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La France et l’UE exportent des pesticides interdits : du « racisme environnemental »

Les travailleurs et travailleuses agricoles et les populations locales paient le prix fort de cette hypocrisie européenne. Ils et elles sont nombreux·ses à développer des pathologies graves liées à l'exposition à ces substances toxiques.

Malgré les engagements pris et les lois votées, la France continue d'exporter des milliers de tonnes de pesticides interdits sur son territoire vers des pays aux réglementations moins strictes. Une pratique dénoncée comme du "racisme environnemental" par les Nations Unies.

Des volumes en hausse constante

Les chiffres sont alarmants. En 2024, les pays de l’Union européenne ont approuvé l’exportation de près de 122 000 tonnes de pesticides interdits sur leurs sols, soit une hausse de 50% par rapport aux 81 000 tonnes de 2018.

La France figure parmi les principaux exportateurs de ces substances toxiques, avec des volumes qui ne cessent d’augmenter malgré les réglementations censées limiter cette pratique.

L’interdiction progressive d’une centaine de nouveaux pesticides depuis 2018, s’est ensuite ajoutée à la liste des substances exportables vers les pays tiers contribuant à cette augmentation des volumes.

En clair : des produits jugés trop dangereux pour les citoyens européens continuent d’être fabriqués et vendus dans le monde. Mais ne nous trompons pas, ils nous reviennent dans les produits que nous importons !

Les failles de la loi Egalim

Adoptée en 2018, la loi Egalim promettait de mettre fin à cette pratique en interdisant la production, le stockage et la circulation des pesticides proscrits en France. Pourtant, les enquêtes menées par les ONG Public Eye et Unearthed révèlent les échappatoires.

François Veillerette, porte-parole de Générations Futures, explique les subtilités de ces failles, à La Relève et La Peste : « L’Europe examine les dossiers des substances que présentent les industriels. Pour une première autorisation, ils doivent déposer un dossier et faire des demandes d’autorisations. Mais ensuite, pour le renouvellement, il faut que l’industriel dépose un dossier. »

Cette situation technique permet aux entreprises de contourner les interdictions. « Si vous ne déposez pas de dossier de renouvellement d’autorisation, il ne va pas être autorisé, mais il n’y aura pas de non-approbation ou non-renouvellement non plus. Et c’est là que se trouve le biais, une possibilité de continuer à tricher. La substance continue à être exportée », précise-t-il.

Un business juteux pour les multinationales

Les géants de l’agrochimie continuent de prospérer grâce à ce commerce. BASF domine le marché avec plus de 33 000 tonnes de pesticides interdits annoncées à l’exportation en 2024, suivi par Syngenta avec près de 9 000 tonnes. Ces entreprises transfèrent parfois leurs activités de production vers des pays aux réglementations plus souples, comme l’Allemagne, devenu le principal hub européen pour ce commerce toxique.

Parmi les substances les plus exportées figurent :

  • Le dichloropropène (1,3-D), classé cancérogène probable, avec plus de 20 000 tonnes exportées,
  • Le glufosinate, un herbicide pouvant provoquer des troubles de la fertilité,
  • Les néonicotinoïdes, ces « tueurs d’abeilles » interdits dans l’UE depuis 2019,
  • Le mancozèbe, un perturbateur endocrinien dangereux pour la fertilité.

Les trois-quarts des 93 pays importateurs sont des nations à revenu faible ou intermédiaire, particulièrement vulnérables aux risques sanitaires et environnementaux. Le Brésil, premier marché mondial des pesticides, reçoit près de 15 000 tonnes de ces substances toxiques « made in Europe ». L’Afrique n’est pas épargnée, avec 9 000 tonnes destinées au continent, principalement vers le Maroc et l’Afrique du Sud.

« Du racisme environnemental » selon l’ONU

Marcos Orellana, rapporteur spécial des Nations Unies sur les produits toxiques et les droits humains, dénonce fermement cette pratique qu’il qualifie de « double standard odieux » et de « forme d’exploitation moderne dont la connotation raciale ne peut être ignorée ».

Pour lui, cette situation révèle que « la vie et la santé des populations des pays destinataires ne sont pas aussi importantes que celles des citoyens européens ».

François Veillerette partage cette indignation morale : « Dans le principe on interdit telle substance parce qu’on la juge dangereuse pour notre environnement ou la santé. Mais il est toléré qu’on l’exporte. Au nom de telle ou telle règle de libre échange, on tolère que d’autres humains, surtout dans des pays vulnérables, ou d’autres environnements en subissent les conséquences délétères. C’est un cynisme intolérable. »

Pour le militant écologiste, « c’est moralement indéfendable » d’autant plus que « des sociétés basées en Europe en tirent des bénéfices financiers sonnants et trébuchants.»

