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Ce lord irlandais a créé 650 ha de réserve naturelle avec son domaine

« Il y a une forêt que j’aime, où nous avons développé un projet de réensauvagement des cours d’eau avec les autorités de la pêche. Grâce à cette action, nous sommes parvenu·es à réintroduire des saumons pour la première fois depuis 75 ans. »

Depuis le décès de son père Edward en 2011, Randal Plunkett est le 21ᵉ Lord Dunsany. À ce titre, il hérita du château familial construit au XIIe siècle, ainsi que du domaine de 650 hectares, accueillant aujourd’hui la plus grande réserve naturelle privée d’Irlande, affiliée à Rewilding Europe. Végan, féministe, voisin de l’anticapitalisme et « mordu » de death metal – notamment Cannibal Corpse –, le baron détonne avec ses ancêtres par ses engagements et sa vision du monde.

Randal Plunkett, un héritier aristocrate écolo

Malgré les coutumes séculaires de ses aïeul·es, Randal Plunkett aime à rappeler que sa famille a, en son temps, produit des œuvres de charité, en miroir de sa foi catholique. Durant les épisodes de famine ayant décimé l’Irlande entre 1845 et 1852, les Plunkett créèrent une soupe populaire et firent des dons aux nécessiteuses et nécessiteux.

« Dans notre monde, du moins à une époque, le socialisme était perçu comme une trahison », commente Randal, pour La Relève et La Peste. À ce jour, cette idée « d’utiliser ses privilèges au bénéfice des autres » imprime les actes du lord.

Après une phase de déni, celui-ci a réalisé qu’une menace existentielle pesait sur la nature, au-delà des préoccupations humaines et sociales auxquelles une partie de sa famille était sensibilisée.

« Bien que nous ayons été dans une situation financière compliquée au moment où j’ai repris les lieux, j’étais prêt à sacrifier mon confort et un grand nombre d’opportunités pour réaliser mon projet de réensauvagement », confie-t-il.

Mais cette décision ne s’est pas faite sans heurts, puisqu’un état d’esprit bourgeois régnait parmi ses proches, lesquel·les considéraient l’opportunité de générer des revenus (NDA : les siens diminuèrent de 25 %), là où il percevait l’intérêt scientifique, voire philosophique, de la démarche. Il pose d’ailleurs un regard critique sur le réensauvagement que pratiquent ses voisin·es anglais·es : selon ses dires, ce modèle servirait parfois de caution à un enrichissement personnel, via des services de glamping (ou « camping glamour »).

Le château de Randal Plunkett – Crédit : Finnian Power

De la ferme au sanctuaire

Lorsque Randal Plunkett succéda à son père en 2011, tout restait à construire. En effet, les terres étaient entièrement consacrées à l’élevage bovin et ovin. Durant trois ans, lui et son ancienne compagne poursuivirent ce travail, quasiment par réflexe.

« À mesure que l’on vit dans une ferme, les animaux deviennent invisibles : l’on ne ressent rien pour eux », analyse-t-il pour La Relève et La Peste, en évoquant son passé de « carniste ». Et de se remémorer une phrase de son défunt père, qui déclencha sa prise de conscience écologiste. « Ils [les animaux] sont victimes de notre succès agricole », répondit Edward à son fils, cherchant une explication à leur disparition.

Cependant, le changement de paradigme eut lieu progressivement, au fil des expériences. Randal ouvrit notamment les yeux sur les dégâts causés par l’agriculture animale et le traitement infligé à ses cheptels.

« J’ai vu mon propre bétail décorné, la tête ensanglantée ; ma partenaire passait des semaines à les soigner. Quel genre de civilisation est capable de parler d’égalité tout en maltraitant des êtres vivants ? », s’interroge-t-il.

Champignons dans la forêt du domaine – Crédit : Finnian Power

300 hectares de réserve naturelle

Six mois plus tard, le baron devenait végan, avant de sanctuariser 300 hectares au profit de la nature. Il fabriqua des corridors biologiques, en plantant des milliers d’arbres – 15 000 ces trois dernières années. Plus tard, il observa la réintroduction naturelle de plusieurs espèces parmi lesquelles les loutres et les éperviers.

