Et si les oiseaux voyaient le champ magnétique ? Chez le rouge-gorge, une protéine dans la rétine ferait office de boussole visuelle. Une capacité que partageraient bien d’autres oiseaux… et peut-être même d’autres espèces.
Voir le champ magnétique de la Terre ? Cela semble relever de la science-fiction, mais c’est pourtant une réalité bien documentée chez le rouge-gorge européen. Grâce à une molécule présente dans leur œil, ces migrateurs nocturnes pourraient percevoir les lignes de force magnétiques comme une boussole visuelle intégrée à leur champ de vision.
« En manipulant uniquement l’inclinaison du champ magnétique dans des cages d’orientation, les oiseaux perdaient leurs repères. C’est là que les scientifiques ont compris que ce paramètre jouait un rôle clé dans leur navigation », explique Maxime Zucca, ornithologue et co-auteur de notre livre-journal ANIMAL, pour La Relève et La Peste.
En 2021, une équipe germano-britannique a clairement identifié le mécanisme : il repose sur le cryptochrome 4, une protéine photosensible présente dans la rétine des rouges-gorges.
« Ces photopigments activent des zones cérébrales liées à la vision, ce qui laisse penser qu’ils perçoivent le champ magnétique visuellement », explique Maxime Zucca, auteur de “La Migration des oiseaux” (Ed. Sud-Ouest).
Activée par la lumière bleue, cette molécule déclenche une réaction basée sur le principe des paires radicales : des électrons non appariés, excités par la lumière, réagissent différemment selon l’orientation du champ magnétique.
Un véritable GPS dans l’œil droit
Le résultat pour l’oiseau ? La potentielle apparition de zones d’ombre, de lumière, ou de légères variations de couleur dans son champ visuel – une sorte de boussole intégrée indiquant la bonne direction.
« Il est possible qu’ils puissent voir ces champs comme des motifs superposés à leur vision normale” » affirmait, en 2010, le biophysicien américain Klaus Schulten à National Geographic. « Nous ne sommes pas dans la tête de l’oiseau », tempère toutefois Maxime Zucca auprès de La Relève t La Peste.
Et le plus étonnant : cette faculté ne se limite pas aux migrateurs. « Tous les oiseaux en seraient capables, y compris des espèces qu’on pense sédentaires, comme certains merles », souligne l’écologue.
Mais cette vision magnétique a ses exigences : elle ne fonctionne que dans l’œil droit, et à condition que l’image soit nette.
En recouvrant un œil de verre dépoli, des chercheurs de l’Université Goethe ont montré que les oiseaux perdaient aussitôt leur sens de l’orientation – à condition que ce soit l’œil droit. Avec l’œil gauche voilé, pas de problème : le rouge-gorge continue de viser plein nord.
Ce sens magnétique est donc visuel, directionnel, dépendant de la lumière bleue… et orchestré par le cerveau. Les chercheurs ont identifié une région cérébrale bien définie – le cluster N (spécifique à l’orientation de nuit) – qui traite les signaux magnétiques perçus par la rétine. En désactivant cette zone, des scientifiques allemands ont observé que les oiseaux devenaient incapables de s’orienter magnétiquement.
Rouge-gorge en plein vol – Crédit : Kart / iStock
Une migration de 2 000 kilomètres… en pleine nuit
D’un point de vue évolutif, cette capacité est un atout incroyable pour les espèces migratrices. Elle leur permet de parcourir des milliers de kilomètres, souvent de nuit, sans repères visuels. Et cela sans même recourir aux cristaux de magnétite présents dans le bec de certains oiseaux – longtemps considérés comme responsables de la magnétoréception, mais aujourd’hui relégués au second plan.
Fait troublant : les niveaux de cryptochrome 4 dans l’œil augmentent pendant les périodes de migration, comme s’il s’agissait d’un “mode boussole” activé en saison.
Les rouges-gorges en tirent pleinement parti : certains restent en France toute l’année, mais à l’automne, leurs cousins nordiques les rejoignent, après des trajets nocturnes en solitaire de près de 2 000 kilomètres.
« À partir du mois de septembre, on a plein de rouges-gorges qui arrivent en migration depuis la Scandinavie et la Russie », note Maxime Zucca pour La Relève et La Peste.
D’autres espèces sont elles aussi capables d’utiliser le champ magnétique
Les prouesses d’orientation des oiseaux continuent de déjouer nos certitudes.
« Ce qui fascine, c’est qu’un rouge-gorge qui n’a jamais vu la Méditerranée ou le Sahara sait qu’il doit se nourrir davantage avant de les traverser. Il y a donc une mémoire innée de certains repères », souligne l’ornithologue.
Et cette faculté de navigation ne se limite pas aux oiseaux : les tortues marines caouanne retrouvent avec une précision stupéfiante leur plage de naissance, parfois vingt ans après l’avoir quittée, tandis que les saumons du Pacifique remontent leur rivière natale à des milliers de kilomètres de l’océan, guidés en partie par les lignes magnétiques de la Terre.
L’humain – tout comme peut-être les autres primates – semble avoir laissé derrière lui cette capacité d’orientation magnétique. « C’est sans doute une régression évolutive, observe Maxime. Nous n’en avons plus réellement besoin ».
Pourtant, des traces de magnétite persistent dans notre organisme. De quoi supposer que certains individus seraient plus réceptifs que d’autres aux champs électromagnétiques ? Une hypothèse encore non élucidée.
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