Spécialisée dans la préservation des océans, l'association Bloom vient de publier un rapport édifiant qui démontre, chiffres à l'appui, la façon dont la pêche industrielle ravage les milieux marins autant qu'elle impacte le secteur économique de la pêche. Un rapport inédit qui enjoint les décideurs publics à s'engager pour une pêche durable.
L’empreinte écologique des flottilles françaises
Emmanuel Macron l’a dit et redit, 2024 sera l’« année de la mer ». Une déclaration qui ne doit rien au hasard, puisque la France accueillera en juin 2025 la troisième conférence des Nations unies sur les océans. Créée il y a près de vingt ans par la militante écologiste Claire Nouvian, l’association Bloom n’a, elle, pas attendu cette année pour faire de la protection des océans sa priorité absolue.
Dans la droite lignée des travaux qu’elle a engagés il y a déjà plusieurs années, l’association a publié ce mercredi 24 janvier un bilan inédit du secteur de la pêche en France métropolitaine. Intitulé « Changer de cap. Pour une transition sociale-écologique des pêches », le rapport établit une nouvelle façon de mesurer la performance environnementale, mais aussi socio-économique des différentes flottilles de pêche française, afin de donner aux décideurs l’ensemble des outils nécessaires pour entamer une transition vers une pêche durable.
« Nous n’avons jamais souhaité abolir la pêche, souligne Claire Nouvian. Par contre, il est urgent que ce secteur évolue pour avoir un impact minimal sur les océans tout en générant un maximum de bénéfices pour la société ».
Présenté ce mardi 23 janvier au Parlement européen, le rapport a été réalisé par un groupement de recherche constitué de chercheurs de l’Institut Agro, de l’AgroParisTech et de l’EHESS-CNRS. De concert, et grâce à un appui méthodologique du think tank The Shift Project, les chercheurs ont d’abord travaillé à développer des indicateurs permettant de mesurer l’empreinte écologique des différentes flottilles françaises de l’Atlantique Nord-Est, qui représentent 70% de la pêche nationale.
« L’objectif, c’était d’avoir une vision systémique des impacts de la pêche », entame Didier Gascuel, professeur à l’institut Agro et co-auteur du bilan.
Au nombre de cinq, ces indicateurs permettent de mesurer, pour chaque flottille de pêche (navires côtiers, hauturiers et industriels), le nombre de tonnes débarquées provenant de stocks surexploités, la quantité de juvéniles pêchés – c’est-à-dire de poissons n’ayant pas atteint leur maturité sexuelle –, la surface impactée, le risque de captures accidentelles d’espèces sensibles, ainsi que la quantité d’émissions de gaz à effet de serre produites.
Bilan catastrophique pour la pêche industrielle
Sans grande surprise, le constat est sans appel : le bilan de la grande pêche industrielle et des flottilles utilisant le chalut de fond est « très clairement négatif », explique Bloom. A titre d’exemple, les chaluts sont responsables de 84% des débarquements issus de stocks surexploités et de 57% des émissions de CO2, détaille le rapport. L’abrasion des fonds marins est, elle, causée à 90% par les grands chaluts et sennes de fond.
Un type de pêche aux conséquences délétères sur les milieux marins que nombre de petits pêcheurs ont pu observer par eux-mêmes, à l’image d’Anne-Marie Vergez. Pêcheuse pendant trente ans à Saint-Jean-de-Luz (Pyrénées-Atlantiques), cette dernière se souvient avec précision de l’arrivée de chaluts pélagiques dans la fosse de Capbreton.
« Dans les années 90, il y avait une trentaine de ligneurs dans la fosse, rembobine-t-elle. Puis les pélagiques sont arrivés et ils ont littéralement vidé la fosse, continue-t-elle, alors même que le secteur était réservé à la pêche à la ligne. Après le passage des chaluts, il n’y avait plus de poissons. »
« S’engager dans la transition écologique, ça créerait de la richesse »
Détaillant avec précision les conséquences délétères de la pêche industrielle sur les océans, le rapport va plus loin en analysant également les performances économiques et sociales des différentes flottilles françaises.
Grâce au développement de cinq indicateurs complémentaires (coût salarial, emploi généré, valeur ajoutée, excédent brut d’exploitation et subventions publiques pour chaque flottille), le groupement de recherche démontre par exemple qu’à partir d’une même quantité de poissons, la pêche industrielle crée deux fois moins d’emplois que la petite pêche côtière.
« Plus le bateau est grand, moins il crée d’emploi », synthétise Harold Levrel, professeur d’économie écologique à AgroParisTech et co-auteur du bilan. Et de renchérir : « C’est très important de le souligner car souvent, on a tendance à croire que l’écologie induit des pertes d’emploi. En réalité, s’engager dans la transition écologique, ça créerait de la richesse. »
Faire advenir une pêche durable
De quoi s’interroger sur la pertinence d’allouer massivement des subventions à la pêche industrielle. A titre d’exemple, les chalutiers hauturiers et industriels captent à eux seuls 55% des subventions publiques, quand la pêche côtière, tous métiers confondus, n’en reçoit que 16%.
« Chez Bloom, on fait un une fixette sur les subventions, mais il y a de quoi, quand on voit qu’on subventionne massivement les navires les moins rentables, les moins générateurs d’emplois et les plus impactant pour l’environnement », insiste Claire Nouvian.
Rendu public ce 24 janvier, les auteurs du bilan attendent désormais des acteurs et autorités publiques concernés qu’ils s’en saisissent afin de faire advenir une pêche durable.
« Le constat, on l’a fait, les chiffres, on les connaît, conclut la directrice générale de Bloom. Maintenant, il faut agir. »
Un chantier de longue haleine auquel les auteurs du rapport entendent prendre part en continuant la recherche et en élaborant des propositions opérationnelles. « On se donne un an », annonce Claire Nouvian.
« On sait qu’il ne va pas être possible de tout changer d’un coup, complète Ken Kawahara, pêcheur et membre de l’association des ligneurs de la pointe de Bretagne, mais ça avance. On est à un moment stratégique où il faut que tout l’effort qu’on a mis dans la grande pêche au 20e siècle, on le mette dans la petite pêche au 21e. »