Dans la réserve naturelle de l’étang de Cousseau, à Lacanau, la Sepanso Aquitaine cherche depuis 48 ans à « réensauvager » le marais. Huit buffles d’eau viennent ainsi d’être introduits près de l’étang de Cousseau pour maintenir les zones humides, que les pins pourraient venir assécher, à la place du travail humain. Un reportage de Nicolas Beublet.
Des buffles d’eau à l’Étang de Cousseau
Ils sont arrivés comme des rockstars. La clameur en moins, pour ne pas les effrayer. Pour la première fois de leur vie, jeudi 11 avril, huit buffles d’eau domestiques – quatre femelles, trois génisses et un mâle – découvraient leur milieu de prédilection écologique : un marais.
Les animaux venaient d’effectuer 22 heures de voyage et de contention en camion, entre leurs deux élevages bretons et leur nouveau lieu de vie : le marais de la réserve naturelle de l’étang de Cousseau.
Pourquoi faire venir huit buffles d’eau élevés en Bretagne afin de les réintroduire au cœur du Médoc ? Avec ce lâcher, l’idée de la Sepanso Aquitaine, gestionnaire de la réserve depuis 1976, est de « réensauvager » les lieux en diminuant la présence humaine.
Concrètement, il s’agit de restaurer les processus naturels qui permettent à l’écosystème de fonctionner seul. Ici, le but est de préserver un milieu ouvert sans végétation forestière. « Les buffles vont pâturer le marais. Sans cela, le milieu se refermerait naturellement en quelques années » expose Cyril Forchelet, chargé de mission à la Sepanso Aquitaine, à La Relève et La Peste.
Pour le moment, chênes et pins maritimes sont contenus mécaniquement chaque année par l’association, conjointement avec un troupeau d’une trentaine de vaches marines landaises. Dès 1990, cette race locale a été réintroduite dans la réserve.
Elles peuplaient la côte aquitaine jusqu’au XXème siècle, mais ont failli disparaître à l’état domestique. L’action de la Sepanso Aquitaine a permis de faire revivre la race. Elle compte aujourd’hui plus de 200 individus dans les départements des Landes et de la Gironde.
Un rêve pour les vaches
L’entretien du marais par les vaches marines a eu des effets positifs sur la biodiversité locale. « On trouve ici le Fadet des laîches, un papillon hautement patrimonial » s’enthousiasme Cyril Forchelet lors de l’opération. Ce papillon, qui apprécie les landes à Molinie telle que la réserve de Cousseau, est classé sur la liste rouge de l’UICN.
Mais la trentaine de vaches ne suffit pas. « Il faudrait au moins 150 individus pour qu’on puisse se retirer complètement de l’entretien » détaille François Sargos, conservateur de la réserve, pour La Relève et La Peste. L’obstacle principal : il n’y a que 400 hectares de forêt dunaire dans la réserve. Les vaches marines landaises y passent l’hiver, lorsque le marais est sous les eaux.
« Il faut dix hectares de forêt dunaire pour une vache, environ » précise François Sargos pour La Relève et La Peste. La Sepanso Aquitaine est donc contrainte de limiter le cheptel pour ne pas surcharger le milieu.
Le conservateur a bien un rêve, qu’il confie des étoiles dans les yeux, le regard porté vers l’océan : « Récupérer 1 500 hectares de forêt domaniale » entre la côte, à deux kilomètres d’ici, et le périmètre actuel de la réserve. « Cela permettrait aux vaches d’aller jusqu’à l’océan, comme autrefois. » L’idée a été évoquée auprès de l’ONF, en charge de la gestion de la forêt. Mais l’opération est à l’arrêt, d’après lui.
Des animaux libres mais contrôlés
Les buffles d’eau, eux, resteront toute l’année dans le marais pour y pâturer. « Ce sont d’excellents nageurs » sourit François Sargos. Ils sont déjà présents dans plusieurs réserves en Allemagne, Belgique, ou aux Pays-Bas, ainsi que dans deux réserves françaises, dans les marais de Sacy dans l’Oise, et dans le marais Vernier dans l’Eure.
L’association Rewilding Europe a soutenu logistiquement et financièrement la Sepanso Aquitaine, qui n’a pas échangé avec d’autres réserves pour monter l’opération. « On se mettra en contact plus tard avec eux » justifie Xavier Chevillot.
Une période d’expérimentation de trois ans va maintenant démarrer. Elle sera ciblée sur l’alimentation et le déplacement spatial du troupeau de buffles. Les techniciens de l’association attendent beaucoup de la part de ces « ingénieurs de la nature », notamment sur leur capacité à stimuler l’ensemble de la biodiversité.
En parallèle, entre 2023 et 2024, la Sepanso a réintroduit 163 bousiers rouleurs de pilule (Scarabaeus laticollis). Une première en France. Cette espèce sauvage n’a plus été observée dans la région depuis 1963, en raison de la fin du pâturage. Les bouses des buffles devraient offrir à ces insectes des conditions propices à leur développement.
« Les buffles ont déjà fait leurs preuves ailleurs, on est confiants, affirme Xavier Chevillot, directeur de la Sepanso Aquitaine, auprès de La Relève et La Peste. On va leur laisser le plus de liberté sauvage possible, tout en respectant les contraintes administratives. »
Une prise de sang annuelle sera obligatoire pour vérifier l’état sanitaire du troupeau. Le buffle d’eau n’existe quasiment plus à l’état sauvage, hormis quelques troupeaux en Asie. Le caractère domestique de l’espèce, élevée pour la fabrication de la mozzarella di buffala, implique un suivi strict. Il en va de même pour le troupeau de vaches marines landaises.
L’introduction d’une espèce dont la présence dans la région il y a 11 700 ans est uniquement supposée – des fragments de corne ont été découverts à soixante kilomètres au nord de Lacanau, d’après une étude publiée en 2019 – peut également poser question. Mais le sujet est vite balayé par François Sargos : « C’est comme le mouton si vous voulez, il n’est pas endémique mais domestique. Pourtant personne ne dit rien ».
Alors, le terme « réensauvagement » a-t-il sa place dans une telle opération ? En l’état, avec l’absence de prédateurs naturels pour réguler les populations de grands herbivores et la présence de clôture autour de la réserve, c’est l’être humain devra maîtriser les populations animales, y compris leur reproduction.
Malgré ces inconnues, la démarche reste porteuse d’espoir dans un système qui « détruit, exploite, casse beaucoup mais répare peu », surtout dans ces territoires où la sylviculture « plante des pins partout », rappelle François Sargos, fier du travail fourni dans le marais depuis 48 ans.