Fondée en 2018, l’association Canopée forêts vivantes est devenue en quelques années une référence sur les questions de défense des forêts. Elle subit aujourd’hui des attaques en justice de représentants de la filière bois et dénonce des procédures visant à « faire taire » l’association.
Faire entendre la voix de Canopée
Jeudi 24 octobre, à Clergoux en Corrèze, se tenaient les Assises de la Forêt et du Bois en Limousin. Cet événement était placé sous le signe « du dialogue et des échanges » selon l’organisateur : Fibois Nouvelle-Aquitaine, l’interprofession régionale de la filière Forêt Bois Papier.
Ces assises réunissaient différents acteurs de la filière : représentants de coopératives forestières et d’usines de transformation du bois, élus locaux, représentants syndicaux et associatifs, etc. Canopée, principale association de défense des forêts françaises, n’a quant à elle pas été conviée. Elle s’est donc invitée, pour exprimer sa détermination à lutter contre les coupes rases et dénoncer les procédures visant l’association.
Autour de 9 h du matin, pour l’ouverture de ces assises, Bruno Doucet, chargé de campagne forêts françaises chez Canopée et Raphaël, bénévole de l’association, ont déroulé une banderole sur le bâtiment accueillant le rassemblement. “Coupes rases : on ne se taira pas” pouvait-on y lire. La plupart des arrivants passaient sans prêter grande attention à la bannière et aux grimpeurs. Quelques-uns manifestaient leur soutien à Canopée.
Après quelques minutes passées harnachés et suspendus dans le vide, les deux militants sont descendus expliquer leur démarche : « On nous empêche de participer à des espaces de discussion comme celui d’aujourd’hui, qui est présenté comme un espace d’ouverture et de dialogue, affirme Bruno Doucet. On a demandé expressément à participer, cela nous a été refusé. On a donc tenu à s’exprimer à notre manière » .
L’agrément de Canopée visé par un recours juridique
Cette intervention se place dans un contexte tendu, marqué par les batailles juridiques que se livrent l’association Canopée et des acteurs de la filière bois. L’une des dernières en date : une procédure engagée en août devant le tribunal administratif de Paris visant à faire annuler l’agrément dont dispose Canopée au titre de la protection de l’environnement. Cette démarche est portée par l’interprofession nationale France Bois Forêt et 12 autres organisations de la filière, qui dans la requête adressée au tribunal affirment être “constamment mis en cause, dénigrés et diffamés, harcelés et menacés” par des militants écologistes.
Octroyé fin 2023 par le ministère de la Transition écologique, l’agrément d’association de protection de l’environnement permet à Canopée de siéger dans des instances consultatives et de bénéficier de certaines prérogatives pour agir en justice.
Selon les initiateurs de la procédure d’annulation, Canopée ne remplirait pas certaines conditions d’octroi de l’agrément : ils l’accusent notamment d’être “dépourvue d’adhérents”. L’association conteste cette affirmation et revendique près de 4 000 membres. Les organisations de la filière bois pointent également le fait que l’agrément n’ait pas été obtenu par une validation explicite du ministère. Ce dernier stipule en effet que la décision d’accorder un agrément peut être “expresse ou tacite” : passé un certain délai sans notification de décision de la part de l’administration, “l’agrément est réputé accordé.”
Enfin, les acteurs de la filière bois accusent Canopée d’incitation au harcèlement, de mener des “campagnes calomnieuses” et d’être présumée impliquée dans des délits, notamment des “violations de propriétés privées” ou “des menaces de mort”.
“Ils essayent de construire un faisceau d’indices en disant “ils sont méchants, ce sont des éco-terroristes”, réplique Bruno Doucet. Ils nomment plein d’actions pour lesquelles on n’a jamais été condamné. La dernière procédure en date, c’est celle de Monsieur Ribes, l’ancien président de Fibois Nouvelle-Aquitaine. Il dit qu’on l’a injurié parce que dans une vidéo, on a dit que c’est un “président gredin”. Il a perdu son procès. Et malgré tout, c’est une procédure qui est utilisée dans le dossier de retrait de l’agrément pour dire, “regardez, il y a plein de procédures contre Canopée”.
Des procédures pour “faire taire” l’association ?
Pour Bruno Doucet, cette demande d’annulation vise avant tout à “faire taire” l’association : “Avant, la filière disait “vous ne pouvez pas faire partie des discussions parce que vous n’avez pas cet agrément”. Maintenant qu’on l’a, ils attaquent notre agrément pour qu’on le perde. Donc le problème, ce n’est pas qu’on l’ait ou que ne l’ait pas : c’est juste qu’ils ne veulent pas qu’on soit là”.
Outre ce recours juridique, Canopée dénonce plus largement une multiplication des procès, des “tentatives d’intimidation” et des “procédures-bâillons”. Cette accumulation de poursuites entrave le travail de l’association : “Je vais au commissariat environ une fois par mois, explique Bruno. C’est très facile pour la filière de porter plainte : c’est gratuit et ils savent qu’ils sont plus nombreux. D’une certaine manière, cela nous épuise et nous empêche de faire notre travail.”
De son côté, Canopée mène également des attaques en justice, notamment contre l’État et ses “Schémas régionaux de gestion sylvicole”, qui définissent les règles de gestion pour les forêts privées. Canopée l’accuse de ne pas être assez prescriptifs sur les questions de biodiversité.
L’association, qui travaille aujourd’hui avec plusieurs avocats, attend l’arrivée prochaine d’un juriste à temps plein au sein de son équipe : une façon de se défendre face à cette multiplication de procédures.
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