Cette critique fait écho aux témoignages d’organisations locales, comme celui de Kara Mackay, coordinatrice de campagnes pour l’organisation sud-africaine Women on Farms : « Envoyer des pesticides interdits en Afrique révèle la pensée raciste et coloniale dont l’Europe souffre encore. »

Un cercle vicieux qui nous impacte tous

Cette hypocrisie du système a été mise en lumière dans l’émission « Vert de rage » qui a révélé la présence de résidus de cinq pesticides interdits dans plusieurs aliments consommés en France, tous ayant été exportés depuis l’Hexagone.

« Au-delà de la morale, nous en subissons les conséquences puisqu’en tant que consommateur, nous retrouvons ces substances dans notre assiette, notamment avec les produits importés du Brésil, mais pas seulement. La boucle est bouclée », souligne François Veillerette.

« Ces produits toxiques peuvent également revenir dans les produits carnés, si les données sont plus rares sur ce sujet, il y en a quand même un peu, documentées par les ONG sur place. »

On crée ainsi une concurrence déloyale pour les agriculteurs européens qui contribue à les appauvrir tout en continuant à faire prospérer l’agro-chimie.

« Cela freine l’évolution des agricultures des pays exportateurs comme des pays importateurs. Et cela ne fait pas évoluer l’agriculture mondiale », déplore le porte-parole de Générations Futures.

L’inaction européenne pointée du doigt

Malgré les promesses de la Commission européenne en 2020 de « montrer l’exemple » et de mettre fin à ces exportations, les initiatives restent lettre morte. Le processus initié pour interdire ces exportations est victime des pressions exercées par le lobby de l’agrochimie. François Veillerette observe un changement de paradigme inquiétant.

« On est dans une période où alors qu’un moment, il était de bon ton de montrer qu’on était bons en matière environnementale, on passe à un moment où il ne faut surtout pas faire plus que les autres. C’est le ‘pas d’interdiction sans solution’ qui est très à la mode à côté de la FNSEA. On tire tout le monde vers le bas au motif des distorsions de concurrence entre les pays tiers et ça ralentit tout progrès, toute tentative de retrait de substances dangereuses. »

« Notre boussole aujourd’hui, c’est juste le commerce international », regrette-t-il. « Le fait de vouloir absolument une agriculture à forte vocation exportatrice pousse à ça. Et pourtant voilà une chose qui pourrait se discuter ! En tout cas, quand on exporte des produits chimiques dangereux, il n’y a pas de justification acceptable. »

Avec le contexte politique actuel et les appels à la déréglementation, cette réforme risque d’être définitivement enterrée.

Un enjeu de santé publique mondiale

Face à cette inaction, une coalition de plus de 600 ONG et syndicats a manifesté en juin 2025 à Bruxelles, exigeant de la présidente de la Commission européenne qu’elle tienne ses promesses. Sept pays européens, dont la France, le Danemark et les Pays-Bas, ont également adressé une lettre à la nouvelle commissaire à l’environnement pour réclamer une interdiction immédiate à l’échelle européenne.

De leur côté, les ONGs lancent un travail commun pour mettre en place une continuité d’actions, notamment dans le cadre du réseau paneuropéen : Pesticide Action Network, dont François Veillerette a été président une dizaine d’années. Tous les pays sont représentés, même la Suisse.

En effet, au-delà des considérations morales et éthiques, cette pratique est un danger sanitaire pour les populations et un coût pour les budgets de santé nationaux colossal. Les agences onusiennes alertent sur les risques accrus liés à l’utilisation de pesticides extrêmement dangereux dans les pays à revenus faibles ou intermédiaires, où les moyens de protection et de contrôle sont souvent insuffisants.

Les travailleurs et travailleuses agricoles et les populations locales paient le prix fort de cette hypocrisie européenne. Ils et elles sont nombreux·ses à développer des pathologies graves liées à l’exposition à ces substances toxiques. Aux États-Unis, Syngenta fait face à des centaines de plaintes d’agriculteurs et d’agricultrices atteints de la maladie de Parkinson, qu’ils attribuent à l’exposition au paraquat.

Cette situation révèle l’urgence d’une réglementation européenne et française véritablement efficace. Il ne suffit plus d’interdire l’usage de pesticides dangereux sur son territoire si c’est pour continuer à les exporter massivement vers des pays moins protégés.

La cohérence des politiques publiques européennes est en jeu, ainsi que la crédibilité de l’Union européenne sur la scène internationale. Comme le souligne Magnus Heinicke, ministre de l’environnement du Danemark : « Il s’agit d’une question de responsabilité morale et politique. »

Face aux intérêts économiques des multinationales de l’agrochimie, il appartient aux citoyens et aux organisations de la société civile de maintenir la pression pour que cessent enfin ces exportations de la mort vers les pays les plus vulnérables.

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Isabelle Vauconsant

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