Installé depuis près de 10 000 ans en Laponie, les Samis sont considérés comme le dernier peuple autochtone d’Europe. Mais leur activité traditionnelle, l’élevage de rennes, est menacée par des projets industriels présentés comme essentiels à la croissance verte.
La colonisation des territoires Samis
Pendant près de 10 000 ans, les Samis et leurs ancêtres ont vécu sur un territoire appelé Sápmi, à cheval entre la Norvège, la Suède, la Finlande et la péninsule de Kola (Russie). Nomades vivants en petits groupes familiaux, les Samis étaient animistes et vivaient de cueillette, de pêche et de chasse aux rennes sauvages.
Ils occupaient une zone difficile à contrôler par des États, relativement à l’écart des dynamiques de sédentarisation, de construction étatique et de christianisation du reste de l’Europe.
Mais à partir du XVIIe siècle, les royaumes scandinaves s’étendent vers le nord et cherchent à intégrer le Sápmi à leurs frontières. Les Samis, appelés péjorativement Lapons – d’où le terme Laponie -, subissent alors la soumission à l’impôt, la christianisation forcée et sont chassés de leurs terres.
L’intensification des interactions entre les Samis et les Scandinaves, décuple aussi la pression sur les écosystèmes. Pour faire face à la baisse du nombre de proies sauvages et à l’intégration progressive dans un système marchand, les chasseurs de rennes se convertissent à l’élevage.
Au XIXe siècle, des mines, des lignes ferroviaires et des villes se développent pour exploiter le riche sous-sol du Sápmi. La région perd sa difficulté d’accès et se peuple de Scandinaves. En parallèle, les Samis subissent la politique de « norvégianisation ».
« Ils ont été méprisés, cette politique les obligeait à parler uniquement norvégien et visait à éradiquer leur culture », explique Marie Roué, éco-anthropologue, directrice de recherche émérite au CNRS et au Muséum National d’Histoire Naturelle, pour La Relève et La Peste.
Au XXe siècle, l’exploitation du Grand Nord devient l’un des principaux moteurs de croissance des États scandinaves. Les Samis sont chassés de leurs terres pour l’exploitation minière, les barrages hydrauliques engloutissent des pâturages, l’exploitation forestière s’industrialise.
Le 11 octobre 2021, la Cour suprême de Norvège conclut que deux parcs éoliens violent les droits du peuple Sami. Deux ans plus tard, en octobre 2023, une centaine de militants samis, habillés en tenue traditionnelle, bloquent à plusieurs reprises l’entrée de ministères pour réclamer le démantèlement des éoliennes toujours en activité.
La militante suédoise Greta Thunberg, qui a rejoint la lutte, dénonce alors une « colonisation systématique », ajoutant que « la violation des droits humains et l’oppression demeurent une réalité pour les Samis aujourd’hui ».
Delta de Laidaure, dans le Sápmi © Eloi Boyé
Entre adaptation et conservation d’un mode de vie
Face à ces bouleversements les Samis ont dû s’adapter tout en essayant de conserver leurs modes de vie. Certains, vivant près des côtes, ont dû se spécialiser dans la pêche, d’autres dans l’élevage de rennes.
Aujourd’hui moins de 10 % des 80 000 à 100 000 samis, vivent encore de cette activité. Les éleveurs restants ont dû augmenter la taille de leurs troupeaux : notamment pour investir dans les voitures et motoneiges aujourd’hui essentielles à l’élevage. Beaucoup ont également une activité annexe, souvent liées au tourisme.
« Ils maintiennent souvent une multi activité pour ne pas être dépendants ni d’une ressource, ni d’un marché. Ils ont donc une très forte résilience, explique Marie Roué. Aujourd’hui, c’est une économie mixte. C’est une continuation d’une tradition et en même temps une adaptation à l’époque moderne. Les éleveurs continuent à manger leurs rennes et à utiliser la peau, mais la vendent aussi comme viande de boucherie. »
Habitation traditionelle samie, comté de Troms Norvège © Eloi Boyé
« Je mange de la viande de renne, et ma femme fait des chaussures avec la peau » témoigne Per Olof Kuhmunen, éleveur de rennes dans le nord de la Suède, pour la Relève et La Peste.
Avec son épouse, ils passent l’été près des montagnes du parc national de Sarek où paissent les rennes. Ils vivent dans des mobil-homes modernes, à côté des anciennes goahti, des huttes à armatures de bois, recouvertes de mousses, de tourbe ou de terre.
Tandis que Per Olof part durant plusieurs jours pour marquer les jeunes rennes dans la montagne, sa compagne pêche dans le grand lac à côté du campement. L’hiver, ils habitent dans la ville de Jokkmokk, peuplée par de nombreux éleveurs de rennes Samis.
