas le but premier. On s’est engagés dans ce mode de vie car on est convaincus que cette démarche est indispensable pour répondre aux enjeux écologiques et sociaux du XXIème siècle, et pallier à la future dégradation de nos conditions de vie. » prédit Aymeric, l’un des membres d’Arch Crowd, pour La Relève et La Peste
Après quatre années d’engagement, l’association partage ses valeurs à d’autres acteurs locaux. Par exemple, un nouveau projet pour l’été 2023 en partenariat avec le Groupe Amitié Fraternité et des étudiants en architecture a pour ambition de réaliser un cabanon de jardin exclusivement en matériaux de récupération.
Ou encore, d’autres étudiants également en architecture dans le cadre de leur projet de fin d’étude réalisent des ateliers de construction avec des jeunes du DAL – Droit Au Logement – grâce à Arch Crowd.
Un combat malheureusement plus que jamais d’actualité : le mal-logement à Toulouse reste une problématique de premier plan qui n’a pas trouvé de réponse suffisante de la part des pouvoirs publics depuis la création de l’association.
Un événement récent pour lequel Arch Crowd s’est engagé illustre cette situation. Au début de l’hiver la mairie de la ville a expulsé pas moins de 150 jeunes migrants sans proposition de relogement. Ces derniers sont soutenus par un collectif local : autonoMIE. Ils ont investi un bâtiment de l’université Paul Sabatier qui leur est finalement accordé d’occuper, mais dans des conditions précaires. Une situation qui fait réagir Yassin, cofondateur de l’association.
“On accueille à bras ouvert les migrants ukrainiens qui fuient la guerre et c’est très bien, mais on est plus réfractaires à accueillir des mineurs africains. Pourquoi cet écart de justice sociale ?”
crédit photo couverture : Sergio Di