Méconnu ou quasiment du grand public, le biochar est un charbon stockant jusqu’à cinq fois son volume d’eau. A la fois capable de séquestrer le carbone, d’améliorer la santé des sols, de réduire les émissions de gaz à effet de serre des animaux d’élevage et de fabriquer du gaz renouvelable, il s’avère précieux pour les défis liés au dérèglement climatique. Marco Forconi, l’expérimente depuis deux ans au GAEC de Montlahuc dans le haut-diois, en Drôme.
Le biochar inspiré de technique ancestrale
Il y a plus de 2000 ans, en accumulant charbons, fragments de poteries et restes de nourriture, le peuple précolombien créa ces terres noires d’Amazonie d’une fertilité exceptionnelle : la Terra Prêta, en portugais. Inspiré de cette dernière (le biochar, « bio » pour végétal, « char » pour charbon) est un amendement organique issu de la pyrolyse de biomasse.
« Selon leur durée de vie les arbres séquestrent du carbone entre 300 et 500 ans. Une fois redevenu du bois, ce dernier va se dégrader et se répartir dans son cycle dit court. Par exemple, on retrouve des morceaux de charbon en Amazonie de 1000 ou 2000 ans, c’est-à-dire 2000 ans de séquestration de carbone » illustre Marco pour la Relève et la Peste.
Le biochar fonctionne sur ce même principe. De plus, il régénère les sols épuisés par l’agriculture intensive et possède de nombreuses vertus agronomique. Grâce à sa structure poreuse et ses micro-cavités, il absorbe l’eau et les nutriments comme une éponge. Mais comment le fabrique-t-on ?
Le biochar peut être produit à partir de n’importe quelle matière végétale qui est chauffée sans oxygène entre 300 °C et 700 °C, une réaction appelée pyrolyse ou carbonisation. Comme tout organisme vivant, le bois est composé de cellules. Ainsi, quand on le fait chauffer sans contact direct avec les flammes, ces dernières chauffent et évacuent l’eau dont elles sont en partie composées. Puis, le gaz finit par les faire exploser pour créer un élément structurellement semblable à des micros feuillets d’argile. C’est-à-dire capable de retenir jusqu’à cinq fois son volume d’eau.
« Cela permet aux sols d’augmenter leurs réserves d’eau. De plus, grâce à sa porosité, le charbon évite la compaction des sols, le tassement lié au machinisme ou au pâturage, qui souvent oblige les agriculteurs à les ré-aérer. Petit à petit, il sera possible de très peu, voire de ne plus travailler nos sols » raconte Marco pour La Relève et La Peste.
Cependant, pour que ce charbon n’emmagasine pas de micropolluants ou d’autres éléments indésirables, il faut le charger en micro-organismes.
« Au GAEC, on utilise de la bouse de corne, du liquide de lombricompost et l’on rajoute des poignées de terre récupérées au pied d’un très vieil arbre où elle n’a pas été mélangée. Cela permet d’avoir des micro-organismes qui se sont développés depuis très longtemps. De plus, leur population de bactéries double toutes les vingt minutes » précise Marco pour la Relève et la Peste.
Ces micro-organismes deviennent alors les locataires de ces morceaux de charbon. Ils vont agir dans la matière organique intégrée aux écosystèmes et la transformer pour la rendre directement assimilable par les végétaux. Le biochar a indéniablement des aspects bénéfiques pour les sols, mais pas uniquement.
Le biochar, un élément aux multiples vertus
Le biochar fait partie des mesures phares du GIEC (chapitre 7 « Agriculture, Forestry, and Other Land Uses (AFOLU) » et 12 « Cross sectoral perspectives » du rapport complet « Mitigation of Climate Change ») car une tonne de ce charbon peut séquestrer environ 2,6 tonnes de carbone, et cela pendant des centaines d’années. Il représente donc un « puits de carbone », allié précieux contre le dérèglement climatique.
En se décomposant, les végétaux rejettent sous forme de CO2 le carbone emmagasiné lors de la photosynthèse, sauf s’il est transformé en biochar. Ce dernier est piégé dans la matière organique au lieu d’être relâché dans l’atmosphère. Le pétrole et le charbon extraits du fond de la terre ne se renouvellent pas.
« L’un des meilleurs moyens de réguler l’énergie fossile que l’on a extraite est de remettre du charbon dans le sol qui va y rester et s’enterrer en profondeur » plaide Marco auprès de La Relève et La Peste.
Des études australiennes et norvégiennes ont montré que donner du charbon actif à manger aux animaux d’élevage permettait, d’une part, qu’ils aient un meilleur équilibre métabolique et, d’autre part, que le charbon fixait les bactéries émettant le méthane directement à l’intérieur de leur tube digestif. Ils vont ainsi le disséminer eux-mêmes dans les parcelles. Un autre aspect prometteur est que la transformation de la biomasse par la pyrolyse permet d’obtenir du biogaz. Renouvelable et neutre en carbone, il peut être transformé en électricité et en chaleur, et chauffer les fours d’une usine ou auto-alimenter le pyrolyseur.
