Dans une étude publiée peu de temps avant le scrutin des élections européennes, la plateforme de veille des médias Tagaday révélait que les têtes de liste des partis étaient loin d’avoir bénéficié de l’attention des médias de façon uniforme. Le classement est même déroutant, une fois les bulletins dépouillés : Jordan Bardella, tête de proue du Rassemblement national et écrasant vainqueur sorti des urnes, s’est montré tout aussi terrassant en termes d’apparitions sur les plateaux de télévisions et radio ou de mentions dans la presse.
Une médiatisation à l’image des résultats électoraux
La soirée des élections européennes n’aura pas manqué d’être historique au vu du score sans précédent du Rassemblement national mené par son président Jordan Bardella, piétinant le parti de la majorité présidentielle et poussant, de fait, Emmanuel Macron à prendre la déconcertante décision de dissoudre l’Assemblée nationale. Une volonté qui fait suite, donc, à la vague de suffrages recueillis par le parti d’extrême droite, atteignant, pour la première fois de son histoire, près de 31,4%. L’équivalent de 7,7 millions de voix, soit 2,5 millions de plus qu’il y a 5 ans.
Ces résultats semblent pourtant peu surprenants si l’on s’en réfère au sondage réalisé par Tagaday, plateforme de veille des médias. Dans son étude, cette dernière confirmait ce que l’on pressentait depuis quelques années déjà : le Rassemblement national caracolait en tête des intentions de vote tout autant que dans les apparitions médiatiques.
L’analyse, réalisée du 1er juin 2019 au 31 mai 2024, s’est appuyée sur un échantillon de 5400 programmes télévisés de 410 chaînes, stations TV ou radio différentes, ainsi que sur 3000 publications de presse écrite, en ligne ou imprimée.
En épluchant chaque mention des noms des têtes de listes aux européennes, que les propos relayés aient été positifs comme négatifs, le constat est sans appel : en mai 2024, dernière ligne droite avant les élections, Jordan Bardella a été exposé médiatiquement 17 309 fois. Raphaël Glucksmann arrive en seconde position avec 11 832 mentions. Viennent ensuite Marion Maréchal (5774 mentions), François-Xavier Bellamy (5768 mentions) et Valérie Hayer (5764 mentions).
L’extrême-droite omniprésente sur les chaînes privées
Une analyse qui prend ainsi tout son sens, les résultats du scrutin désormais définitivement connus. Si l’omniprésence des dirigeants des partis extrémistes dans les médias ces derniers mois – et plus particulièrement mai – est incontestable, la médiatisation de l’idéologie d’extrême-droite n’est pas nouvelle et a opéré une montée en puissance sans précédent durant les dernières décennies.
L’événement récent le plus parlant fut sans doute le débat organisé entre le premier ministre Gabriel Attal et Jordan Bardella le 23 mai dernier et diffusé sur France 2. Une confrontation malvenue et aberrante quand l’on sait que l’un était alors en campagne pour les européennes et l’autre « simple » premier ministre. La rencontre s’était d’ailleurs attiré les foudres de plusieurs têtes de liste, à l’image de François-Xavier Bellamy ou Raphaël Glucksmann, seulement conviés, quant à eux, à commenter en quelques minutes à peine le débat.
L’apogée d’une stratégie menée sans relâche, puisque, comme l’écrivait La Relève et la Peste dans un article de juin 2023, les apparitions des responsables des partis d’extrême-droite ont débuté dès les années 1980. Dès la première audition publique de Jean-Marie Le Pen en 1984 sur Antenne 2, le Front National affiche des scores historiques à chaque nouvelle élection, qui n’en finira plus de battre des records au fil des années, pour parvenir, comme on s’en souvient, à se hisser au deuxième tour de la présidentielle de 2002 face à Jacques Chirac.
Il apparaît par ailleurs que les médias appartenant à des groupes privés déroulent le tapis rouge à cette idéologie et à leurs représentants. La dédiabolisation opérée depuis plusieurs années par les partis d’extrême-droite s’infuse aussi largement au sein des journaux télévisés, chaînes en continu ou radio, reprenant la petite mélodie tous en chœur.
Selon deux études de Statista, la part des invités politiques d’extrême-droite sur CNews dans les matinales a atteint 26,5%, 15,8% sur LCI ou encore 11,5% sur RTL. Sans oublier la part, là aussi élevée, sur France Info (12,5%) ou France 2 (11,6%). Aussi, sur C8, 50% du temps d’antenne était occupé par la famille politique d’extrême-droite, quand la gauche, elle, n’en cumulait que 11,5%.
Pour rappel, CNews fait aujourd’hui l’objet d’un contrôle renforcé par l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom) suite à un manque de pluralisme dénoncé par l’ONG Reporters Sans Frontières.
Le mardi 13 février, le Conseil d’État prenait en effet la décision historique d’exhorter l’Arcom à « prendre en compte la diversité des courants de pensée et d’opinions représentés par l’ensemble des participants aux programmes diffusés, y compris les chroniqueurs, animateurs et invités, et pas uniquement le temps d’intervention des personnalités politiques », le tout sous six mois.
Une méconnaissance des questions européennes
Lors de ces dernières élections européennes, si Jordan Bardella fait implacablement course en tête dans les votes comme sur le petit écran, les têtes de liste du Parti animaliste, Écologie Positive et Territoires, Parti Pirate, Territoires en Mouvement et bien d’autres encore sont quant à eux entièrement invisibilisés, ou presque, tout comme leurs idées.
Ainsi, dans une étude publiée par la Fondation Jean Jaurès en mai dernier, il apparaît que plus d’un français sur deux s’estime mal informé sur les questions européennes. En outre, les français se classent même parmi les peuples les moins bien informés sur cette thématique.
Dans cette même étude, il est d’ailleurs apparu que la campagne des européennes avait été couverte de façon « franco-centrée » et avec moins d’intensité (- 30%) que celle de 2019. Les auteurs de l’étude expliquent ce constat par la « faible capacité de la vie politique française à mettre en débat les questions communautaires au quotidien, notamment dans le jeu parlementaire » ainsi qu’une « visibilité des députés européens chroniquement faible ».
La mise en avant de Jordan Bardella et des idées de droite extrémiste est ici intéressante à mettre en parallèle avec le fait que les français semblent, malgré tout, de moins en moins bien informés sur les questions européennes. Faut-il y voir là une corrélation ? À l’heure où les élections législatives se préparent vent debout, il est indispensable de se poser la question, et, a minima, de varier ses supports d’information tout en se réarmant d’un esprit critique bien acéré.
Sources : « Élections européennes 2024 : quels candidats sont les plus exposés dans les médias ? », Ouest France, 03/06/24 / « Européennes 2024 : le Rassemblement national progresse partout et gagne 2,5 millions de voix en cinq ans », Le Monde, 10/06/24 / « Part des invités politiques d’extrême droite sur une sélection de matinales d’info à la télévision et à la radio en France du 5 avril au 10 juin 2021 », Statista, 06/21 / « Une campagne française. Étude de la couverture médiatique des élections européennes », Fondation Jean Jaurès, 23/05/24 / « Européennes 2024 : les Français seraient parmi les plus mal informés sur le scrutin, selon une étude », Ouest-France, 27/05/24