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73 milliards d’euros en plus, la BCE fait sauter les derniers garde-fous des banques

On frôlait déjà le néant réglementaire, maintenant on touche le fond : il n’y a plus de limites à ce qui peut être modifié dans le peu que la construction réglementaire « démocratique » a produit.

La nouvelle se répand tranquillement dans les journaux et sur les sites économiques. « La BCE accorde un nouvel assouplissement aux banques », « La BCE assouplit ses règles à hauteur de 73 milliards pour soutenir les banques», « La BCE assouplit encore les exigences de fonds propres des grandes banques ». Des titres tellement laconiques qu’ils peuvent nous faire tomber dans des abîmes de perplexité. Mais on trouvait aussi « Crise. Les banques vont mal. La BCE change les règles ». Voilà qui semble plus clair, car c’est bien de cela qu’il s’agit : les banques vont mal et cette histoire d’assouplissement est encore un cadeau qui leur est fait. 

La mauvaise gestion des banques

A vue de nez, 73 milliards comparés aux déjà 1.300 milliards de « liquidités » accordés par la Banque centrale européenne (BCE) au printemps et aux centaines de milliards de garanties publiques accordés par les états, ça sonnerait presque comme une broutille. Et puis, en comparaison avec l’envergure des destructions et autres problèmes sociaux et écologiques posés par les pratiques bancaires et financières, l’événement pourrait paraître anecdotique. 

Pourtant, la décision de la BCE est hautement symbolique : elle achève de déconstruire le peu de cadre qui avait été donné aux banques après la crise de 2008. 

La nature même de l’activité bancaire, le crédit, consiste en une prise de risque : le risque que les emprunteurs ne remboursent pas. C’est la fonction de la banque que d’évaluer ce risque et de décider si elle a les moyens de le prendre.

Les banques ont pour cela une réserve : leur capital, aussi appelé fonds propres. Le capital est là pour absorber les pertes éventuelles, celles liées notamment au non-remboursement des crédits et aux pertes de valeur des titres financiers qu’elles détiennent. 

Pendant la crise de 2008, les banques ont prouvé qu’elles n’avaient pas les moyens des risques délirants qu’elles avaient pris : leurs fonds propres étaient trop limités pour absorber leurs pertes. Nombre d’entre elles se sont donc retrouvées techniquement en faillite et le choix a alors été fait, dans la panique et vu l’incapacité des dirigeants à concevoir d’autres solutions, de les sauver avec de l’argent public. Un coût abyssal pour la collectivité.  

Au lendemain de la crise, une des priorités des régulateurs a donc été de modifier les réglementations qui régissent le montant des fonds propres des banques. C’était la fonction du comité de Bâle (qui a alors écrit la 3ème version de son dispositif réglementaire, Bâle 3) et des institutions des différents pays. 

Mais la force du lobbying et l’idéologie dominante au sein des gouvernements et de l’appareil législatif ont accouché de règles excessivement compliquées qui se perdent dans mille détails et permettent aux banques, notamment les plus grandes, de s’extraire largement des contraintes par des jeux de pondération des risques et autres exceptions. 

Résultat : dix ans après la crise de 2008, les grandes banques européennes détiennent à peine plus de 5 % de fonds propres par rapport au montant total de leurs engagements. Leur « coussin de sécurité » est bien maigre, et certainement pas suffisant pour absorber des chocs significatifs, mais il est établi dans le respect de la loi. 

Le sauvetage des banques par la BCE

Revenons-en à la dernière annonce de la Banque centrale européenne. La grande panique des gouvernants et autres représentants des instances de contrôle, c’est que les banques arrêtent de prêter (l’économie fonctionne à la dette, et s’il n’y a plus de crédit bancaire pour continuer la course folle à la croissance, l’édifice se fissure voire s’écroule) et/ou qu’elles tombent en faillite (ménages et entreprises n’ont plus les moyens de rembourser leurs crédits vu les circonstances, de plus en plus de crédits sont en défaut de paiement, ce qui signifie des pertes pour les banques). 

C’est ce qui a justifié la débauche de moyens déployés dès le début de la pandémie pour soutenir les banques et tout le système financier

Tout a commencé discrètement par l’annulation des « coussins contracycliques » (une réserve de capital justement imposée aux grandes banques pour surmonter les crises) et autres mesures similaires le 12 mars 2020, puis par l’annonce des 750 milliards de liquidités pour les banques le 18 mars 2020 (bientôt suivies par 600 milliards supplémentaires), puis, le 27 mars, par un report d’un an de l’application des règles de Bâle 3 qui seront désormais appliquées en 2023. 

Malgré tout cela, les banques vacillent : les résultats du deuxième trimestre étaient encore relativement positifs pour certaines, mais d’autres affichaient déjà des pertes. Rappelons quand même qu’un an plus tôt, les fameux stress tests de l’organe de contrôle des banques, l’EBA, adoubaient les banques européennes pour leur solidité et leur remarquable capitalisation. 