Si une petite minorité de Samis sont encore éleveurs de rennes, ces cervidés continuent d’occuper une place centrale dans leur culture. La perte de pâturage au profit d’autres activités économiques – minières, forestières ou production d’électricité – est ainsi mise en avant pour illustrer les menaces qui pèsent sur l’ensemble des Samis.
Un troupeau de rennes en Norvège © Ane Malene Nordeng
L’étau du colonialisme vert et le réchauffement climatique
La pratique du pastoralisme semi-nomade rend les Samis dépendants des conditions de pâturage et de circulation des troupeaux sur de vastes territoires. Ainsi, dans le nord de la Suède, les rennes pâturent l’été dans les montagnes et descendent passer l’hiver dans les forêts.
Ils subissent donc l’industrialisation de la gestion forestière qui détruit les lichens dont se nourrissent les rennes. Ils sont aussi impactés par les conséquences de l’exploitation minière qui empiète sur leurs territoires, coupant les voies de migration des rennes.
Ces mines sont aujourd’hui présentées comme essentielles à la transition énergétique et comme neutres en carbone. La société Beowulf Mining, qui prévoit d’exploiter la mine de fer de Gállok, près de Jokkmokk, promet ainsi une « exploitation minière durable alimentée par de l’électricité renouvelable. »
« Une mine dans cette zone causerait des dommages environnementaux graves et irréversibles, avec des conséquences considérables pour la faune, les communautés locales et, en particulier, pour l’élevage traditionnel de rennes » réplique le groupe Jåhkågaska tjiellde, la communauté sami locale.
Samis protestant contre le projet minier de de Gállok, à Jokkmokk en juin 2022. © Simon Maraud
La justification de l’exploitation des territoires samis par le développement durable est également très utilisée dans le pays voisin.
« En Norvège, le principal problème réside dans les éoliennes, mais aussi dans l’exploitation minière. Nous luttons contre le « colonialisme vert »», affirme Petter, Sami habitant le comté de Troms, dans le nord de la Norvège.
Deux parcs éoliens ont par exemple été construits par le groupe énergétique public Statkraft sur des zones d’élevage de rennes de la péninsule de Fosen, à l’ouest du pays. La construction de ces 151 éoliennes a été déclarée illégale en 2021 par la Cour suprême de Norvège, les juges estimant que « les parcs éoliens portaient atteinte au droit des éleveurs de rennes à jouir de leur propre culture ».
« En juillet 2025, près de quatre ans après la décision, les éoliennes fonctionnent toujours », constate pourtant Petter. « Le gouvernement ne respecte pas la décision de la Cour suprême » ajoute ce militant, qui lutte aussi contre un projet de mine de cuivre, matériau très prisé pour la transition énergétique.
En effet, si l’économie norvégienne repose en grande partie sur l’exportation de pétrole et de gaz naturel, le pays se présente désormais comme un champion de la décarbonation. Près de la moitié du mix énergétique intérieur repose sur l’électricité, dont environ 90 % provient de l’hydroélectrique.
« La Norvège et la Suède ont construit toute leur richesse de l’extractivisme dans les territoires samis, explique Marie Roué. Le pétrole a rendu les Norvégiens riches et ils le savent. Aujourd’hui il y a une volonté d’exploiter les ressources jusqu’au bout pour conserver leur niveau de vie. »
Samis protestant contre le projet minier de de Gállok, à Jokkmokk en juin 2022. © Simon Maraud
Pour la chercheuse, l’exploitation des territoires samis pour des projets éoliens, miniers et hydroélectriques se place dans la continuité de l’histoire coloniale du Sápmi.
« La Norvège prétend imposer un verdissement de sa politique, dénonce-t-elle. Mais comme par hasard, ça veut dire 150 éoliennes sur un territoire d’élevage de renne sami. En réalité, c’est un colonialisme vert. »
En parallèle, les éleveurs de rennes samis subissent de plein fouet les conséquences du changement climatique, la région Arctique se réchauffant deux fois plus vite que le reste du globe.
Les redoux et les pluies hivernales provoquent des épisodes de fonte des neiges puis de regel, créant une couche de glace empêchant aux rennes d’accéder au lichen dont ils se nourrissent, ce qui obligent les éleveurs à acheter des aliments pour leurs animaux.
Dans leur ouvrage Future in Sápmi (AgroParisTech, 2025), Marie Roué et ses quatre coéditeurs mentionnent l’inquiétude des samis face à cette double menace climatique et coloniale. Mais les chercheurs soulignent aussi les résistances : car les Samis tentent de s’organiser collectivement pour obtenir le droit à la terre.
« Ces projets d’exploitation alimentent aussi les revendications à plus d’autonomie et les luttes pour affirmer les droits autochtones au sein de sociétés dominantes » affirment-ils.
S’informer avec des médias indépendants et libres est une garantie nécessaire à une société démocratique. Nous vous offrons au quotidien des articles en accès libre car nous estimons que l’information doit être gratuite à tou.te.s. Si vous souhaitez nous soutenir, la vente de nos livres financent notre liberté.