Après avoir été décrié sur les réseaux sociaux, l’usage disproportionné de la force par la police française sur les manifestants est désormais dénoncé par les plus hautes instances internationales. Alors que les mobilisations jaunes et vertes continuent de plus belle, le déni du gouvernement face à ce rappel à l’ordre pose la question suivante : quels sont les moyens des citoyen-ne-s de France pour faire entendre leur voix ?
500 blessures et un cours de flashball donné aux enfants
Après Amnesty International et le Parlement européen, l’ONU dénonce l’« usage excessif de la force » contre les « gilets jaunes » à travers sa haut-commissaire aux droits de l’homme Michelle Bachelet qui a réclamé, mercredi 6 mars, « une enquête approfondie » sur les nombreuses accusations de violences policières. Depuis le commencement des « Actes des Gilets Jaunes », ces violences policières sont recensées par le documentariste David Dufresne. Pour le moment, 500 blessures sont comptabilisées, parmi lesquelles des membres arrachés et des yeux crevés.
Michelle Bachelet a carrément comparé le cas français avec les répressions violentes qui ont récemment été exercées par les forces de l’ordre au Soudan, au Zimbabwe et en Haïti… Une comparaison amère pour « le pays des droits de l’homme ». La haut-commissaire aux droits de l’homme de l’ONU a souligné que les gilets jaunes protestaient contre « leur exclusion des droits économiques et de la participation aux affaires publiques », en précisant que la prospérité économique de la France est loin d’être une garantie contre les inégalités qui touchent tous les pays.
« C’est une absolue certitude que les violences policières ont été faites à dessein pour décourager les gens. Certains ronds-points ont été délogés, 20, 25 ou 30 fois. Ça avait pour objectif de briser psychologiquement les gens et de les faire rentrer chez eux. Comme les gens ne pouvaient plus se mobiliser sur les ronds-points, c’est la raison pour laquelle le mouvement a muté dans son action et que sont survenues les manifestations du samedi. Là, on a tout de suite vu qu’il y avait des stratégies de maintien de l’ordre qui étaient tout à fait inédites. J’ai le souvenir dès l’Acte II à Paris que les manifestants, dès 08h30, étaient déjà nassés et étaient déjà en train de se faire gazer par les forces de l’ordre. »
« Il y a eu ensuite le comportement dans les paroles : vous avez un gouvernement qui n’a pas dit un mot en soutien à tous les manifestants blessés depuis le début des manifestations. Ils n’ont pas eu un mot pour condamner les dérives quand même nombreuses de la part des policiers. Et donc ils ont laissé une impunité totale aux forces de l’ordre. On a vraiment le sentiment que tout a été fait pour jeter de l’huile sur le feu et monter au maximum le climat de tension dans le pays, favoriser au maximum les violences et in fine effrayer les gens pour que le mouvement soit étouffé et que les gens n’aillent plus manifester par peur d’être blessé, mutilé ou éborgné. » François Boulo, porte-parole des Gilets Jaunes
Tout comme Christophe Castaner qui a accusé le député Loïc Prud’homme de mentir à propos de l’agression policière dont il a été victime lors d’un Acte Gilet Jaune, le gouvernement a accueilli avec mépris l’accusation de l’ONU. Le Premier Ministre Edouard Philippe a notamment déclaré : « En France, on a un Etat de droit, il faudra expliquer à Madame le Haut-Commissaire l’ensemble des faits d’extrême violence notamment contre « les forces de l’ordre » ou les « biens publics ». »
Le terme « violences policières » est d’ailleurs fortement rejeté par l’exécutif qui préfère parler de légitime défense ou maintien de l’ordre, jusqu’à donner des scènes ubuesques où Christophe Castaner enseigne à des enfants de 8 ans, avec une approximation effarante, les endroits du corps que les policiers peuvent légalement viser avec les LBD.
Sommes-nous encore dans un État de droit ?
Si les Gilets Jaunes sont victimes de violences policières particulièrement fortes, les militants écolo subissent eux aussi une répression de plus en plus marquée, à l’image des conséquences juridiques lancées contre eux suite à l’action non-violente de décrocher les portraits d’Emmanuel Macron de certaines mairies. Il appartiendrait donc à l’Etat de définir ce qui relève de la violence inacceptable de ce qui relève d’une défense légitime, sans laisser l’opportunité aux citoyen-ne-s d’exprimer leurs opinions. Ainsi, « des violences contre des biens publics » justifieraient les débordements policiers au cours desquels des centaines de personnes ont été défigurées à vie, et une action non-violente pour alerter l’opinion publique sur un enjeu de société justifierait des poursuites en justice.
Dans un État de droit normal, la puissance publique est soumise au droit au même titre que les citoyen-ne-s. Il est donc possible pour un particulier de contester les actions de l’État ou d’un dirigeant politique s’il les considère comme illégales. Or, en marge de la répression policière, nous assistons ces derniers temps à un véritable démantèlement des dispositifs légaux auxquels les citoyen-ne-s peuvent recourir pour se protéger. Dans une tribune à Le monde, l’ancienne ministre de l’Écologie et avocate Corinne Lepage tire ainsi la sonnette d’alarme sur une liste qui s’allonge de plus en plus :
- Grand débat public national organisé de façon arbitraire en excluant la Commission nationale du débat public normalement chargée d’en assurer l’impartialité et la neutralité
- Suppression des enquêtes publiques qui permettent aux citoyen-ne-s de donner leur avis, voire leur veto, sur les grands projets d’aménagement de leurs territoires
- Difficulté croissante d’intenter des recours en justice contre certains gros acteurs privés qui bénéficient de régularisation protégeant leurs dérives
Alors que l’urgence climatique et sociale se ressent de plus en plus, de nombreux citoyen-ne-s s’interrogent désormais sur les marges de manœuvre à leur disposition pour faire entendre leurs revendications politiques, comme l’illustre l’échange entre Félicien Bogaerts et Vincent Verzat dans la vidéo ci-dessus. Si les marches pour le climat ne sont, pour la plupart, pas suivies d’actions gouvernementales concrètes en faveur de l’environnement, elles ont le mérite, tout comme les rassemblements des gilets jaunes, de montrer la durée dans le temps d’une prise de conscience de plus en plus forte.
Face à la répression et au mépris, Gilets Jaunes et mouvement écologiste lancent une convergence inédite : trois jours de sit-in sur une place parisienne jusqu’à « obtention des revendications » : « une baisse sérieuse de toutes les taxes et impôts sur les produits et services de première nécessité, avec un effort supplémentaire sur les produits bio, fabriqués en France ainsi que les produits recyclés », la mise en place du Référendum d’Initiative Commune (RIC) ainsi qu’une mesure sur « la baisse des rentes, salaires, privilèges et retraites courantes et futures » des élus et haut fonctionnaires.
Image à la une : Karine Pierre / Hans Lucas