C’est une véritable hécatombe au sein du service public de l’information. Plusieurs émissions TV et radio consacrées à l’écologie et aux luttes sociales vont être supprimées ou transformées à la rentrée. Une purge inquiétante pour le pluralisme dans les médias et la liberté d’expression alors que l’urgence écologique redouble d’intensité.
Retour en arrière médiatique
Finis les grands « tournants environnementaux » annoncés en fanfare suite à l’engouement autour de la Charte pour un journalisme à la hauteur de l’urgence écologique ? En quelques semaines, le service public de l’information a opéré une véritable purge des programmes consacrés à l’écologie et aux luttes sociales.
Cela a d’abord été l’émission d’investigation « Vert de Rage » qui en a fait les frais après 5 ans d’existence au sein de FranceTélévisions, et malgré des audiences rassemblant entre 250 000 et 600 000 spectateurs selon les épisodes. Puis, Nowu, 2 ans à peine, promoteur du journalisme de solutions pour les 15 – 25 ans.
Pour l’équipe de Nowu, l’annonce a été un gros choc et personne ne s’y attendait. Supprimée au 31 décembre, un stagiaire devait même débuter sa mission le 1er janvier. Aucun des journalistes n’était salarié de FranceTelevisions, mais tous étaient prestataires, des renvois faciles à opérer.
« Nowu était devenu une sorte d’encyclopédie en ligne de l’écologie. On ne faisait pas d’actu chaude mais du fond qu’on avait vulgarisé de manière très accessible autour de sujets comme la PAC, les véhicules électriques. On intégrait aussi une grosse part de justice sociale et climatique et c’était ce qui nous différenciait du reste des services publics. Ce qui nous a mis le plus en colère, c’est de voir 2 ans d’articles écrits et fouillés avec beaucoup d’interviews purement et simplement supprimés avec le site » explique Esther Meunier pour La Relève et La Peste
Les raisons de cette suppression : des arbitrages budgétaires selon La Lettre, document interne du 20/11/2023. Delphine Ernotte-Cunci, présidente du groupe audiovisuel public, « préfère redéployer ses moyens sur la couverture des Jeux olympiques de 2024 ». Ironie de l’histoire, l’argent public sera donc aiguillé autour d’un événement décrié pour son impact environnemental d’une durée d’à peine un mois, plutôt que de maintenir des contenus écologiques à l’année.
« En 2022, les médias audiovisuels publics français semblaient prendre un tournant salutaire en matière de couverture des enjeux environnementaux. En 2024, il devient de plus en plus clair que ces engagements n’étaient qu’un effet d’aubaine et non des engagements sincères se dotant d’un pilotage exigeant sur la durée » dénonce l’association Quota Climat
Côté RadioFrance, « C’est bientôt demain » d’Antoine Chao, reportages sur les luttes et mobilisations sociales, disparaît tandis que la mythique émission « La Terre au Carré » de Mathieu Vidard va être sévèrement transformée car son ton serait jugé « trop éco-anxiété ». A quelle sauce ? L’heure est aux négociations et l’avenir du programme inconnu. Seule certitude : la journaliste Camille Crosnier est écartée de la tranche 14h-15h malgré le succès de sa pastille « Camille passe au vert ».
Toujours à Radio France, une source interne nous a révélé que Planète Bleu, l’émission de France Bleu, ne serait pas reconduite à la rentrée. Cela concernerait l’intégralité de la galaxie Planète Bleu : le Mag (samedi et dimanche 16-17h), Planète Bleu s’engage (dimanche 15-16h) qui accueillait de nombreux médias indépendants dont La Relève et La Peste, et la chronique du mercredi. Là aussi, l’équipe ne sait pas encore ce qu’elle va devenir.
Atteinte au pluralisme dans les médias ?
Face à cette purge médiatique, la solidarité des auditeurs et membres de la profession s’organise. Côté citoyens, une pétition a recueilli plus de 31 000 signatures pour demander le maintien de l’émission « La Terre au Carré » dont le « répondeur » permettait à chacun.e de pouvoir délivrer un message à une heure de grande écoute.