« Au GAEC, on rebrûle les gaz pour aller plus vite. Si on imagine mettre trois fours côte à côte, le gaz du four du milieu suffirait à alimenter ces trois feux. Donc, le gaz des deux fours extérieurs serait disponible. Comme il est très inflammable, il faudrait trouver un procédé pour le sécher, enlever l’humidité qu’il y a dedans, puis le compresser pour le mettre en bouteille. On aimerait réussir à le comprimer et adapter tous nos moteurs à essence en gazogène, ce qui nous permettrait de produire notre énergie et de réduire notre dépendance aux énergies fossiles » détaille Marco pour la Relève et la Peste.
Biochar, mode d’emploi
L’un des intérêts du biochar est de valoriser des résidus végétaux. Les déchets agricoles peuvent alors devenir une vraie mine d’or. Expert du biochar depuis plus de 30 ans, le Cirad développe par exemple plusieurs projets et expérimentations. Le projet européen Bio4Africa produit du biochar à partir de coques d’arachide et de cabosses de cacao. A Madagascar, Dinaamicc valorise les balles de riz, des résidus de culture très abondants, en biochar. A la Réunion, Ecopal veut transformer les bois de palettes en biochar à vocation de substrat agricole.
Dans la Drôme, Marco et ses associés ont récupéré le buis issu des déchets sylvicoles d’une des forêts de leurs voisins. Ce bois très dense et droit permet de remplir pleinement un four. A terme, Marco et ses collègues pourraient prélever une partie du buis sur des arbres vivants, à la manière des trognes, afin de diminuer l’impact sur les écosystèmes lors des prélèvements.
« C’est à faire avec la ressource locale. Dans des terres plus acides, on pourrait utiliser le châtaignier ou d’autres espèces tant que c’est du bois très dur, assez fin et droit. Après avoir carbonisé notre produit, il faut en faire des petits morceaux et les charger en micro-organismes. »
Le principe est : plus il y a de surface de contact du biochar, plus il va y avoir d’échanges de micro-organismes. C’est pourquoi ils le broient en petits morceaux avec un broyeur à grains pour démultiplier les zones de contact. Ensuite, ils le passent dans un ancien tarare, machine qui sert à trier les semences, qui sépare les petits morceaux qu’ils vont charger en micro-organismes, de la poudre.
A la ferme de Montlahuc, tout est recyclé. L’utilisation d’un charnier permet de récupérer les os des animaux après avoir été mangés par les vautours. Ils les carbonisent pour les transformer en charbon et le répandent dans leurs parcelles, ce qui permet de restituer le phosphore qui a été ingéré par les brebis. Ils utilisent aussi des pommes de pins.
« Les petits morceaux vont aller directement dans les parcelles, ce qui en fait une matière organique très riche. Les micro-organismes vont se propager et se multiplier dans notre mélange que l’on met dans les champs en épandant le fumier devenu compost. On enrichit ce dernier avec du BRF (bois raméal fragmenté) et cela permet d’avoir plus de matière organique à décomposer. »
Pour que cette vie survive et continue de se multiplier, elle doit être nourrie en permanence. Le GAEC fait tourner environ une dizaine de fours par an, ce qui équivaut à produire un peu plus d’une tonne de cette matière. Cela représente à chaque fois cinq heures de feu pour environ 600 à 700 litres de charbon. Si cela leur prend du temps, il faut souligner qu’une fois mis dans les sols, ce charbon est tellement concentré que l’on n’a pas besoin d’en remettre. Ils aimeraient l’année prochaine avoir trois fours côte à côte pour diminuer le temps de préparation du même nombre.
Les risques et points faibles
Sur le marché, son coût de production reste un obstacle majeur à son développement. Selon les industriels, il se vend près de 8000 euros la tonne en Europe. Selon Marco, le fait qu’il soit un produit innovant fait qu’il y a encore assez peu de fournisseurs et en fait une denrée hors de prix. Ainsi, quand il sera plus démocratisé, il devrait coûter moins cher. L’une des craintes exprimées par Marco, est que son potentiel développement industriel entraîne d’énormes coupes de forêts.
« C’est en train d’exploser, il y a quelques endroits en France où des industries s’y mettent. Je sais qu’Elon Musk a décidé d’injecter 10 millions de dollars, donc dans le registre dérives… Il va falloir essayer de démontrer que ce n’est pas quelque chose de réservé aux industriels et que cela peut être fait très facilement chez les uns, chez les autres. C’est l’un des meilleurs processus pour agir sur plusieurs choses à la fois » confie Marco pour la Relève et la Peste.
Le biochar se développe en France et ailleurs, notamment en Australie, aux Etats-Unis, en Norvège et en Finlande. Ils ont réussi à développer un procédé où l’utilisation du feu n’est pas requise. Fin 2022, le groupement des producteurs et industriels européens (European Biochar Industry) recensait 130 projets, principalement en Allemagne et dans les pays nordiques, avec une capacité de 53.000 tonnes. Comme l’a dit Lavoisier : rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme.
Alors arrêtons de piller les sols, d’empoisonner les animaux et mettons en œuvre des pratiques respectueuses qui ouvrent à de nouvelles opportunités en matière de régénération des territoires et de durabilité.