Aujourd’hui, on risque de voir le niveau de fonds propres de nombreuses banques passer sous le niveau réglementaire. Pour remédier à ce problème, la BCE a donc décidé de modifier le mode de calcul par lequel on évalue si les fonds propres ont un niveau suffisant, c’est-à-dire le rapport entre le montant de fonds propres et le montant des engagements pris par la banque.

Ce rapport est aussi appelé “ratio de levier”. Et pour augmenter le ratio rien de plus simple: on enlève certains éléments du total des engagements (le dénominateur), en l’occurrence les fameux 73 milliards à l’échelle du système bancaire européen.  Et hop, le ratio monte. De la magie. 

On frôlait déjà le néant réglementaire, maintenant on touche le fond : il n’y a plus de limites à ce qui peut être modifié dans le peu que la construction réglementaire « démocratique » a produit. 

Certes les circonstances sont exceptionnelles, mais elles n’en finissent plus d’être exceptionnelles et de tout justifier. On va de circonstance exceptionnelle en état d’exception, que ce soit en matière de contrôle de la population et de restriction des libertés ou en matière de réglementation bancaire, l’exception s’installe. 

Cependant, les sujets bancaires ont cet avantage qu’il est inutile d’y mettre la force policière: ça se passe dans des espaces réservés, c’est dit en anglais, c’est traduit dans des pages que seuls peu d’initiés lisent.

Le rôle des actionnaires et des créanciers

Cela fait des années que les banques sont sous perfusion des banques centrales et des états (et donc de la population), cela fait des années qu’elles font tout pour saper les projets de réglementation les concernant, et cela fait des années que leurs créanciers et actionnaires encaissent intérêts et dividendes. 

Maintenant, on nous raconte l’histoire que c’est à cause de la pandémie, à cause de tous ces malheureux qui ne peuvent plus rembourser leurs emprunts, que les banques doivent être soutenues. 

Mais les dernières mesures de la BCE combinées aux annonces de résultats du deuxième trimestre rendent impossible la méprise : les banques vont mal et si on refait le chemin de ces dernières années, c’est de leur responsabilité puisqu’elles ont elles-même construit leur propre fragilité, leur dépendance au soutien public et leurs risques ! 

Mais n’oublions pas que dans cette histoire ce sont les emprunteurs qui prennent finalement le plus de risques : quelle maîtrise du marché de l’emploi a un. ouvrier.e, un.e employé.e ? Aucune. 

Il ou elle peut se retrouver sans emploi du jour au lendemain par simple décision de son employeur, et de ce fait dans l’impossibilité de rembourser un crédit. Quelle maîtrise du marché du logement ont des locataires ? Aucune. Les locataires tentent de se démener bon an mal an pour trouver un logement correct et payable sur un marché maîtrise par des gros propriétaires et des investisseurs. 

Quelle maîtrise des évolutions réglementaires et des décisions gouvernementales, ont les petits commerces et autres très petites entreprise ? Aucune. Ce ne sont pas elles et eux qui ont accès aux ministères et réussissent le mieux à faire entendre leurs revendications. 

Les grandes banques, elles, ont la maîtrise de tout cela. Elles peuvent anticiper les risques qu’elles prennent. Elles peuvent calculer les risques de défaut de paiement dans un secteur donné, à une période donnée, et constituer des réserves en fonction. Elles peuvent remplir cette fonction de prise de risque sans la faire peser sur la population. 

Mais pour l’instant, leurs dirigeants savent très bien que s’ils n’ont pas assez de capital pour absorber leurs pertes, les gouvernants seront là pour les aider. C’est tellement confortable, c’est ce qu’on appelle l’aléa moral. 

Certes, les pratiques sont aujourd’hui plus discrètes que les sauvetages en grande pompe de 2008-2011, mais elles sont là. 

Alors lorsque la prochaine faillite arrivera, de deux choses l’une : soit on met les mauvais payeurs en esclavage pour que la richesse produite par leur travail paie les dettes et évite la faillite des banques, soit on continue de faire des cadeaux en platine aux banques. 

Tout cela ressemble à une alternative infernale, un choix entre la peste et le choléra qui pétrifie et bouche l’horizon. Reste donc à faire sauter les verrous que nous avons dans la tête : la possibilité d’une faillite bancaire est un impensé qui nous tient, qui nous empêche de réfléchir aux options qui s’offrent à nous si on décide de s’organiser pour faire porter le coût des risques à ceux qui en ont les moyens et qui sont là pour ça : les dirigeants, les actionnaires et les créanciers des banques.

La bonne nouvelle c’est qu’il y a des chemins de traverse, car une dette, ça se répudie, ça se déshonore. Comme le disait David Graeber, une dette n’est qu’une promesse, et le monde dans lequel nous vivons est truffé de promesses que ceux qui nous dirigent et nous dominent n’en finissent pas de bafouer. 

Aline Fares

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