Tout au long de l’été, de nombreux sites ont dû être interdits à la baignade et des chiens sont morts après avoir bu l’eau de certaines rivières. En cause : la prolifération des cyanobactéries. Un phénomène qui s’accélère avec le changement climatique et les activités humaines.
Le phénomène d’eutrophisation
« Tous les ans, entre 25 et 50 chiens meurent à cause des cyanobactéries en France », rapporte Christophe Tonnaire, président de l’association Cyanobactéries alerte, pour La Relève et La Peste.
Si le risque pour les chiens est de mieux en mieux connu, 13 sont encore morts cette année. Parmi eux, un berger australien de deux ans est mort début août, après avoir ingurgité des cyanobactéries dans la rivière d’Ain.
Selon l’Anses, aucun décès lié aux cyanobactéries n’a été rapporté chez l’homme en France et 95 cas d’intoxication ont été recensés entre janvier 2006 et décembre 2018, un chiffre largement sous-estimé, reconnait l’agence.
Les cyanobactéries sont parfois surnommées algues bleues, même s’il s’agit bien de bactéries et non d’algues et qu’il en existe toute une palette de couleurs. Certaines sont sans risque, tandis que d’autres libèrent des toxines nocives pour la santé humaine et les animaux.
Deux types de cyanobactéries sont à distinguer : les cyanobactéries planctoniques et les cyanobactéries benthiques. Les cyanobactéries planctoniques se trouvent dans les plans d’eau, les lacs, les étangs et les mares, où elles sont en suspension dans l’eau.
« Les températures élevées, favorisées par le changement climatique, représentent l’un des facteurs qui favorisent leur prolifération au détriment d’autres micro-organismes », explique Benjamin Marie, chercheur CNRS travaillant au Muséum National d’Histoire Naturelle au sein de l’équipe Cyanobactéries et Environnement, pour La Relève et La Peste.
Ces proliférations de cyanobactéries sont également favorisés par les phénomènes d’eutrophisation, qui se traduisent par l’excès dans les milieux aquatiques de nutriments tels que l’azote et le phosphore, lié en partie à l’agriculture conventionnelle.
« Si on veut diminuer la fréquence des proliférations des cyanobactéries, des efforts sont à faire pour réduire cette eutrophisation des eaux », souligne Benjamin Marie, évoquant également les activités de pêche, l’agriculture et le ruissellement des eaux urbaines. « Les usages au niveau des bassins versants doivent être modifiés »
L’absence de vent, rendant l’eau stagnante, ainsi que la faible profondeur de certains plans d’eau artificiels contribuent également aux prolifération de certaines cyanobactéries.
Les cyanobactéries sont fatales pour les chiens
Quant aux cyanobactéries benthiques, elles se développent surtout dans les eaux peu profondes des rivières et des ruisseaux, moins fréquemment dans les plans d’eau et les lacs.
« Le principal facteur aggravant de la prolifération des cyanobactéries dans les cours d’eau est la baisse du niveau et du débit des eaux l’été. Cela entraîne davantage de lumière dans les fonds aquatiques et moins de brassage par le courant. Les cyanobactéries se développent alors sur divers substrats, comme des roches ou des sédiments, où elles vont former des biofilms qui tapissent le fond du lit de la rivière », détaille Benjamin Marie.
La baisse du niveau des eaux s’explique par les fortes températures qui favorisent l’évaporation, mais aussi par les différents usages des cours d’eau, comme le prélèvement d’eau et les barrages. Contrairement aux plans d’eau, l’eutrophisation ne joue ici qu’un rôle minime et négligeable dans la prolifération des cyanobactéries dans les rivières.
Les biofilms de cyanobactéries finissent par se décoller et forment des « flocs », chargés en neurotoxines et qui remontent à la surface, et finissent par échouer au niveau des berges.
« Les chiens ont curieusement une forte appétence pour ces amas de cyanobactéries. Et en cas d’ingestion, les neurotoxines, en particulier des anatoxines-a, induisent une paralysie musculaire pouvant entraîner un arrêt respiratoire et le décès en quelques minutes. »
Si la quantité ingérée n’est pas trop importante, l’animal peut s’en sortir. « Il n’existe pas d’antidote », précise Christophe Tonnaire, l’association Cyanobactéries Alerte étant chargée de centraliser les informations concernant les intoxications animales et de les transmettre au centre antipoison. « Dans plus d’un cas sur deux, le chien meurt. »
Pour ce qui est du risque associé à la baignade dans ces cours d’eau infestés par les cyanobactéries, « nous ne savons pas bien l’évaluer car nous n’avons pas à ce jour toutes les connaissances fondamentales relatives aux doses toxiques », note Benjamin Marie. Par précaution, l’exposition doit être limitée dès lors que des toxines sont détectées.
