Lancée par les activistes de Dernière Rénovation, la campagne « Riposte alimentaire » vise à instaurer une Sécurité sociale de l'alimentation. Un dispositif particulièrement ambitieux, porté depuis plusieurs années par le Collectif pour une Sécurité sociale de l'alimentation.
Riposte Alimentaire
Connus pour leurs actions de désobéissance civile en faveur de la rénovation thermique des bâtiments, les membres du collectif Dernière Rénovation ont annoncé en décembre dernier arrêter leurs actions. Un arrêt très bref, puisque les militants ont fait leur grand retour sur le devant de la scène il y a tout juste quelques semaines, cette fois au sein de la campagne « Riposte alimentaire ».
Fin janvier, deux citoyennes engagées dans cette nouvelle campagne ont aspergé de soupe le tableau de la Joconde, au Louvre, quand quelques jours plus tard, deux activistes de « Riposte alimentaire » ont à leur tour aspergé un tableau de Claude Monet, qui était protégé par une vitre, aux Beaux-Arts de Lyon.
Des actions coups de poing, à l’image de celles menées par Dernière Rénovation, à travers lesquelles les activistes ont affiché publiquement leur nouveau combat, cette fois dédié à la mise en place d’une Sécurité sociale de l’alimentation (SSA) durable.
Pour une sécurité sociale de l’alimentation
Peu connu du grand public, le projet de Sécurité sociale de l’alimentation (SSA) ambitionne d’intégrer l’alimentation au régime général de la sécurité sociale.
Concrètement, le projet consiste à mettre en place une carte vitale de l’alimentation qui permettrait à tous les citoyens, quels que soient leurs revenus, d’accéder chaque mois à 150 euros de produits alimentaires conventionnés, et ce grâce à un système de cotisations qui garantirait « une répartition juste et solidaire, comme pour la sécurité sociale ».
Pour être conventionnés, les produits seraient eux validés par des assemblées locales en fonction de critères écologiques et agricoles, dans le respect des limites planétaires. Un projet particulièrement ambitieux qui répond à un besoin urgent, estime Rachel, 22 ans.
« En France, une personne sur trois ne mange pas trois repas par jour faute de moyens, explique l’activiste de la campagne « Riposte alimentaire » pour La Relève et La Peste. Ce constat posé, quand on a commencé à réfléchir à notre nouvelle campagne après la rénovation thermique des bâtiments, l’alimentation nous a semblé être le sujet le plus important aujourd’hui ».
Et de renchérir : « Le fait que notre campagne ait débuté au moment où les paysans ont manifesté leur colère n’est pas une coïncidence. Cela montre que l’alimentation est un sujet primordial ».
Coût estimé à 120 milliards d’euros
Plus présent dans le débat public depuis le lancement de la campagne « Riposte alimentaire », le projet de SSA est en réalité porté depuis 2019 par les membres du Collectif pour une Sécurité sociale de l’alimentation.
Composé d’organisations locales et nationales, ce dernier réfléchit depuis sa création aux façons de « permettre aux citoyens d’avoir une alimentation plus saine tout en permettant au monde paysan de sortir du marasme économique, expliquent Antonin Moulart et Éric Gauthier, deux membres du collectif, pour La Relève et La Peste. Dans cette perspective, le projet de SSA est vraiment venu apporter un éclairage nouveau ».
Défenseurs de la première heure de la SSA, ces derniers insistent sur les deux piliers clé du projet : son universalité, ainsi que son financement grâce à la cotisation.
« A l’échelle de la France, la mise en place de la SSA représenterait 120 milliards d’euros », détaillent-ils. C’est un chiffre énorme, mais comparativement à ce qu’on dépense pour les maladies liées aux problèmes d’alimentation, comme certains cancers ou le diabète, ça aurait vraiment du sens de les investir. »
En effet, en 2020, on estimait le coût des seules maladies chroniques à 168 milliards d’euros en France, hors Covid.
Des expérimentations locales innovantes
Pour l’heure, plusieurs expérimentations locales s’inspirent du projet de SSA, comme à Cadenet, dans le Vaucluse, où depuis trois un an, un groupe d’habitants, dont fait partie Éric Gauthier et dont nous avions parlé dans un précédent article, réfléchit collectivement aux questions de démocratie alimentaire.
Ces derniers viennent d’ailleurs de recevoir une subvention qui va permettre à une trentaine d’habitants de recevoir, à compter du 1er avril, 150 euros par mois pour faire des courses remboursées.
« On n’est pas tout à fait dans le cadre de la SSA, puisque le financement ne se fait pas via la cotisation sociale, et que tous les habitants du village ne sont pas concernés, mais c’est déjà une belle avancée », sourit Éric Gauthier pour La Relève et La Peste.
Au-delà du Vaucluse, différentes initiatives inspirées de la SSA se développent par ailleurs à travers la France, de Montpellier à la Drôme en passant par la Touraine. Autant d’initiatives dont se félicitent Antonin Moulart et Éric Gauthier :
« Chaque territoire a ses spécificités, mais à chaque fois, on part du principe que ce sont les habitants eux-mêmes qui sont les mieux placés pour choisir ce qu’ils veulent mettre dans leur assiette. On fait le pari qu’ils seront sensibles à respecter une alimentation durable tout en créant du travail pour les paysans autour de chez eux. »
La Sécurité Sociale de l’Alimentation, bientôt dans toute la France ?
Des propos corroborés par Rachel, qui espère voir advenir la mise en place de la SSA d’ici quelques années à l’échelle de la France.
« Pour chacune de nos campagnes, on se donne généralement deux ou trois ans pour arriver à des avancées majeures, précise-t-elle. Sur la rénovation énergétique des bâtiments, on a eu des avancées importantes, avec l’augmentation de la Prime Rénov d’1,6 milliards. D’ailleurs, on continue à se mobiliser sur la question. Quand le gouvernement a annoncé comme objectif de réduire dès cette année ses dépenses de 10 milliards d’euros [dont 1 milliard d’euros en moins pour la Prime Rénov’, NDLR], on s’est mobilisés », insiste-t-elle.
« Avec la SSA, l’objectif c’est que d’ici quelques années, cela devienne banal d’avoir ces 150 euros par mois pour s’acheter des produits durables et que dans le même temps, ça contribue à rémunérer dignement les paysans. »
Un objectif également poursuivi par le Collectif pour une Sécurité sociale de l’alimentation, qui aspire à « un revenu digne autant pour les paysans que pour l’ensemble des travailleurs de la filière alimentation, de la transformation à la distribution ». Ce dernier rappelle néanmoins l’importance d’une « appropriation citoyenne et populaire des enjeux relatifs à l’alimentation. Si l’État affirmait demain qu’il mettait en place la SSA, on risquerait de se planter », insistent Antonin Moulart et Éric Gauthier.
« Il faut vraiment que cela vienne des citoyens eux-mêmes, que ce ne soit pas une énième mesure imposée par le haut, sinon cela risquerait de dénaturer le projet. »