Faire la classe dehors, enseigner autrement est une nécessité pour préparer nos enfants à prendre soin d’eux et de la planète. C’est aussi le plus sûr moyen de les aider à développer leur créativité, leur curiosité et leur compréhension de l'environnement qui les entoure. Pourtant, combien d’enfants ont-ils vraiment cette chance ? Avec La fabrique des Communs Pédagogiques, Benjamin Gentils et Thomas Germain ont engagé un mouvement tant sur le terrain qu’auprès des institutions pour que l’école change.
Une Fabrique des communs
Ces communs-là sont pédagogiques. Benjamin Gentils et Thomas Germain sont cofondateurs de la Fabrique des Communs Pédagogiques. Tous deux ont puisé une grande partie de leur expérience dans le milieu des Tiers-Lieux.
Pour Benjamin, la Fabrique des communs pédagogiques est au croisement de son parcours professionnel. Ses réflexions sur la place des citoyens, la place de la recherche et les crises, puis les réponses qu’il a pu trouver par la mixité dans les Tiers-Lieux se concrétisent de manière décentralisée en s’appuyant aussi sur un numérique convivial.
« Un numérique convivial qui met le progrès technique au service de l’homme et pas l’inverse. » précise t-il pour La Relève et La Peste. Le numérique permet de partager des ressources mais aussi de planifier et d’organiser. « Cela peut paraître étrange lorsqu’on milite pour mettre les enfants dehors, mais ce n’est pas en contradiction du tout ».
Dessin d’observation d’une Ficaire
Le premier confinement : un déclencheur
Benjamin raconte la genèse du projet. Les écoles ferment le mercredi 15 mars 2020. C’est annoncé au corps enseignant 4 jours avant. Le 15 mars, il y a 12 millions d’élèves à la maison. Il y a aussi 900 000 enseignant.es enfermés chez eux chargés d’assurer la continuité pédagogique.
« Avec quelques copines et copains, sur Telegram, on se dit que ça va être difficile même si le ministère répète “on est prêt, on est prêt” ; et on se demande comment aider. A l’Éducation nationale, il y a un nombre très limité de conseillers numériques et leur charge de travail va être multipliée par 1000 ! Nous essayons donc de mobiliser des gens avec des compétences numériques disposés à donner un coup de main aux enseignant.es. On lance un site et un appel à participation sur le Framablog (le blog de Framasoft, une association d’éducation populaire). En deux semaines on est passé de 0 à 50 au sein du collectif, et 2000 volontaires avaient levé la main ! »
Un mode de fonctionnement issu des Tiers-lieux
Le “mode d’agir” est hérité des Tiers-lieux que Benjamin comme Thomas ont largement expérimenté.
« On se revendique de l’agir par les communs, c’est-à-dire les interactions et les mouvements permanents entre communautés, gouvernance et ressources », précise Benjamin.
« Il n’y a pas de communs sans communauté ! Plutôt que de faire produire des ressources à des communautés, on a surtout passé du temps à créer de la confiance entre des communautés avec des cultures, des intérêts, des manières de faire qui sont totalement différentes. »
L’épisode Covid et ce confinement, parce qu’il a été un moment hors du temps, leur a fait gagner un temps précieux, des années pensent-ils. L’objectif : assurer la continuité pédagogique et le bien-être des enfants en aidant les enseignant.es. L’idée de la Classe dehors est arrivée après l’urgence d’aider les enseignants à faire face au confinement.
Une fillette apprend les fractions dans la forêt
La classe dehors
Cette période qui enferme les enfants est aussi l’occasion de mettre à nu des fonctionnements pédagogiques inadéquats. Mais comment travailler sur l’extérieur lorsque la majorité des enfants vivent en zones urbaines ?
En travaillant avec toutes les communautés concernées : parents, jeunes, enseignant.es, éducateurs, médecins, infirmières, mais aussi urbanistes, paysagistes, architectes sans perdre de vue l’histoire de l’éducation populaire avec ses terrains d’aventure, ses classes découvertes, Freinet et tous les éléments de la pédagogie nouvelle. Pour cela, Thomas et Benjamin travaillent avec les associations existantes.
« Ce qu’on voudrait, c’est que toutes les associations d’éducation à l’environnement de France fassent évoluer leurs pratiques professionnelles pour proposer des activités sur le temps scolaire et accompagner les enseignant.es. On est des “meta-acteurs”, des formateurs de formateurs. On veut orienter les politiques publiques parce que ça ne peut fonctionner que si tout le monde s’y met », précise Thomas pour La Relève et La Peste.
Un parc suffit à faire la classe dehors
Dehors, un rythme différent
Faire classe dehors n’est pas le même exercice que la salle de cours. Les séances se construisent différemment, de façon très ritualisée.
« On peut commencer par une chanson quand on est petit, par dix minutes de concentration, par un exercice de calcul, par la lecture de poésie, peu importe, mais c’est très ritualisé pour justement faire la différence, » dit Thomas à La Relève et La Peste.
