La ferme bio était à vendre avec ses 120 ha il y a 4 ans à Ploemeur en Bretagne. Les deux frères qui s’en séparaient pour une retraite bien méritée ne trouvaient pas de repreneur, mais refusaient de laisser cela retourner à l’agrochimie. Grâce à la mobilisation d’écologistes, d’agriculteurs et de militants issus du mouvement “nous voulons des coquelicots”, un beau projet a vu le jour : la ferme bio du Resto. Rencontre avec Sarah Farjot, Didier Fogaras, Cécile Thiébot.
Tout commence par un dossier
Avant le dossier, c’est sûr, il faut quelques vieux copains, Didier, Thierry et Pierre. Face à l’enjeu que représente cette terre agricole, ils décident de s’engager à reprendre 30 ha. Le reste des 120 ha, soit 90ha, a été légué à la famille des premiers propriétaires. Mais leur bonne volonté n’est pas suffisante. L’acquisition d’une terre agricole ne reçoit l’accord de la Safer que si elle est assortie d’un bon projet et d’un porteur de projet.
Les trois amis ont entre 60 et 65 ans. Leur vie professionnelle touche à son terme. Ils ne deviendront pas paysans à temps plein. Didier Fogaras est en train de transmettre son entreprise de paysage à sa fille. Pierre est déjà occupé par une ferme expérimentale de 25 ha. Et Thierry, retraité, est engagé dans l’associatif.
Jeune et motivé
Il faut donc un jeune porteur de projet ! Voilà Clément, 30 ans aujourd’hui, la “tête bien faite” dit Didier, ouvrier dans une ferme bio et désireux de s’installer. Ils rédigent un projet : une ferme collective, bio, en polyculture céréales / maraîchage / fruitiers.
“Nous avons pu mesurer à quel point le système en place (SDREA et CDOA) Schéma Directeur Régional d’Exploitation Agricole et la Commission Départementale d’Orientation Agricole, est favorable aux extensions, au détriment des premières installations” précise Didier.
Comme ils avaient lancé un appel, Pascal, 55 ans, ex-chef d’entreprise reconverti apiculteur et paysan, passionné d’agroécologie propose de rejoindre la ferme. Le projet est lauréat. Une équipe se constitue.
Une guerre s’est invitée
Les terres ont été cultivées en bio. Pourtant, elles se révèlent très sales, recelant des déchets de béton issus de la deuxième guerre mondiale. Le lieu a été réquisitionné pour accueillir les troupes allemandes. Un premier chantier collectif est lancé pour évacuer 200m3 de déchets plastiques, 30m3 de ferraille… Une belle solidarité se fait jour.
Faire pousser des fruits et des légumes pour les vendre en circuit court, ça démarre. Reste la partie céréales. L’équipe veut créer une boulangerie autonome à terme : culture, moulin, four et pain. Ils cherchent alors des professionel.le.s pour rejoindre l’aventure. Presque simultanément, deux femmes se présentent.
Cécile : “Au départ, je me suis dit, c’est trop beau, il y a un loup, ça ne va pas. Et puis, j’ai trouvé ce que c’était. Le souci, c’est qu’en fait ils n’étaient que des gars. Ils étaient cinq gars et il leur manquait des nanas dans ce groupe-là.”
Leur arrivée va rééquilibrer l’ensemble : hommes / femmes, jeunes / moins jeunes, mais aussi et surtout des parcours riches et variés.
Sarah ajoute que “bien entendu, cela ne dispense pas de bien réfléchir aux modes de gouvernance et de communication entre tous car les dissensions existent toujours et doivent être réglées.”
D’ailleurs, même si dans l’ensemble le groupe considère qu’il fonctionne bien, Cécile est vraiment contente d’avoir obtenu l’accord de tous pour un accompagnement en intelligence collective.