En 2021, un couple, son enfant d’un an et son chien sont décédés à proximité du parc de Yosemite aux Etats-Unis après avoir utilisé un système de filtration d’eau pour boire l’eau d’une rivière, alors qu’elle était contaminée par des cyanobactéries benthiques.
Des cyanobactéries libérant des anatoxines-a peuvent également être présentes dans les plans d’eau, comme ce fut le cas dans une base de loisirs de Montélimar en mai 2024, où la baignade a dès lors été interdite.
« Neuf enfants ont développé de la fièvre, des maux de tête et des courbatures », rapporte Christophe Tonnaire. L’Agence régionale de santé n’a toutefois pas établi de manière formelle le lien avec les cyanobactéries.
A cette période de l’année, personne ne s’attendait à la présence déjà massive de cyanobactéries. « D’année en année, la période de prolifération commence de plus en plus tôt et se termine de plus en plus tard », constate le président de l’association.
Cyanobactéries benthiques sur le Cher en France. © C. Quiblier
Des risques sanitaires méconnus
Dans les lacs et les plans d’eau, ce sont le plus souvent des cyanobactéries libérant des microcystines – des hépatotoxines puissantes – et des dermatotoxines qui pullulent.
« Des seuils basés sur la quantité que pourrait ingérer un enfant qui se baigne pendant une certaine durée ont été définis pour différentes toxines. Ils permettent d’encadrer les différents usages au regard des risques de toxicité aiguë », précise Benjamin Marie.
Selon Christophe Tonnaire, « les risques pour la santé humaine sont encore trop peu connus. Les interdictions de baignade sont souvent perçues comme des précautions inutiles ».
Les microcystines ont pourtant des effets hépatotoxiques qui peuvent se manifester rapidement. Un cas emblématique d’intoxication aiguë a été rapportée dans la revue médicale New England Journal of Medicine en 1998 : sur 101 patients dialysés, 50 sont morts après avoir développé une insuffisance hépatique, alors que l’eau utilisée pour la dialyse était contaminée par ces cyanobactéries.
« Des individus peuvent parfois être hospitalisés pendant deux à trois jours après avoir bu la tasse. Des symptômes comme des nausées, des vomissements et des maux de tête doivent alerter », décrit le chercheur.
On retrouve également dans les plans d’eau et les lacs des dermatotoxines, qui peuvent entraîner des irritations de la peau et des dermatites. Concernant les effets à long terme des cyanobactéries, en dehors du risque reprotoxique qui est désormais reconnu, « ils restent encore difficiles à appréhender », reconnaît Benjamin Marie.
« Il faudrait mettre en place des protocoles spécifiques pour évaluer correctement leurs effets. Mais cela coûte très cher et comme il n’y a pas « mort d’homme », on considère qu’il ne s’agit pas d’un problème de santé publique majeur et on met l’argent ailleurs. »
La faune touchée par les cyanobactéries
Au-delà des effets néfastes sur la santé humaine et les chiens, les cyanobactéries affectent également les écosystèmes. « Les proliférations de cyanobactéries qui produisent des toxines – dites toxinogènes – sont clairement corrélées à une perte de biodiversité, en particulier de la faune », rapporte le chercheur.
Les cyanobactéries planctoniques peuvent également être ingurgitées par les poissons qui vont à leur tour être contaminés par ces toxines.
« Par précaution, les préfets interdisent la consommation des poissons en général pendant deux semaines, mais ce n’est pas clairement réglementé car nous manquons de données objectives », souligne Benjamin Marie.
« A la base, notre objectif était de protéger les chiens, mais en fait, nous touchons à l’activité économique de tous les acteurs de l’eau : les gestionnaires des plans d’eau, les pêcheurs, les agriculteurs ou encore la mairie », constate le président de l’association, qui pointe parfois des conflits d’intérêt.
Alors que l’été touche à sa fin, l’association Cyanobactéries Alerte se prépare déjà pour l’été suivant.
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