Même dans les jeux libres, les enseignant.es peuvent construire des apprentissages à partir de ce que font les enfants. On y apprend la nature mais aussi l’histoire, la géographie et les maths. La construction pédagogique part de ce qu’il y a autour. Beaucoup d’enseignant.es aiment être dehors pour faire des maths car les enfants ont souvent besoin d’une représentation dans le réel. Être dehors permet de définir un référentiel commun qui facilite la compréhension.
Jeux de longueurs
La classe dehors, une évidence
Pourquoi vouloir mettre les enfants dehors ? Parce que se posent de plus en plus crûment des questions de santé physique et mentale, parce que nos enfants doivent construire un lien avec le réel de ce qu’est la nature.
Et, ce peut sembler contre intuitif, mais il n’y a besoin de rien pour faire classe dehors, ou presque : un arbre sous lequel s’asseoir. On peut commencer par venir y faire de la lecture, un peu de sciences de la vie, du chant ou réciter des poésies.
Si on y va régulièrement, on commence à changer et l’expérience pédagogique a un vrai rôle transformateur. Bien sûr, la situation idéale est d’avoir une forêt à proximité de l’école, de pouvoir y faire cours, voire même, comme c’est le cas à Dax, d’apprendre aux enfants à gérer une parcelle de forêt sur plusieurs années. Mais cela ne peut pas concerner les 12 millions d’élèves de France.
Lecture dans les arbres
Or les bienfaits sont connus, faire classe dehors :
– Augmente le bien-être et la confiance en soi
– Réduit le stress
– Stimule la concentration et la créativité
– Stimule les capacités motrices
– Stimule l’autonomie
– Améliore les habiletés sociales et de coopération
– Permet d’apprendre par différents canaux sensoriels : les apprentissages s’ancrent mieux dans la mémoire
– Rend l’apprentissage plus efficace par un cadre plus invitant et stimulant.
Repenser la ville et les politiques publiques
« La question se pose, que faire pour avoir 12 millions d’enfants dehors ? Et quand je dis enfant, c’est au sens de la Convention internationale des droits de l’enfant qui s’étend jusqu’à 18 ans ? Est ce que pour avoir 12 millions d’enfants au moins une demi journée par semaine dehors, il ne faut pas bousculer la manière dont on aménage le territoire ? » s’interroge Benjamin.
À Marseille, mais partout en France également, l’expérimentation est lancée. Et on s’aperçoit à quel point les villes sont peu conçues pour les enfants : trottoirs étroits et encombrés, espaces peu sécurisés….
Francesco Tonucci, chercheur en psychologie et sociologie, et activiste italien, a théorisé la ville et l’ensemble des politiques publiques urbaines à hauteur d’enfant. Une ville conçue pour ses citoyens les plus vulnérables sera, par définition, adaptée à tous les citoyens.
La bonne démarche consiste à faire participer les enfants à ces décisions de politique publique. Un changement de posture radical dans les institutions pour sortir de la pensée magique qui veut que cela soit facile, qu’il n’y ait qu’à aller dehors. Il y a une vraie exigence pédagogique à construire.
Un parc urbain est un cadre sécurisé pour les écoles dehors
La classe dehors pour toutes et tous, avec toutes et tous
Des idées, il y en a plein. Des expérimentations, il y en a des milliers, 4000 écoles recensées aujourd’hui. La massification demande un vrai effort de l’État et des collectivités pour la formation, une reconnaissance institutionnelle et aussi des rectorats.
L’Éducation nationale doit encourager cette pratique pour que les profs se sentent légitimités et n’aient pas à justifier auprès de leur direction l’intérêt de la classe dehors, tant en termes de pratique professionnelle que de bien-être des enfants.
Toute la communauté éducative et au-delà (la santé, le sport, le monde associatif) doivent être mobilisés pour qu’ait lieu cette révolution pédagogique. Le regard des parents est un véritable enjeu. Aller dehors est vécu par les uns comme un risque, et par les autres comme une récréation.
« La société du risque zéro et du tout-contrôle crée des biais cognitifs qui font qu’on pense les enfants plus en sécurité dedans alors que c’est là que l’air est le plus pollué, par exemple. Et je ne parle pas des risques sanitaires liés à la sédentarité, aux problèmes moteurs de plus en plus fréquents, tout comme la myopie qui concerne plus de 500 000 enfants en France. Et puis, le fait de rester assis des heures et des heures accroît les risques de diabète et d’obésité. »
Les enfants parlent plus volontiers de leur journée scolaire lorsque la classe s’est déroulée à l’extérieur, parce que leurs interactions avec l’enseignant.e, leurs pairs, leur environnement sont infiniment plus riches.
Amenés à traverser des épreuves diverses, ensemble, leur capacité d’attention et de coopération se renforcent : des qualités qui leurs seront utiles toute leur vie !
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