C’est en 2022, à l’heure de la levée des confinements généralisés, qu’est née l’ONG internationale Savage Lands, à mi-chemin entre l’écologie citoyenne et le supergroupe musical. Tous deux reconnus dans la communauté metal, ses cofondateurs Dirk Verbeuren (Megadeth) et Sylvain Demercastel, se mobilisent pour la biodiversité, en finançant la reforestation et l’achat de terres à « sanctuariser ». Avec l’ambition de créer un mouvement, visant d’une part à sensibiliser le public aux enjeux environnementaux, et d’autre part, à démultiplier les actions et les partenariats « utiles », en lien avec les adeptes des musiques saturées.
Des racines et des riffs
La genèse du projet repose sur un constat que tire Sylvain Demercastel, l’un des initiateurs de Savage Lands, à propos du tourisme spéculatif. Établi au Costa Rica depuis vingt ans, il a assisté à l’arrivée d’investisseurs et d’investisseuses étranger·es, imaginant un modèle de développement basé sur la promotion immobilière destructrice d’écosystèmes.
Il raconte s’être senti impuissant face à la situation – lui dont l’engagement écologiste s’est renforcé à la suite de la tuerie de Nanterre en 2002, au cours de laquelle son meilleur ami, adhérent des Verts, a été assassiné.
« Selon Aurélien Barrau, la problématique est moins technique que philosophique, voire cosmologique. On nous parle souvent de procédés, d’inventions, alors qu’en effet, la priorité devrait être de reconsidérer notre position dans la biosphère », analyse l’activiste et musicien, pour La Relève et La Peste.
En outre, un second acte a marqué la naissance de l’ONG : la participation du batteur Dirk Verbeuren au Hellfest 2022. Par un concours de circonstances, Sylvain y assista également, apportant dans ses bagages un objet curieux et non moins totémique.
« Nous avons eu l’idée de faire fabriquer une guitare à partir d’un arbre mort, confié à un luthier californien. De nombreuses personnes l’ont signée, dont Andreas Kisser, le guitariste de Sepultura, qui a même joué sur scène avec elle », se souvient-il.
L’année suivante, le mouvement prit de l’ampleur. Ben Barbaud, le médiatique fondateur du Hellfest, s’intéressa à l’association. S’ensuivit – pour lui – dix jours d’immersion au Costa Rica, afin de découvrir la démarche et la culture militantes de Savage Lands. Et une victoire significative : un accord de financement annuel, dédié à l’achat de terrains.
Sylvain Demercastel à gauche et Dirk Verbeuren à droite.
Les premières actions
Ce partenariat avec le festival clissonnais a conforté l’ONG dans sa volonté d’ouvrir une antenne en France, que dirigent Sylvain et Benjamin Enault, l’un des administrateur·rices de l’institut Jane Goodall. De nombreux projets sont en cours, à l’image de l’acquisition future d’un terrain vendéen, propice au développement d’une agriculture locale raisonnée, sous l’encadrement de la LPO (Ligue pour la protection des oiseaux), ou encore de la sanctuarisation de plusieurs hectares de forêt en zone humide, avec l’appui d’un GFCE (Groupement Forestier Citoyen et Écologique, dans le livre-journal Forêts).
Néanmoins, ces partenariats ne peuvent se résumer à la création de zones protégées. « Près de Poitiers, un restaurateur a inventé un burger vegan Savage Lands, à base de pain noir. Grâce à cette initiative, il a récolté 5 000 euros », s’enthousiasme Sylvain, qui avoue être plus sensible aux histoires qu’aux chiffres.
« Il y a du cœur et des actes concrets », témoigne en écho David Cancel, chanteur du groupe d’électro-metal Sidilarsen, soutien de l’ONG, pour La Relève et La Peste.
« La destruction des ressources naturelles et des espèces avec qui nous devrions vivre en harmonie est pour nous une déconnexion du réel, et par extension de l’humain. Je préfère une association qui agit simplement, sans chercher à en faire trop, plutôt que celles qui pratiquent le greenwashing », renchérit-il, au nom de ses camarades.
Une position que partage également Julien Truchan, leader de Benighted, porteur d’une de ces belles histoires auxquelles fait référence le cofondateur de l’ONG.
« Je suis infirmier en psychiatrie, et tous les vendredis après-midi, j’emmène un groupe de patient·es à la SPA, près de l’hôpital où je travaille, pour prendre soin des chiens. Lorsque Sylvain a exposé le projet, j’ai été immédiatement séduit et je lui ai proposé d’apporter ma collaboration, ainsi que celle du groupe », raconte-t-il, pour La Relève et La Peste.
Un supergroupe de metal
En marge de ces opérations, Savage Lands entend utiliser sa communauté, son audience, dans le but d’acculturer le grand public à la biodiversité. Forts de leur expérience, Dirk Verbeuren et Sylvain Demercastel ont donc fondé un supergroupe portant le nom de l’ONG – la seule au monde à être signée sur un label musical, en l’occurrence Season of Mist.
« Jusque-là, j’avais déjà abordé artistiquement la thématique de l’écologie sur des titres comme “Madame nature” ou encore “Assis soient-ils” avec Peter Garrett de Midnight Oil. Mais quand il s’agit de mener une action, l’aspect collectif est toujours vertueux et permet d’obtenir une tribune plus conséquente. La synergie entre les groupes et la transversalité de l’engagement m’ont paru intéressants et originaux », témoigne Helldebert, l’alter ego metal du chanteur Aldebert, tête d’affiche du Hellfest Kids en 2024, pour La Relève et La Peste.
En concert, les musiciens sont d’ailleurs rejoints par des personnalités influentes du metal, qui plus est véganes, comme la canadienne Alissa White-Gluz (Arch Enemy) ou Shane Embury (Napalm Death). Un collectif atypique, qui s’est produit sur l’une des mainstages du Hellfest 2024. Leurs chansons, habillées d’images de nature et de déforestation projetées sur un écran géant, ont conquis les spectateurs et spectatrices.
« Nous jouons sur scène uniquement s’il y a un intérêt pour l’ONG […] À un moment donné, il faudra comprendre que le concept est plus important que les gens qui l’incarnent », explique Sylvain.
Savage Lands au Hellfest 2024 – Crédit photo : Cédric Le Dantec
En février dernier, le supergroupe a également dévoilé son premier album, « Army of the Trees », ayant donné lieu à la production d’une première édition limitée de 450 BioVinyls déjà épuisée, dont les bénéfices serviront à financer des projets de reforestation.
« Grâce à une étude d’impact commandée par l’agence de marketing Initiatives à laquelle nous avons eu accès, nous savons que les metalleux et metalleuses du Hellfest sont plus sensibles aux enjeux environnementaux que la population moyenne, et qu’elles et ils sont prêt·es à payer un produit plus cher dès lors qu’il finance des actions à visée écologique », révèle le musicien.
Pour preuve, des bagues metal, conçues avec la maison Flibustier Paris, ont atteint la deuxième place des ventes sur le site internet de la bijouterie.
Après avoir affirmé sa légitimité dans la sphère metal, et au-delà, Savage Lands a lancé le mouvement Army of the Trees, une émanation de l’ONG destinée à rendre l’écologie accessible à toutes et à tous. Un slogan, une marque, qui deviendra une licence libre, que les artistes pourront s’approprier sur leurs tee-shirts et, plus largement, dans leur merchandising, en signe de ralliement.