Alors que le gouvernement français recherche 40 milliards d’économies dans le prochain budget, sept Prix Nobel d’économie rappellent l’importance de taxer les ultra-riches. Un impôt plancher sur les patrimoines des milliardaires pourrait rapporter plus de 20 milliards d’euros par an.
Dans une tribune parue dans LeMonde, Daron Acemoglu (MIT), Prix Nobel d’économie 2024 ; George Akerlof (Georgetown), Prix Nobel d’économie 2001 ; Abhijit Banerjee (MIT), Prix Nobel d’économie 2019 ; Esther Duflo (Collège de France et MIT), Prix Nobel d’économie 2019 ; Simon Johnson (MIT), Prix Nobel d’économie 2024 ; Paul Krugman (CUNY), Prix Nobel d’économie 2008 ; Joseph Stiglitz (Columbia), Prix Nobel d’économie 2001 exhortent le gouvernement français à faire preuve de bon sens.
Depuis fin 2024, les coupes budgétaires se multiplient en France. Les secteurs les premiers concernés sont ceux touchant à la culture, au monde associatif, à l’écologie et à la santé. A l’inverse, les budgets dédiés à la défense et l’armement sont consolidés. Alors que le gouvernement français veut préparer les citoyens à voir encore une fois leur pouvoir d’achat baisser avec le vote du budget à l’automne, 7 Prix Nobel d’économie l’exhortent à mettre en place la taxe Zucman. En effet, « les milliardaires ont des taux effectifs d’imposition plus faibles que ceux du contribuable moyen ».
« Ces ultrariches paient entre 0 % et 0,6 % de leur patrimoine en impôt individuel sur le revenu. Environ 0,6 % dans un pays comme les Etats-Unis et 0,1 % dans un pays comme la France, » expliquent-ils.
La cause : l’optimisation fiscale des grandes fortunes qui structurent leur patrimoine pour échapper à l’impôt sur le revenu, notamment via des holdings familiales. Aux Etats-Unis, il est interdit d’utiliser une holding familiale pour se soustraire à l’impôt depuis les années 1930, ce qui explique pourquoi les grandes fortunes y sont un peu plus taxées qu’en Europe. En France, la taxe proposée par l’économiste Gabriel Zucman permettrait de rétablir l’équilibre.
« L’une des pistes les plus prometteuses consiste à instaurer un impôt plancher pour les ultrariches, exprimé en pourcentage de leur patrimoine. Ce dispositif est efficace, car il s’attaque à toutes les formes d’optimisation, quelle qu’en soit la nature. Il est ciblé, car il touche principalement, parmi les contribuables les plus fortunés, ceux qui ont recours à l’optimisation fiscale. Et il est nécessaire, car il semble difficile de demander des efforts à quelque catégorie sociale que ce soit avant de s’être assuré que les plus fortunés ne se soustraient pas à l’impôt. »
A l’échelle mondiale, un taux plancher de 2 % sur la fortune de 3000 milliardaires créerait 212 milliards d’euros de recettes fiscales. En Europe, plus de 42 milliards d’euros. En France, alors que les députés s’étaient prononcés en faveur de la création d’un impôt plancher de 2 % sur les patrimoines supérieurs à 100 millions d’euros, les sénateurs ont fait obstacle à cette avancée.
Par le passé, la France a pourtant déjà fait preuve d’exemplarité. En 1954, elle a été le premier pays à créer une taxe sur la valeur ajoutée (TVA), avant d’être suivie par tous les pays du monde (hormis les Etats-Unis). Aujourd’hui, avec l’explosion des grandes fortunes, la gravité structurelle des inégalités devient un fléau pour l’économie française, expliquent les Prix Nobel.
« Les ultrariches sont particulièrement prospères en France. Les milliardaires mondiaux possèdent en patrimoine l’équivalent de 14 % du produit intérieur brut (PIB) de la planète, d’après le magazine Forbes ; les Français près de 30 % du PIB hexagonal »
Dans le même temps, la France a atteint en 2023 un pic de pauvreté sans précédent depuis 30 ans. En 2023, 15,4 % de la population, soit 9,8 millions de personnes, vit sous le seuil de pauvreté monétaire, fixé à 60 % du revenu mensuel médian, soit 1 288 euros, pour une personne seule.
C’est pourquoi il devient vital de taxer les milliardaires. Les pontes de l’économie rappellent qu’une taxation sur le patrimoine n’est pas synonyme de catastrophe, bien au contraire. Pour exemple, l’impôt sur le revenu avait permis de booster l’économie à son lancement.
« Quant aux risques d’exil fiscal, le texte voté par l’Assemblée nationale prévoit que les contribuables continueraient à être soumis à l’impôt plancher durant cinq années après leur départ. Le gouvernement pourrait aller plus loin et proposer d’étendre ce délai à dix ans, ce qui devrait être de nature à réduire encore davantage les risques d’expatriation. »
En juin, le Brésil, l’Espagne, l’Afrique du Sud et le Chili ont annoncé leur volonté d’œuvrer ensemble à la taxation des ultrariches. A quand la France ?