La montée en puissance de l’intelligence artificielle, et plus particulièrement de l’IA générative, est « incompatible » avec les impératifs écologiques de décarbonation selon le nouveau rapport du think tank The Shift Project.
IA : la consommation énergétique des datacenters
La question de l’IA est intimement liée aux centres de données, point névralgique de l’empreinte carbone du secteur numérique. Ce dernier représentait, en 2022, 4,4 % des émissions nationales de Co2 selon l’Ademe, et de 3 à 4 % des émissions mondiales en 2020 d’après The Shift Project.
Des chiffres qui pourraient doubler à l’horizon 2050 « sans action pour limiter la croissance de l’impact environnemental du numérique » alerte l’Arcep, l’Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse.
La moitié des centres de données mondiaux fonctionnent grâce aux énergies fossiles. La trajectoire « business as usual » des entreprises développant l’IA fait craindre une absence, de leur part, de réflexion vis-à-vis de cette problématique.
« La rareté énergétique est perçue par le secteur numérique comme une contrainte à contourner plutôt qu’une incitation à la modération de l’offre, renvoyant aux systèmes énergétiques la responsabilité d’une transition vers la décarbonation » avertit le Shift Project dans son rapport Intelligence artificielle, données, calculs : quelles infrastructures dans un monde décarboné ?.
En 2030, la consommation énergétique des centres de données devrait atteindre une fourchette oscillant entre 1 250 et 1 500 TWh, contre de 530 TWh en 2023, selon une modélisation intégrée au rapport. La part de cette consommation attribuable à l’IA pourrait passer de 15 % en 2025 à au moins 35 % en 2030.
« En France : piloter ou subir ? »
Cette croissance n’est « pas anticipée » dans la planification actuelle du mix énergétique français. Les raccordements des centres de données au réseau électrique validés aujourd’hui pourraient atteindre leur capacité maximale d’ici 2035. Sans encadrement du développement, le système électrique pourrait être fortement « sous pression » d’ici là.
Le « risque de conflits d’usage » devrait croître, faisant craindre pour la transition écologique d’autres secteurs, pointe le Shift Project : mobilité électrique, chauffage, industrie, production d’hydrogène bas carbone.
Cette problématique pourrait rendre les objectifs carbones difficilement atteignables selon le rapport, qui propose une logique d’arbitrage pour encadrer le développement de l’IA.
Si « les leviers ne permettent pas de rendre la solution d’IA compatible avec le budget carbone de référence, elle doit être abandonnée, ou remplacée par une solution hors IA ».
« Organiser la décarbonation de la filière »
A l’étranger, certains pays ont déjà pris des mesures fortes face à la menace de surconsommation électrique. En 2021, l’Irlande a mis en place un moratoire sur les nouvelles demandes d’implantation des centres de données qui consomment déjà 20 % de l’électricité disponible, dépassant la consommation électrique des zones résidentielles urbaines.
Même mesure aux Pays-Bas, où les autorisations sont bloquées jusqu’en 2035 pour ne pas saturer le réseau électrique. Le très conservateur Etat du Texas, aux États-Unis, a promulgué une loi permettant de couper l’approvisionnement des centres de données en cas d’urgence pour éviter un black-out.
Dans l’Hexagone, c’est tout l’inverse qui se produit. Durant le Sommet pour l’action sur l’intelligence artificielle, 109 milliards d’euros d’investissements dans les centres de données et l’IA ont été annoncés par le gouvernement.
Pour inverser la tendance en France, le rapport du Shift Project formule plusieurs recommandations fortes. La première est de « définir et faire respecter une trajectoire-plafond de consommation électrique des centres de données ».
La seconde est d’optimiser l’IA en concevant des « modèles frugaux », c’est-à-dire conçus pour accomplir leurs tâches avec une consommation minimale de ressources (énergie, données, puissance de calcul). Cela implique de réduire la taille des modèles, d’optimiser leur entraînement et leur déploiement, tout en limitant les impacts environnementaux liés à la fabrication du matériel informatique (puces, serveurs, data centers) sur lequel ces IA reposent.
Enfin, le think tank insiste sur le fait qu’il faudra veiller à ce que l’essor de l’intelligence artificielle ne capte pas l’essentiel des financements publics et de l’attention médiatique ou politique au détriment des enjeux cruciaux de la transition énergétique.
Le rapport est un message d’alerte. La « soutenabilité énergie-carbone » du secteur dépendra de visions « politiques, économiques et stratégiques » coordonnées entre développement numérique et impératifs climatiques.
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