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Data Centers : le cheval de Troie numérique de l’État français

« Il n'y a aucun doute sur le fait que toutes les dérogations possibles et imaginables seront accordées aux datacenters si les États considèrent que c'est un instrument de puissance géopolitique »

Pour faire de la France un pôle majeur d’accueil des data centers, le gouvernement multiplie les efforts, au détriment du droit de l'environnement et de la participation citoyenne.

La France accueille sur son territoire plus de 300 data centers, ce qui en fait le sixième pays au monde en nombre d’installations de ce type. Les récentes déclarations d’Emmanuel Macron à l’occasion du Sommet pour l’action sur l’Intelligence Artificielle (IA) font craindre une prolifération effrénée de ce type d’infrastructure. 

« Il y a un plan du gouvernement d’investir beaucoup plus dans l’IA. Macron a annoncé lors du Sommet pour l’action sur l’IA qu’il y a un investissement de 109 milliards d’euros pour créer une capacité en data centers en France. Il a déclaré que du fait de notre puissance électrique et nucléaire, et grâce à notre large part d’énergie décarbonée, on peut se permettre d’installer des datacenters sans aucun problème », explique Théo Alvares Da Costa à La Relève et la Peste. 

Projet d’Intérêt National Majeur : un passe-droit pour les géants du numérique

L’objectif est affiché : faire de la France une terre d’accueil pour ces infrastructures insatiables en eau et en énergie. C’est dans le récent Projet de loi de simplification de la vie économique que se dessine le premier cadre légal facilitant ces implantations sur le territoire. L’article 15 veut permettre l’installation de data centers d’envergure – d’une surface de 40 ha minimum – en leur attribuant le statut de “Projet d’Intérêt National Majeur” (PINM). 

Le projet de loi a été validé par l’Assemblée nationale mardi 17 juin. La version votée à l’Assemblée étant différente de celle votée au Sénat, une commission mixte paritaire sera chargée de rédiger une nouvelle version afin de concilier les divergences entre les textes adoptées par les deux chambres du Parlement. 

Si ce projet de loi venait à être adopté sans modification de l’article 15 tel qu’il est dans la version adoptée à l’Assemblée nationale, la construction d’énormes data centers pourrait se faire en dérogeant au droit de l’urbanisme et de l’environnement, et sans que les citoyens ne puissent participer d’une quelconque manière à l’élaboration du projet. 

« Selon l’article 15 [du projet de loi de simplification économique], parce que le développement de l’IA est un Projet d’Intérêt National Majeur, les projets de construction de data centers deviennent, à ce titre là, un sujet étatique et non plus un sujet local », précise Théo Alvares Da Costa. « C’est-à-dire que par décret national, sans consultation avec les élus locaux, il sera désormais possible d’installer un data center, avec en prime une réduction sur le prix de l’énergie et sans être soumis à la loi “zéro artificialisation nette”… Ils pourront y aller comme des bourrins. »

La démocratie et le droit de l’environnement à l’épreuve des data centers

Face à ce déni de démocratie, des élus et des associations – dont La Quadrature du Net et le collectif “le nuage était sous nos pieds” – réclament un moratoire de deux ans sur la construction de data centers d’envergure, le temps qu’un débat public puisse avoir lieu sur les modalités de leur encadrement.

« On sait que plus une infrastructure est considérée comme stratégique, plus il est facile de contourner des règles au nom d’une supposée utilité publique ou d’un intérêt général du projet. Et il n’y a aucun doute sur le fait que toutes les dérogations possibles et imaginables seront accordées aux datacenters si les États considèrent que c’est un instrument de puissance géopolitique », alerte Arthur Grimonpont, ingénieur et chercheur spécialisé dans les enjeux de la transition face aux crises écologiques, pour La Relève et La Peste.

Alors que les États du monde entier embrassent avec peu de réserves le développement à grande échelle de l’intelligence artificielle et des infrastructures numériques nécessaires à son essor, les voix citoyennes, scientifiques et associatives peinent à se faire entendre. 

La croissance numérique à tout prix

En janvier 2025, l’ADEME et l’Arcep ont publié leur rapport final d’une étude évaluant l’impact environnemental du numérique en France. Les agences publiques y révèlent qu’en 2022, le numérique représentait 4,4 % de l’empreinte carbone française, sur lesquels 46 % étaient imputables aux data centers

Loin d’être virtuel, le cloud repose sur des infrastructures énergivores, majoritairement situées à l’étranger. En tenant compte de ces hébergements offshore, les émissions liées au numérique en France bondissent de 29 à près de 50 millions de tonnes de CO₂ par an. L’étude avertit également sur l’expansion future du secteur, dont les émissions pourraient tripler d’ici à 2050 si les tendances actuelles se poursuivent. 

Elle dévoile également « que les équipements et infrastructures numériques sont responsables de 11,3% de la consommation électrique française. » Les data centers en concentrent un quart, soit 2,8 % du total national – une part qui pourrait plus que doubler d’ici 2050 pour atteindre 6 %. 

Le développement massif de data centers souhaité par le gouvernement soulève donc des questions relatives à l’accaparement de ressources communes pour assouvir leurs besoins en énergie ou en eau – une consommation encore trop peu documentée, mais dont les impacts environnementaux sont considérables.

En dépit de ces alertes, le gouvernement semble persister dans la voie d’une expansion effrénée de ces infrastructures. En mai 2025, la Commission de Régulation de l’Énergie (CRE) a donné son feu vert à une offre de raccordement accélérée proposé par EDF et RTE pour permettre à des data centers colossaux d’être installés à proximité d’infrastructures énergétiques majeures afin de leur « offrir rapidement une forte puissance sans restriction. » Une décision que la CRE a justifié par sa volonté « d’accompagner la stratégie de l’État en matière de réindustrialisation et l’essor de l’intelligence artificielle. »

« Il est nécessaire de se poser la question : au service de quoi sont mis ces data center et leurs capacités de calcul ? S’il s’agit uniquement d’accroître la capacité d’un système – qu’on ne contrôle essentiellement pas – et qui sera mis au profit du fonctionnement économique actuel, c’est déjà un échec », alerte Arthur Grimonpont.

Il est encore temps de repenser la trajectoire numérique empruntée à l’aune des crises que nous traversons – à condition de remettre l’intérêt général, la sobriété et la justice sociale au cœur du débat.

Louis Laratte

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