Le premier four est acheté. Des accords avec d’autres paysans boulangers à quelques kilomètres sont conclus pour moudre la farine issue de la ferme. Pierre, agriculteur bio, fournit les céréales manquantes. Les céréales sont issues de semences paysannes : plusieurs variété de blés, seigle, sarrasin, lentilles, lin et cameline
Tout ce qui est produit sur la ferme est vendu au détail et en circuit très court, au marché, à la ferme, un peu au Biocoop (pour les lentilles) ou via une AMAP. Et cette organisation repose sur le nombre qui permet de se dédoubler ! En projet, l’achat d’un four plus grand devrait permettre de faire du pain en plus grande quantité et d’assurer la viabilité de l’activité.
Une organisation respectueuse
Le principe du collectif, pour qu’il fonctionne, c’est le respect ! Et ça s’organise. Il faut déterminer ensemble les cercles de décision et leur périmètre, le rythme des réunions, le rôle de chacun et les temps de réflexion.
Les trois associés non actifs se sont donnés pour rôle d’accompagner, de conseiller, de contribuer à l’organisation et de suivre les comptes. Les quatre actifs travaillent chacun dans leur domaine et essaient de se tenir à une réunion d’organisation par semaine. Les boulangères, qui ont commencé par la boulange, essayent de reprendre la main sur la dizaine d’hectares de grandes cultures.
Tous les membres de l’équipe ont une vie quotidienne à l’extérieur de la ferme qui n’est donc qu’un lieu de travail.
“C’est bien, confirment les jeunes femmes, pour distinguer clairement les heures de travail. Les paysans vivaient toujours sur leur ferme autrefois. Ils n’avaient pas d’horaires et pas de vie privée.”
Tenir la route
Une SCEA (société civile d’exploitation agricole) investit et dépense. Au-delà de 500 €, toute dépense est discutée à 7.
Le tout premier objectif est de payer les 4 salaires des 4 actifs chaque mois. En vitesse de croisière, les actifs détermineront leur salaire au-delà du smic mais les statuts posent une égalité au centime près. Ils ont été écrits pour stabiliser l’équipe et le projet. Personne ne peut pas partir sur un coup de tête, au risque de perturber le travail collectif. Cela fait partie de l’engagement.
Le foncier a été acheté par une SCI citoyenne : La courte échelle.
“Nous partageons ensemble l’idée que parce que la terre est un bien commun et qu’il est vital de préserver sa fonction nourricière, les citoyen.ne.s du Pays de Lorient doivent se mobiliser pour la sanctuariser face à l’artificialisation des sols et à l’étalement urbain.”
Accompagnée par Terre de Liens Bretagne, et soutenue par Nous voulons des coquelicots, la SCI est un outil de portage foncier, destiné aux porteurs de projet (individuels ou collectifs) qui veulent promouvoir une agriculture de proximité respectueuse de l’environnement (bio ou conversion).
La culture paysanne, un avenir désirable
Aujourd’hui, l’entrée dans la SCI est de nouveau active : on peut prendre des parts à 100 € en ligne pour soutenir La Ferme Bio du Resto et la Ferme école de Kerguer.
Au départ La courte échelle rassemblait 180 adhérents, des copains, des sympathisants du projet du Resto. La volonté était d’éviter un propriétaire unique afin de permettre une bonne stabilité à la ferme et maintenir ce siège d’exploitation de façon pérenne, en dehors de logiques patrimoniales ou spéculatives.
La SCI a un capital de 272.000 €. Le but c’est l’autonomie financière.
Ils en sont convaincus : le respect du sol, des cycles naturels, des paysans, des produits et de leurs clients sont autant de conditions de la construction d’un avenir. L’eau de pluie est stockée dans une ancienne fosse à lisier de 300 m3 après un nettoyage délicat et dans une citerne de 500 m3 qui fonctionne sans pompe.
La sobriété est un choix collectif. Leur organisation est démocratique. Leur outillage est low-tech, en partie grâce à des liens avec l’Atelier paysan. Leur gestion est prudente.
Didier est paysagiste et très sensible à l’esthétique. Par habitude, il se méfie du pratique, l’ennemi du beau dans de nombreux cas. “Je crois que le beau rend heureux. Alors je veille à ce que cela reste une donnée du projet !”