Un effet de ciseaux conduit aujourd’hui à une remise en question profonde de la viticulture française. D’une part, la baisse de la consommation régulière depuis les années 70 se poursuit et s’accélère depuis la période Covid. Même les plus adeptes que sont les séniors réduisent leur consommation. D’autre part, une surproduction, en particulier dans le Sud-Ouest, a certes marqué le pas en 2024 suite aux intempéries, encombre le système.
Force est de constater que la crise est structurelle et complexifiée par le dérèglement climatique. La qualité des sols, mise à mal par des années de phyto, peine à supporter les comportements des ravageurs, des maladies couplées avec les coups de chaud ou de froid et du stress hydrique lié aux sécheresses ou aux excédents d’eau.
Face aux difficultés économiques que rencontrent les professionnels, l’Europe et l’État français proposent une réponse : l’arrachage définitif. Ce dispositif a été réclamé, négocié et soutenu par la FNSEA et les Jeunes agriculteurs comme étant la solution pour « répondre à la détresse des exploitants en grande difficulté économique. »
Ils soutiennent également l’arrachage temporaire qui permet de modifier les variétés lorsqu’elles ne sont plus adaptées aux conditions pédologiques, climatiques et hydrologiques, mais sans succès.
Un dispositif à l’arrache !
Le dispositif d’arrachage, avec un budget prévisionnel de 120 millions d’euros en France, prévoit un montant d’aides de 4000€/ha sans conditions de rendement. La prime à l’arrachage en 2001 tenait compte du rendement à l’hectare arraché et les vignerons touchaient alors 1450€ pour 20hl/ha, et jusqu’à 12300 € au-delà de 160 hl/ha. Cet élément de rendement avait disparu du plan d’arrachage européen sur 3 ans de 2008 à 2010 qui se contentait d’une prime de 6000€ pour tous.
22 630 ha ont été arrachés en France sur ces trois années. On constate qu’au fil du temps, alors que les agriculteurs sont en grande difficulté, les sommes investies en soutien sont de plus en plus réduites.
Ce qu’on constate aussi, c’est qu’à aucun moment on ne tire de leçons des effets délétères d’un modèle productiviste qui appauvrit autant les champs que les humains, les animaux et les végétaux. Toutes ces campagnes d’arrachage sont réalisées sans que le système qui génère ces effets soit interrogé. En 20 ans, 20 000 ha ont ainsi été arrachés dans le seul département de l’Aude.
« Cette fois-ci, on nous a demandé de décider d’arracher ou non en moins d’un mois. Passée la date, passée la prime. Mais c’est difficile comme décision, on n’arrache pas ses vignes comme ça », explique Sophie Bataillard, vigneronne et représentante de la Confédération paysanne de l’Aude, pour La Relève et La Peste.
« Moi, j’ai entendu que la France avait 100 000 ha plantés en vignes en trop, sur les 800 000 ha que comptent le pays », précise Jésus Martinez, vigneron dans le Minervois.
Un arrachement personnel
Jésus vient d’arracher ses vignes. Il a 58 ans, est né dans la vigne et y a consacré sa vie professionnelle. Mais après des années de sécheresse, la chute des cours, la concurrence de l’agro-industrie, la réduction de la consommation et l’augmentation des charges, « je n’y arrivais plus ».
« Je me suis déjà endetté auprès de ma famille pour assurer les deux dernières campagnes, cela ne pouvait pas continuer comme ça. Nous faisons face à deux années consécutives de sécheresse. Mes vieilles vignes, certaines ont un siècle, pourtant solides pour la plupart, qui ont entre 25 et 50 ans, n’en peuvent plus. Je savais bien que je me résoudrais à l’arrachage, mais sincèrement, ce n’est pas facile. »
Pour Jésus, il n’y a pas eu de dilemme devant l’urgence dans laquelle ont été mis les vignerons lorsque le plan d’arrachage a été proposé mais d’autres ont dû prendre des décisions sans avoir le temps de les mûrir. Si Jésus savait prendre une bonne décision pour lui et s’il avait anticipé la tristesse qu’il y a à mettre fin à une production familiale (anticipe-t-on jamais ?), d’autres ont choisi sans être sûrs.