La population de cerfs connut une forte croissance, contribuant à détruire des plantes envahissantes telles que le laurier-cerise et le rhododendron – un phénomène « sans doute lié au réseau mycélien ».

Enfin, l’installation ayant autrefois servi à enfermer des animaux se transforma en centre de réhabilitation, où ces derniers bénéficient désormais de soins, en lien avec des associations locales. Pour financer ce réensauvagement, l’activiste cultive les deux tiers de sa ferme, dont il vend la production.

« Nous avons besoin de l’agriculture », souligne-t-il une première fois à destination de celles et ceux qui l’accuseraient d’opposer la nature à la paysannerie. Un modèle équilibré, sain, excluant par ailleurs toute subvention publique.

Un domaine menacé

Derrière cet idéal écologiste, Randal Plunkett est confronté à des problématiques à la fois humaines et relationnelles. Outre l’embarras de sa famille élargie, il doit composer avec les chasseurs et chasseuses qui, depuis son accession au titre de baron, lui font vivre un « enfer ».

En 2019, l’aristocrate a appelé près de 40 fois le commissariat de police en l’espace de six mois. En plus de pénétrer l’enceinte de son domaine, ce harcèlement s’exprima de différentes manières : menaces d’agression physique, crevaison de pneus ou tirs d’armes à feu sur les fenêtres du château.

« C’était assez effrayant », commente-t-il, pour La Relève et La Peste. Faute de vivre en paix, il patrouille à l’intérieur de ses terres, aidé, à l’occasion, par quelques connaissances, afin de surprendre les braconnier·es, convoitant cerfs, blaireaux et renards.

De son propre aveu, les actes de malveillance ont fortement diminué. Reste que son havre de paix est compromis : « Il y a une forêt que j’aime, où nous avons développé un projet de réensauvagement des cours d’eau avec les autorités de la pêche. Grâce à cette action, nous sommes parvenu·es à réintroduire des saumons pour la première fois depuis 75 ans. Actuellement, le site est menacé, car le gouvernement veut y installer une ligne de train, ce qui détruirait l’un de nos plus précieux écosystèmes », alerte l’activiste.

Des cerfs surpris devant le château – Crédit : Finnian Power

Un laboratoire d’idées

Le projet de Randal Plunkett fascine jusque dans le milieu de la recherche, puisque des biologistes de l’illustre Trinity College à Dublin se pressent sur le domaine, afin d’étudier les effets du réensauvagement.

En outre, la réserve naturelle de Dunsany constitue, pour son propriétaire, un objet d’étude « éclairant » ses projets créatifs. Son engagement s’exprime aussi bien à travers la publication de livres d’art que la réalisation de clips musicaux et de films tournés sur place, comme le semi-autobiographique et auréolé « The Green Sea », décrivant les aventures d’une retraitée de la scène metal reconvertie en écrivaine solitaire.

« À l’âge de huit ans, j’étais cet enfant “straight edge” habillé en noir avec une cassette d’Iron Maiden dans la poche de mon pantalon », s’amuse le lord, pour La Relève et La Peste.

Une fascination envers l’étrange trouvant racine dans la généalogie familiale : Lord Dunsany (1878-1957) était auteur de fantasy et sa plume a, entre autres, inspiré Tolkien, Lovecraft ou encore Arthur C. Clarke.

Animé par la transmission et la résilience, Randal Plunkett prépare l’avenir en animant des conférences sur son expérience et en désignant sa fille comme future héritière du domaine de Dunsany – un choix qui contraste avec la tradition sexiste nobiliaire.

En parallèle, durant la première quinzaine de mai, le baron a présenté l’exposition « Blood, Skin & Leaves » à GalleryX à Dublin, mêlant « dark poetry » et photographies naturalistes, préfigurant la sortie d’un livre du même nom.

« Si nous plantons des graines aujourd’hui, demain, il y aura des arbres » conclut-il au terme de l’entretien.

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Rodolphe Lamothe

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