En 2018, Damien Carême, alors Maire de Grande-Synthe, attaquait l’État en justice pour inaction climatique. Ce 1er juillet 2021, le Conseil d’État vient de lui donner raison dans une décision de justice historique. La plus haute juridiction administrative française laisse maintenant neuf mois au gouvernement pour prendre les mesures nécessaires à respecter ses propres engagements. Une décision censée replacer l’engagement climatique au cœur du débat pour les élections présidentielles de 2022.
Malgré une politique climatique et écologique exemplaire, la Ville de Grande-Synthe est menacée par la montée des eaux causée par le réchauffement climatique. Inquiet de voir les efforts de la Ville sapés par l’inconséquence de l’Etat, le Maire Damien Carême avait alors décidé de déposer un recours contre l’Etat pour exiger que la France réduise drastiquement ses émissions de gaz à effet de serre.
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Ce 1er juillet est une victoire historique pour l’ancien édile. Tout comme pour l’Affaire du Siècle, le Conseil d’Etat a fixé un nouvel ultimatum au gouvernement pour qu’il tienne ses engagements : il a jusqu’au 31 mars 2022 pour prendre les mesures nécessaires afin de réduire les émissions de gaz à effet de serre du pays.
A l’issue de ce délai, une astreinte financière pourra être prononcée si le Conseil d’Etat juge que les mesures supplémentaires n’ont pas été prises.
La France s’est engagée à diminuer ses émissions de 40 % d’ici à 2030 par rapport aux niveaux de 1990, et à atteindre la neutralité carbone d’ici à 2050. Le pays risque également de devoir se conforter à l’ambition portée par l’Union européenne qui a récemment décidé de réduire ses émissions nettes d’au moins 55 % d’ici à 2030.
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« Je me félicite de cette décision historique que je suis fier d’avoir initié en 2018. Concrètement, nous espérons que les lois votées en France aillent désormais dans le sens des engagements internationaux pris pour préserver notre climat et la biodiversité. La France est le 10ième pays qui sera le plus impacté par la crise climatique, il faut donc contraindre le gouvernement à s’engager pour limiter les dégâts. Ce qui se passe au Canada avec 49°C et 240 morts en est un exemple tragique, et je suis très heureux que cette plainte aboutisse. Chacun doit prendre ses responsabilités : département, préfecture, région, chaque échelon a des choses à faire concernant l’atténuation et l’adaptation au changement climatique. » a réagi Damien Carême lors de la conférence de presse qui a suivi la décision du Conseil d’Etat
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De fait, cette décision devrait donner du grain à moudre pour les débats parlementaires concernant la loi Climat & Résilience dont le programme actuel ne permet pas à la France d’atteindre ses objectifs de réduction des émissions de GES, ainsi que l’a pointé le tout dernier rapport du Haut Conseil pour le Climat.
« Le Conseil d’État enjoint à l’État de prendre les mesures nécessaires de se mettre en conformité avec l’objectif d’ici neuf mois. Cela revient à un mois avant le deuxième tour des élections présidentielles : cela veut dire que la question climatique doit être au centre des questions présidentielles. Il suffit de regarder ce qu’il se passe au Canada, les fuites du rapport du GIEC sont sans équivoque aucune. Ce n’est pas une victoire symbolique, c’est extrêmement concret et le gouvernement a l’épée dans les reins. » a réagi l’avocate Corinne Lepage qui suivait le dossier
Le Conseil d’État en France fait autorité sur les décrets pris dans le pays : si des mesures sont prises en contrariété avec l’affirmation du Conseil d’État, les actes réglementaires deviennent illégaux.
En revanche, le Conseil d’État ne juge pas pas les lois. C’est donc la question de la constitutionnalité des lois qui va se poser et de saisie potentielle du Conseil Constitutionnel, comme cela a été le cas pour la censure des mesures les plus liberticides de la loi Sécurité Globale.
Cette décision s’inscrit dans le mouvement de la justice climatique au niveau planétaire, avec plus de 1500 procès en cours dans le monde. La décision de la plus haute juridiction française s’insère donc dans la continuité des grandes décisions rendues par les cours suprêmes d’autres pays, comme aux Pays-Bas.
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« On peut regretter le délai de neuf mois qui nous paraît toujours lointain au regard de l’urgence et de l’importance de la réparation du préjudice écologique. Nous sommes dans un État de droit, et nous faisons la promesse que nous ne laisserons aucun politique ignorer cette décision de justice majeure, qui intervient après la troisième publication du rapport du HCC. Cette procrastination a un coût humain et social dès aujourd’hui, n’attendons pas de devoir parquer les plus fragiles dans des centres de refroidissement pendant les canicules. » a réagi Célia Gautier, fondation Nicolas Hulot et porte-parole de l’Affaire Du Siècle
Cette victoire est le symbole de ce qui se joue actuellement dans les tribunaux du monde entier, et rappelle l’importance de pouvoir des changer les lois quand celles-ci deviennent illégitimes et injustes.