A la fois Mohawk et Lakota, Makaśa Looking Horse, jeune femme originaire de la communauté Six Nations of the Grand River, s’est imposée comme l’une des voix les plus déterminées au Canada pour la justice de l’eau et les droits des peuples autochtones.
Sa mobilisation publique s’est cristallisée à l’occasion d’une crise : dans sa réserve de Six Nations, malgré la proximité de la rivière Grand River, près de 91 % des foyers n’avaient pas accès à une eau potable fiable au robinet début 2018.
Makaśa a dénoncé avec force l’extraction massive d’eau souterraine par des entreprises privées de mise en bouteille, en particulier Nestlé Waters Canada, qui prélevaient jusqu’à 3,6 millions de litres par jour pour les revendre, souvent aux communautés autochtones elles-mêmes, sans consultation ni bénéfices pour ces populations. Pour elle, cette injustice est un vol d’eau institutionnalisé et la négation du droit fondamental à l’eau potable.
Makaśa multiplie les actions contre la multinationale : actions en justice, prises de parole aux Nations unies et manifestations devant les usines. Lors de la Semaine mondiale de l’eau en 2018, elle organise une campagne sur les réseaux sociaux qui mobilise des milliers de personnes à travers le pays et conduit à l’envoi d’une lettre de cessation exigeant l’arrêt des activités de Nestlé Canada dans la région de Grand River. En mars 2021, l’entreprise vend finalement ses activités nord-américaines de mise en bouteille, une décision saluée comme une victoire partielle.
LR&LP : Vous avez grandi dans les Six Nations, imprégné des traditions mohawks et lakotas. Comment votre héritage culturel a-t-il façonné votre vision de l’eau et de la justice environnementale ?
Makaśa Looking Horse : Le jeûne fait partie des rites traditionnels que j’ai complétés quand j’étais plus jeune. C’est un moment très fort dans notre apprentissage, où se retrouver seul dans la nature, sans nourriture et avec très peu d’eau nous oblige à réfléchir, à observer, à entrer dans une autre relation avec le monde qui nous entoure et à se reconnecter à ce qui est essentiel.
On comprend à quel point l’eau est précieuse, on ressent physiquement et spirituellement que la vie dépend d’elle. Ce n’est pas une épreuve pour prouver quelque chose, c’est un enseignement pour apprendre qu’on a la responsabilité de la protéger pour les générations à venir.
Grandir entre les traditions mohawks et lakotas m’a donné une vision où les relations, la réciprocité et le respect des êtres vivants sont au centre de toute décision. C’est à partir de là que ma vision de la justice environnementale s’est construite.
Pour moi, l’eau n’est pas ni ressource économique, ni un produit de consommation. C’est un bien commun vital, un lien entre les générations, les communautés et la Terre.

Makasa porte une robe inspirée de la tenue traditionnelle de celle de son arrière-arrière-grand-mère, Martha Bad Warrior. Crédit : Eryn Wise & Randy Henry
LR&LP : Vous êtes impliquée dans la justice sociale autour de l’eau depuis votre adolescence. Quelles actions avez-vous menées ?
Makaśa Looking Horse : J’ai organisé des actions locales, comme des journées de sensibilisation et des manifestations, pris la parole devant des audiences larges, travaillé avec des structures de recherche et des aînés pour documenter l’impact sur nos eaux. J’ai aussi remis des lettres officielles aux compagnies extractives, contribué à des démarches juridiques et politiques menées par la communauté.
Je participe au projet de recherche et de sensibilisation Ohneganos (signifiant « l’eau est vie ») – un programme combinant connaissances autochtones, sciences environnementales et engagement communautaire – pour y accompagner des jeunes, animer des discussions autour de la qualité de l’eau, et promouvoir la souveraineté des peuples autochtones sur leurs ressources.
J’anime également le vodcast Let’s Talk Water pour connecter les jeunes et porter la voix des détenteurs de savoirs traditionnels dans des forums nationaux et internationaux.
LR&LP : Suite à vos actions, une lettre de cessation et de désistement exige que Nestlé Canada cesse toute activité dans la région de Grand River en 2018. Trois ans plus tard, la division eau de Nestlé en Amérique du Nord est vendue. On parle de victoire partielle, pouvez-vous nous en dire plus ?
Makaśa Looking Horse : Il ne faut pas confondre la vente commerciale avec une victoire judiciaire complète puisque le retrait ou la vente d’actifs par une multinationale ne règle pas le problème. De nombreuses questions légales et structurelles autour des droits sur l’eau, des permis provinciaux et des responsabilités restent ouvertes.
Nous avons obtenu des gains de visibilité et des concessions pratiques, mais le travail juridique et la réparation des dommages à long terme sont toujours nécessaires. Cela inclut notamment la reconnaissance de la souveraineté sur nos eaux, des audits indépendants des impacts sur les aquifères, des programmes de restauration écologique financés par les entreprises responsables, et des compensations pour les dommages à long terme, sur la santé, les écosystèmes et l’accès à l’eau.
LR&LP : Selon vous, quel rôle les jeunes autochtones jouent-ils dans la protection de l’eau ?
Makaśa Looking Horse : Les jeunes sont au cœur de ce mouvement, car nous sommes à la fois les héritiers et les protecteurs de ces ressources. On organise, on éduque, on relie les savoirs traditionnels avec la recherche scientifique en créant des médias, confrontant les compagnies et en mobilisant l’opinion publique.
La force des jeunes, c’est aussi de travailler en réseau, avec d’autres peuples, d’autres mouvements. Nous avons besoin de plus de personnes, autochtones et non autochtones, pour défendre nos intérêts et participer aux instances décisionnelles afin de soutenir l’accès à l’eau potable et les droits des Premières Nations.
Que l’on soit riche ou pauvre, quelles que soient ses conditions de vie, l’accès à l’eau potable est un droit fondamental.
Un autre monde est possible. Tout comme vivre en harmonie avec le reste du Vivant. Notre équipe de journalistes œuvre partout en France et en Europe pour mettre en lumière celles et ceux qui incarnent leur utopie. Nous vous offrons au quotidien des articles en accès libre car nous estimons que l’information doit être gratuite à tou.te.s. Si vous souhaitez nous soutenir, la vente de nos livres financent notre liberté.