De fait, le point commun des émissions concernée par cette suppression massive était de donner « une voix aux sans-voix », de « mettre en lumière ces anonymes qui agissent au quotidien pour une société plus juste » ainsi que nous l’explique un journaliste de RadioFrance.
Antoine Chao, Anaëlle Verzaux, Giv Anquetil et Charlotte Perry, quatre journalistes de RadioFrance concernés par ces coupes budgétaires, se sont formés avec « Là-bas si j’y suis », une emblématique émission radiophonique des luttes sociales présentée pendant vingt-cinq ans sur FranceInter par Daniel Mermet. L’émission long format a été supprimée en 2014, et ses descendants se trouvent aujourd’hui menacés.
Cette purge médiatique intervient d’ailleurs alors que l’humoriste Guillaume Meurice vient d’être suspendu pour une blague dénonçant le génocide de Gaza, pourtant « validée » par la justice. L’humoriste et ses comparses menés par Charline Vanhoenaker avaient déjà fait les frais des chaises musicales de RadioFrance quand ils ont vu leur quotidienne « C’est encore nous ! » déprogrammée en juin dernier pour devenir l’hebdomadaire « le Grand Dimanche soir ».
« C’est une tradition quand vient le mois de mai à France Inter, on coupe des têtes. Une méthode connue dans le management : la précarité mène à la docilité. Sauf que là, ce n’est pas vraiment au hasard. Les journalistes visés sont des reporters qui vont sur le terrain, attentifs aux gens, au mouvement social comme aux effets du réchauffement du climat, c’est à dire des islamo-wokistes antisémites. » a réagi Daniel Mermet sur le média qu’il a créé depuis
En filigrane, c’est bien une atteinte au pluralisme dans les médias et à la liberté d’expression que pose ces choix budgétaires. Inquiétude dénoncée par la SDJ (Société de Journalistes) et la SDP (Société des Producteurs et Productrices) qui se sont alliées dans un communiqué adressé à Adèle Van Reeth, Directrice de France Inter.
« Tous ces rendez-vous constituent pour nous l’identité de France Inter. Ils portent les valeurs du service public, de liberté d’expression, de pluralisme auxquelles nous sommes toutes et tous très attaché.es, et répondent à la mission d’une radio d’offre, qualitative et exigeante. Au moment où nos audiences n’ont jamais été aussi fortes – avec pour exemple 542 000 auditeurs supplémentaires en un an pour « Le Grand dimanche Soir » –, les équipes dénoncent des décisions dangereuses pour les valeurs de notre radio » expliquent-ils dans leur lettre
Même ressenti en interne, ainsi que le décrit un article de LeMonde, où une volonté de « de gommer les aspérités, ce retour au réel pas suffisamment en ligne avec les interviews de ministres » est dénoncée par des salariés de FranceInter.
Ces émissions étaient également utiles pour faire avancer des enjeux de santé publique, ainsi que l’a démontré l’émission « Vert de Rage » dédiée aux PFAS. Suite à l’épisode « Lyon : alerte aux polluants éternels », des perquisitions avaient eu lieu sur plusieurs sites de l’industriel Arkema, menées dans le cadre d’une information judiciaire pour « mise en danger d’autrui ».
Et si les humoristes concernés par ces restrictions budgétaires peuvent se consoler en jouant dans les théâtres, derniers bastions de la liberté d’expression ?, c’est bien la question de l’accès à une information libre, plurielle et éclairée qui se joue aujourd’hui pour des millions d’auditeurs. D’autant plus en plein essor du dérèglement climatique, alors que l’année 2023 a été la plus chaude jamais enregistrée et que ses effets se font ressentir de plus en plus durement chaque année.
Une chose est sûre, ce recul en arrière éditorial rappelle l’importance des médias indépendants, là pour donner la voix aux acteurs de terrain et décrypter les enjeux autour de l’urgence écologique.