« Un peu moins de 28 000 ha de vignes ont finalement été souscrits, beaucoup moins qu’attendus, parce qu’entre l’urgence et la faible compensation financière, les candidats n’ont pas été très incités et ont arraché celles qui ne donnaient déjà plus grand-chose. » précise Jésus pour La Relève et La Peste
Une fois les vignes arrachées, que deviennent les terres ?
Comme il n’y a pas d’aides pour replanter et que les vignerons sont déjà exsangues lorsque l’arrachage ne correspond pas à un départ à la retraite, la crainte de Sophie Bataillard est que des friches viennent remplacer les vignes. C’est déjà souvent le cas là où les grandes coopératives ont arraché leurs espaces non irrigables. On peut s’inquiéter de ce que pourrait faire l’industrie du panneau solaire de ces espaces pour partie abandonnés.
« On peut entretenir des friches avec de la luzerne et planter des oliviers, mais il aurait fallu le penser et l’accompagner » explique-t-elle pour La Relève et La Peste.
Jésus confirme : « Personne ne parle du coût de l’arrachage. Un tracteur qui déterre les pieds de vigne coûte 550€/ha. Les piquets et les fils demandent une mini-pelle qui coûte 300€/jour avec son conducteur. Imaginez ce qu’il reste des 4000€/ha ! Moi j’ai retiré mes piquets à l’huile de coude parce que j’ai le temps. »
Et pour les tas de souches qui restent sur les terrains, ils sont débités pour faire du bois de chauffage, mais il faut les transporter. « La nuit, des gens s’arrêtent et viennent remplir leurs coffres avant qu’on ait le temps de tout transporter. »
Une trésorerie tendue
Les récoltes de vin sont payées à moitié seulement au bout de 6 mois, puis mensuellement sur le reste de l’année et enfin le solde en fonction des résultats au bout d’un an (ceux de la cave coopérative et ceux des cours du vin).
Or, « ces cours s’écroulent, explique Sophie pour La Relève et La Peste. Certaines caves coopératives de l’Aude sont surendettées et un plan de financement est à l’étude mais on n’a aucune idée de son fonctionnement. Certaines caves ne rémunèrent même plus le bio et le mélangent avec le reste. Cela met les vignerons bio dans une situation plus difficile encore puisqu’ils n’utilisent pas de phyto, ont besoin de personnel supplémentaire et ont des rendements plus fluctuants. »
Jésus est vigneron. Il fait pousser son raisin, le récolte, le vignifie et vend en cuve à un négociant, par l’intermédiaire d’un courtier.
« Depuis quelques années, ce n’est plus possible de s’en occuper directement, le courtier connaît les besoins des uns et des autres et à qui il doit proposer tel ou tel vin. »
Le négociant va filtrer et embouteiller le vin avant de le placer dans les circuits de commercialisation. Financièrement, c’est simple. Jésus est payé 60 jours après chaque citerne vendue et enlevée.
« Je suis donc dans une situation différente des coopérateurs qui sont payés au fil de l’année. Moi, c’est totalement irrégulier et si je ne vends pas mes citernes, je n’ai rien. Et je fais l’avance chaque année. Chaque campagne me coûte 50 000€ si je compte les frais de culture, la MSA (sécurité sociale agricole), les assurances, l’énergie, l’entretien du matériel… Et je ne sais pas si je rentrerai dans mes frais, ni si je pourrai me payer. C’est pour cela que j’arrête.»
Il y a donc une réflexion en profondeur à mener, en particulier dans le Sud-ouest dans un contexte climatique incertain et inquiétant. La France a perdu 16 % de ses exploitations viticoles entre 2010 et 2020 et la saignée se poursuit au rythme de 2,3% par an. Le gouvernement estime que les vignerons étaient 4 fois plus nombreux en métropole en 1970.
Les regroupements d’exploitations font progresser l’agro-industrie et reculer la paysannerie. Or la première est hautement consommatrice de phyto et de ressources quand la seconde embrasse plus volontiers les enseignements de l’agroécologie.
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