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Le Limousin : front de la lutte contre l’exploitation industrielle des forêts françaises

« On ne peut pas couper des arbres qui ont 50 ou 100 ans pour faire du bois-énergie qui va être dilapidé en 15 secondes ! »

Début octobre, à Guéret, en Creuse, plus de 2000 personnes se sont mobilisées contre « l’accaparement des forêts » par des « mégaprojets industriels » : point d’orgue d’une lutte engagée dans le Limousin depuis plusieurs années. Un reportage d'Eloi Boyé.

« Stop aux coupes rases dans le Limousin »

Des oppositions à la gestion industrielle des forêts émergent un peu partout en Limousin : procédures judiciaires pour empêcher des coupes rases, tentatives de blocages de chantiers forestiers, manifestations, etc.
 Début octobre, pour la « mobilisation nationale pour des forêts vivantes », entre 2000 et 3000 personnes s’étaient déplacées jusqu’à Guéret : un nombre important pour cette ville de 12 800 habitants, chef-lieu du deuxième département le moins peuplé de France. Ils étaient venus affirmer leur opposition aux « mégaprojets industriels » qui menacent les forêts limousines.

L’ambiance était bon enfant, malgré des heurts avec la police en fin de manifestation. Ici, quelques personnes portaient un dragon de carton, représentant les projets industriels. Là, une manifestante arborant un masque de loup déambulait sur un vélo décoré d’une masse de fougère. « Vous êtes sciemment des cons finis », « La filière bois, la forêt trinque ! » ou « Stop aux coupes rases », pouvait-on lire sur les nombreuses pancartes témoignant du ras-le-bol face aux aberrations écologiques de la filière bois.

Signe qu’un cap a été franchi dans la lutte pour défendre les forêts limousines : les mobilisations locales sont désormais relayées par des figures nationales, à l’image de la députée Mathilde Panot (LFI). Elles sont également appuyées par Canopée Forêts Vivantes, association de défense des forêts en France, très active en Limousin et régulièrement présente lors d’actions militantes locales.

Manifestation contre les coupes rases dans le Limousin

Manifestation à Guéret – Crédit : Eloi Boyé

Un désastre écologique

Cette fois-ci, c’est le projet d’agrandissement d’une scierie industrielle à Égletons (Corrèze) et l’installation d’une usine à pellets par l’entreprise Biosyl à Guéret qui a soulevé l’opposition. Biosyl prévoit de produire quelque 85 000 tonnes de granulés de bois de chauffage par an, à partir d’arbres abattus dans un rayon de 130 km.

Les forêts limousines, qui couvrent 34% du territoire, subissent ainsi la pression d’acteurs industriels qui tentent de s’accaparer la ressource en bois. Ils menacent de faire disparaître les forêts diversifiées pour les remplacer par des plantations de résineux, plus rentables sur le court-terme.

« Le problème, c’est que les grandes coopératives forestières répliquent un peu partout en France le modèle qu’elles ont appris dans le massif des Landes de Gascogne : plantation de résineux et coupes rases, explique Bruno Doucet, chargé de campagnes forêts françaises de l’association Canopée. Ils font la même chose, mais sur des forêts mélangées et diversifiées ».

Concrètement, ici comme dans d’autres massifs français, des forêts présentant un grand intérêt écologique sont rasées à blanc. En Creuse, entre 2005 et 2022, plus de 25 % des parcelles forestières ont fait l’objet de coupe rase. Des pans entiers de collines sont ainsi mis à nu, ravagés en quelques heures. Parfois, ces parcelles sont reboisées avec des résineux : mais les plantations en monoculture sont bien plus pauvres en biodiversité que les forêts plus diversifiées.

La forêt limousine appartient à 95 % a des propriétaires privés. Cette propriété est extrêmement morcelée puisque la moitié des propriétaires forestiers du Limousin ont une superficie inférieure à 4 ha.

Une aberration économique

Le modèle sylvicole basé sur la monoculture et la coupe rase est donc critiqué pour ses conséquences écologiques : perte d’habitats pour la faune et la flore, destruction des sols, perte de capacité de stockage de carbone, pollution des cours d’eau, etc. Surtout, ce modèle rend les forêts bien plus vulnérables aux incendies, aux maladies et aux ravageurs.

Parmi les opposants au modèle de gestion forestière industrielle, beaucoup dénoncent également une aberration économique et un gâchis de bois de qualité lorsque les coupes alimentent des industries comme celles du biogaz, de la pâte à papier ou du pellet.

« Le pellet, on n’y est pas opposés, mais il doit être fait avec des déchets de bois, explique Philippe Gaborieau, secrétaire fédéral à la CGT Construction bois ameublement lors de la mobilisation contre l’usine Biosyl. On ne peut pas couper des arbres qui ont 50 ou 100 ans pour faire du bois-énergie qui va être dilapidé en 15 secondes ! ».

En parallèle, malgré l’importante couverture forestière, de nombreux particuliers et artisans limousins témoignent de leur difficulté à trouver du bois d’œuvre local : « Aujourd’hui, pour la construction, le bois vient de l’étranger, déplore le syndicaliste. On a besoin de bois de qualité issus d’une gestion raisonnée des forêts ».

Une autre sylviculture est possible

En filigrane, derrière cette opposition frontale au modèle sylvicole industriel, se pose la question de la création d’une filière forêt bois locale, de qualité et respectueuse des forêts. Or, dans le Limousin, de nombreuses initiatives alternatives existent.

En Creuse, Hans Kreusler, gestionnaire forestier depuis plus de quarante ans, est devenu au fil des ans une référence dans le domaine de la gestion forestière respectueuse du Vivant. Pour lui, « la gestion forestière est un dialogue de très long terme avec la forêt. »

« La forêt est un écosystème extrêmement complexe, autosuffisant et autonome, explique-t-il, pas un troupeau ou un champ de betteraves que je sème et que je vais récolter ! »

Un peu plus loin, l’association Les Tisserands fait du débardage à cheval, du sciage manuel et produit collectivement du bois de chauffage. En Corrèze, l’association Faîte et Racines achète et gère des forêts menacées de destruction : « Il n’y a pas qu’une sylviculture de possible ! » affirme Marion, membre de cette association qui pratique « une gestion sylvicole irrégulière ».

Dans ce modèle, la forêt est composée d’arbres de divers âges et de diverses essences. Elle n’est ni plantée ni rasée : les arbres à couper sont sélectionnés individuellement, en fonction de leur valeur économique et de l’impact qu’aura leur coupe sur la pousse des arbres alentour. Le couvert forestier est ainsi renouvelé en continu et l’écosystème est peu impacté.

Ces diverses initiatives locales tentent de se mettre en réseau pour constituer une alternative à la filière industrielle. Fin juin 2024, l’Assemblée pour des Forêts Vivantes organisée sur le plateau de Millevaches avait réuni des collectifs et des forestiers défendant un modèle de gestion sylvicole alternatif. Au programme : ateliers, conférences, débats et animations pour renforcer et structurer le mouvement de défense des forêts.

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Eloi Boye

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