Isolée dans le Pacifique Sud, l’île de Nauru est le troisième plus petit pays du monde avec une superficie de 21km2 et une population de 10 000 habitants. Nauru a été l’un des pays les plus riches du monde, avant de sombrer pour devenir un caillou stérile en proie à la corruption. Nauru, c’est l’histoire vraie de l’effondrement qui attend les sociétés industrielles si elles continuent à surexploiter leurs ressources.
D’une île paradisiaque à une exploitation de phosphate
L’histoire de Nauru est si tragique qu’elle devrait être connue de tous, et racontée encore et encore pour ne pas reproduire les mêmes erreurs. Surnommée « Pleasant Island » par les premiers occidentaux qui la découvrirent en 1798, nul n’imaginait alors le destin funeste qui attendait cette île paradisiaque.
Colonie allemande de 1888 à 1914, elle sera, après la découverte des gisements de phosphate, rapidement sous tutelle australienne de 1914 à 1968. L’île de Nauru devient le théâtre d’affrontements violents durant la Seconde Guerre Mondiale, et les Japonais réussirent à s’emparer de l’île de 1942 à 1945, période pendant laquelle ils déportèrent une grande partie des Nauruans. Traumatisés par la déportation, les Nauruans regagnent leur indépendance en 1968 et prennent le contrôle de l’exploitation du phosphate qu’ils nationalisent.
Cette nationalisation marque le début d’une période de faste économique pour les habitants de l’île qui perçoivent une grande partie des revenus générés par le phosphate. A tel point que l’île de Nauru fut le deuxième pays avec le PIB/hab le plus élevé au monde en 1974, derrière l’Arabie Saoudite. Charmés par les sirènes de la société de consommation, les Nauruans profitent de leur prospérité économique pour acheter en grand nombre voitures, télévisions dernier cri, et cesser leurs activités traditionnelles de pêche pour manger les plats préparés par les commerçants chinois attirés sur l’île par cette manne providentielle.
Un futur mal anticipé pour un présent dramatique
Dès la fin des années 1960, le gouvernement nauruan sait que l’exploitation du phosphate ne pourra durer qu’une trentaine d’années de plus, avant que les mines ne soient complètement taries. Hélas, les dirigeants nauruans, corrompus ou conseillés par des hommes d’affaires peu scrupuleux, feront des choix désastreux en voulant préparer le futur : une compagnie aérienne nationale qui s’avéra un gouffre économique, une comédie musicale sur Léonard de Vinci qui leur fit perdre 7 millions de dollars, ou des investissements immobiliers disproportionnés, comme d’immenses buildings à Melbourne et Washington ou un golf luxueux.
L’ingérence du gouvernement et la frénésie consumériste de ses habitants couplée à une mauvaise hygiène de vie conduisent le pays à sa perte lorsque les carrières de phosphate finissent par s’épuiser totalement en 2003. D’une extrême richesse, l’île est maintenant frappée par la misère et la pauvreté. Les sols, complètement épuisés par les mines de phosphate, sont impropres à toute culture. L’île croule sous les déchets, les habitants ont perdu leur savoir-faire traditionnel et ne savent plus subvenir à leurs propres besoins. Les nouveaux chiffres records de Nauru font frémir : taux de chômage de 90%, 80% de la population souffre d’obésité morbide et 40% d’un diabète de type II.
L’île de Nauru en est réduite à devenir un paradis fiscal, et accueillir les réfugiés de l’Australie qui subventionne grassement le petit état insulaire en échange de cette faveur. Depuis 2013, date de la réouverture du centre offshore de détention et de traitement des réfugiés sur Nauru, l’Australie a fourni environ deux tiers du PIB de Nauru, soit 170 millions de dollars, sous forme d’aide directe, de frais de visa et de paiements au gouvernement.
Le pire ? Alors que le gouvernement australien s’apprête à stopper l’envoi de réfugiés sur l’île de Nauru, et donc de moins les subventionner, les dirigeants de Nauru cherchent de nouveaux moyens d’assurer ses revenus et envisagent de forer les fonds marins pour en extraire du nickel, du cobalt et du manganèse nécessaires à « l’industrie verte » avec le projet « DeepGreen ». Après avoir détruit leurs sols, les voilà prêts à s’attaquer aux fonds marins.
L’histoire de Nauru devrait tous nous alarmer. Elle est la parfaite illustration d’un monde thermo-industriel courant à sa perte, obnubilé par le progrès et l’appât du gain, au détriment de ses ressources naturelles. Que se passera-t-il lorsque les ressources fossiles, dont les sociétés industrielles ont besoin, seront taries ? Aurons-nous construit des infrastructures résilientes au moment où nous en avons encore le temps ? Ferons-nous le choix de la sobriété ou serons-nous, comme à Nauru, les artisans de notre propre destruction ?
Image à la une : TORSTEN BLACKWOOD / AFP