Entre 4 000 et 5 000 personnes se sont rassemblées ce week-end pour manifester leur désaccord avec la construction de la Ligne à Grande Vitesse Lyon-Turin. Pour les opposants, le projet, qui date des années 90, ne répond plus aux normes écologiques actuelles et au développement économique de la Savoie.
L’accueil du public a débuté le vendredi soir au Camp de La Chapelle, en Maurienne, pour un week-end de mobilisation transfrontalière organisée par onze organisations : CCLT (Collectif citoyen militant contre le Lyon Turin), Vivre et Agir en Maurienne, Attac, Les Soulèvements de la terre, Les Amis de la terre, Greenpeace Chambéry, Sud Rail, Confédération Paysanne Savoie, No Tav, Europe Ecologie les Vert et La France Insoumise.
La manifestation s’est élancée samedi après-midi sous une forte présence policière. 2 000 gendarmes étaient présents. La préfecture avait interdit la marche jeudi 15 juin, le jour même où une manifestation autorisée rassemblant 150 personnes en la faveur du projet avait lieu à Saint Jean de Maurienne.
Les gendarmes ont utilisé à de nombreuses reprises du gaz lacrymogène pour tenter de disperser les militants, provoquant un petit incendie sur une partie du parcours. Selon les Soulèvements de la Terre, une cinquantaine d’entre eux ont été blessés, six ont dû être hospitalisés dont deux ayant des pronostics fonctionnels engagés. Faits d’armes, les manifestants ont réussi à dessiner un immense « Stop Telt », du nom du promoteur du projet, sur la RD1006.
Jeudi, l'ONU déclare : "la France doit procéder à un examen complet de son maintien de l'ordre".
Samedi, à la manif contre le #LyonTurin : 50 blessé-es, 6 hospitalisations, grenades de désencerclement dans la foule et tirs de GM2L qui explosent à hauteur de tête 🧶⤵️ pic.twitter.com/1W1Gywqqe2
— Les Soulèvements de la terre (@lessoulevements) June 19, 2023
Quelque 300 militants italiens du mouvement NoTav ont voulu se joindre à la manifestation mais ont été bloqués à la frontière pendant plus de 5 heures.
Une centaine d’entre eux a reçu des interdictions administratives de territoire. Ils ont improvisé une manifestation sur le chantier de San Didero, véritable plateforme logistique pour les travaux du Lyon-Turin avec une station essence et un parking poids-lourds.
« Un ravage environnemental »
La plus longue portion de la ligne, soit 140 kilomètres, sera construite en France, tandis qu’un tronçon d’environ 45 km sera édifié en Italie et un segment franco-italien de 84 km verra le jour entre les deux pays. Au total, cela nécessitera un forage de plus de 260 km de galeries à travers les massifs alpins pour la réalisation de 11 tunnels.
Les Soulèvements de la Terre dénonce un « ravage environnemental inacceptable pour les années à venir au profit de quelques industriels. ». Le projet détruira des dizaines d’hectares de zones humides, et artificialisera 1 500 hectares de terres agricoles (l’équivalent de 2064 terrains de foot).
Le bilan carbone n’est pas non plus positif. La Cour des comptes européenne a calculé que les émissions de la ligne ne seraient compensées qu’entre 25 et 50 ans après son entrée en service.
La réalisation du chantier prévoit également la captation d’eau potable dans plusieurs sources de la région. La Commission nationale de la déontologie et des alertes en matière de santé publique et d’environnement avait saisi le ministère de la Transition écologique sur les risques que représentait le captage d’eau potable sans que celui ne réponde à cette préoccupation.
Rappelons que la dernière étude environnementale du projet date de 2011. Le tracé de la ligne n’était pas encore connu à l’époque, il n’est d’ailleurs toujours pas définitif à ce jour.
Un projet inutile ?
« Quand on pose la question au Ministre des Transports si aujourd’hui on devrait construire la ligne, sa réponse est non » assène Julien Trottaz, secrétaire général de Sud-Rail.
Le projet, estimé à 26 milliards d’euros par la Cour des Comptes, un chiffre contesté par la construction TELT pour qui le coût sera de 18 milliards d’euros, a connu ses prémices dans les années 90.
Les prévisions de trafic sur la ligne ont « changé » depuis, selon Julien Trottaz. Les échanges sont aujourd’hui « beaucoup moins importants dus à des raisons économiques de désindustrialisation ».
Le report modal du transport routier vers le rail est le principal argument en faveur du projet, mais la ligne actuelle est sous-exploitée.
« La ligne existante a été rénovée et peut encore être améliorée. Le report modal pourrait se faire sans attendre les 15 à 20 ans de construction du Lyon-Turin et sans les dégâts environnementaux importants » insiste Julien Trottaz.
La question du développement économique de la région est également balayée par les opposants au projet.
« Avant de savoir de quelles marchandises circulent et en quelle quantité, on pense qu’il y a un sujet de relocalisation de l’économie » explique Julien Trottaz. « Le développement économique de la région passe par une relocalisation des productions et un arrêt avec la division internationale du travail. On a des exemples ! Les pommes de terre qui poussent en Haute-Savoie et vont se faire laver en Italie avant de revenir en France pour être vendues. »
Selon le dernier rapport du COI, Conseil d’orientation des infrastructures, il faudrait tout d’abord recentrer les investissements sur la modernisation de la ligne Dijon-Modane. Une condition indispensable « pour accueillir dans de bonnes conditions les trafics de fret sur l’itinéraire international Lyon-Turin », ce qui repousserait l’ouverture de la ligne à 2045 selon le COI.
Le 25 janvier, Les Amis de la Terre, l’association Vivre ensemble en Maurienne ou encore La France insoumise, estiment dans un communiqué que cette ligne existante permettait « d’assurer un report modal massif pour 16 millions de tonnes par an, ce qui équivaut au poids transporté par un million de poids lourds » Un chiffre identique à celui affiché par Telt, Tunnel Euralpin Lyon-Turin, le promoteur du projet.
L’Etat italien s’agace par la voix de son Vice-président du Conseil des ministres, Matteo Salvini, des tergiversations du côté français. Telt l’assure, le tronçon du côté italien sera terminé en 2032 pour une ouverture en 2033. Hors de question de retarder encore le projet.
Pourtant, face aux nombreuses incohérences économiques et écologiques, la plupart des militants locaux estiment qu’il ne verra jamais le jour.