La jeune Alizée s’est fait remarquer par le monde entier en tentant d’ouvrir les yeux aux téléspectateurs de Roland Garros sur l’ampleur de la catastrophe climatique qui nous arrive déjà dessus. Son action lui a valu d’être traitée comme une criminelle avec 40h de garde-à-vue, et de nombreuses menaces de mort. Une réaction tristement symptomatique du déni de notre société occidentale sur la gravité de la situation, et de la criminalisation des militants écolos.
Court Philippe-Chatrier, vendredi 3 juin. Alors que Casper Ruud et Marin Cilic sont en plein match de demi-finale « messieurs », Alizée, 22 ans, bondit sur la terre battue et s’accroche la nuque au filet, avant de s’agenouiller face à la caméra.
Le regard déterminé, calme comme une statue de marbre, la jeune femme porte un tee-shirt blanc où est inscrit au feutre noir, en lettres capitales : « We have 1 028 days left », « Il nous reste 1 028 jours ».
Sur le col, une seconde inscription, plus petite : « Dernière Rénovation ». Créé il y a quelques mois, ce collectif exige que le gouvernement s’engage sans délai à financer et assurer la rénovation énergétique globale du parc immobilier français d’ici 2040 – une mesure qu’il juge consensuelle et facilement applicable.
Dans son ultimatum adressé au président de la République, le 9 mars dernier, Dernière Rénovation promettait « d’entrer en résistance civile » dès le 28 du même mois, pour « prévenir le crime » que notre inaction commet « à l’encontre de notre pays, de l’humanité et de la vie sur terre ».
N’ayant reçu aucune réponse, les membres du collectif ont déclenché une série d’actions non violentes, qui a commencé par le blocage de plusieurs autoroutes – les 1er, 5 et 15 avril, à Paris – et s’est prolongée par l’intrusion d’une de leurs activistes sur le court de Roland-Garros.
Que veut dire « 1 028 jours » ?
L’interruption du match n’a duré que quelques minutes, le temps pour les images de faire le tour de la terre, et pour les vigiles costumés de décrocher la jeune fille, placée en garde à vue pendant plus de 40 heures, au terme desquelles elle a reçu un rappel à la loi.
Avant de sacrifier ainsi deux jours de sa vie, Alizée a expliqué le but de son action sur les réseaux sociaux :
« Le monde vers lequel nous envoient les politiques est un monde où Roland Garros ne pourra plus exister », écrivait-elle le 3 juin. « Aujourd’hui, je suis entrée sur le terrain car je ne peux plus prendre le risque de ne rien faire. […] 1 028 jours, c’est ce qu’il nous reste pour sauver nos vies et celles de ceux qu’on aime des pires catastrophes climatiques. »
Le chiffre de « 1 028 jours » provient du dernier rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec).
Publiée le 4 avril 2022, la dernière partie de ce document de 3 000 pages avertissait, en bref, que le pic des émissions mondiales de gaz à effet de serre devait être atteint au plus tard en 2025 pour que le réchauffement climatique soit maintenu en deçà de 1,5 °C par rapport à l’ère préindustrielle, c’est-à-dire à un niveau déjà gravissime, mais supportable pour la majeure partie de l’humanité.
Début avril, il restait donc trois ans aux gouvernements du monde entier pour adopter des mesures drastiques de réduction de nos émissions, soit 1 095 jours environ – un décompte passé, le 3 juin, à ce fameux chiffre de 1 028.
Ignorance et confusion
Dans le stade, les journaux, à la télévision, sur internet, les réactions à cet acte de résistance civile se sont montrées contrastées, entre admiration, ironie, incompréhension et violence. Au moment de l’action elle-même, la militante raconte avoir été sifflée par les spectateurs, dont certains l’auraient insultée :
« Les huées que j’ai entendues sont encore en moi, j’ai ressenti beaucoup de tristesse sur un message que j’ai essayé d’amener et qui n’est pas forcément entendu. Se rendre compte que les personnes se sont juste levées pour me filmer… »
Comme le remarque le vulgarisateur scientifique BonPote, les commentateurs sportifs de France 2, qui suivaient le match en direct, n’ont pas non plus compris le message des « 1 028 jours », preuve « assez symptomatique » que « le traitement des enjeux climatiques à la TV et plus généralement dans le sport » est « un tabou depuis plus d’une décennie ».
Relevant des « tweets misogynes par dizaines », d’autres la traitant de « bobo », de « folle » ou appelant « à lui servir dans la gueule », Bon Pote rappelle que la militante n’avait pas pour ambition d’« emmerder les spectateurs de Roland-Garros », mais d’alerter sur la trajectoire catastrophique dans laquelle nous sommes encore engagés.
Cette réaction épidermique est d’ailleurs savamment entretenue par le gouvernement français lui-même, qui criminalise de plus en plus les militants écologistes et leurs actions.
Exemple emblématique : quelques jours plus tard, en direct sur LCI, la ministre de la Transition écologique Amélie de Montchalin accusait le leader de la France insoumise, Jean-Luc Mélenchon, de « surfer sur la peur des jeunes » vis-à-vis du climat, le comparant carrément à Marine Le Pen !
« La ministre de la transition écologique met sur le même plan l’angoisse des jeunes face au changement climatique, qui est une réalité scientifique, et la xénophobie, qui est une peur alimentée par l’extrême droite. On accélère définitivement tout droit vers le chaos climatique. » en conclut sinistrement le journaliste de Médiapart, spécialisé dans les enquêtes sur les criminels climatiques, Mickaël Correia