On vous avait déjà parlé de la boulangerie anarchiste de Montreuil ; aujourd’hui, c’est une toute autre initiative mais non moins positive qu’on aimerait vous faire connaître. Martin Pautard, un acteur passionné qui habite à Montreuil depuis plus de onze ans, en a eu sa claque de la consommation de masse et des grandes marques qui se font la part du lion sur le dos des exploités et des clients. Il a décidé de lancer sa propre collection de vêtements : Montreuil Story. Sa marque de fabrique ? Des vêtements 100% bio, avec une émission carbone réduite de 90% et surtout, validés par un label qui vérifie les conditions de travail des producteurs !
La réduction de 90% du CO2 a été rendue possible grâce à la combinaison du faible impact de l’agriculture biologique, de l’efficacité dans la manufacture et le transport, et de l’utilisation des énergies renouvelables au lieu de l’électricité issue des combustibles fossiles. En d’autres termes, Martin lance sa marque de vêtements 100% durables et 100% éthiques. Montreuil Story, c’est le genre d’initiatives créées pour redynamiser le commerce local et grappiller des parts de marché aux grandes entreprises. Le but, ce n’est pas de faire des bénéfices, non, mais de petites marges suffisantes pour produire de nouveaux vêtements. C’est éthique et ce sont des vêtements de qualité. Qui pourra dire qu’on ne peut pas le faire ? Pour le moment, on peut trouver sa marque sur Facebook à Montreuil Story ou directement en contactant Martin Pautard. La rédaction s’est même acheté son propre tee-shirt ! Mais comme on n’a pas voulu en rester là, La Relève et la Peste est partie tout droit à Montreuil pour interviewer ce jeune entrepreneur de demain.

La Relève : Comment est née l’idée de Montreuil Story ? Un engagement ?
Martin Pautard :
Je n’ai aucun diplôme, ni brevet, ni bac, je suis autodidacte dans tout ce que j’entreprends. Ça faisait longtemps que je voulais monter une marque de vêtements, mais il y avait une barrière qui me disait : tu n’as pas les compétences. Un jour pourtant, je me suis dit : « L’envie, c’est la légitimité. Et j’ai vraiment envie de le faire. » Lors d’un voyage aux USA, je suis tombé sur une marque : Brooklyn Industry, et j’ai décidé de ramener leurs vêtements en France à la place de ceux des grandes marques. De retour chez moi, je me suis rendu compte en trois clics (!) qu’on pouvait faire ses propres vêtements durables très facilement. Alors si les marques ne veulent pas le faire, ce n’est qu’une question de marge : elles ne veulent pas perdre 10% de leurs bénéfices pour être éthiques, c’est tout.
La Relève : Pour toi, c’est un moyen de résister aux grandes marques, un projet militant ?
Martin Pautard :
Oui ! J’en avais ras le bol des grandes marques, de ces vêtements qui font quatre fois le tour du monde avant qu’on les achète. J’en pouvais plus de me dire qu’aux quatre coins de la planète des hommes, des femmes et des enfants, comme moi, sont quasiment des esclaves, tout ça pour qu’on ait un logo connu sur nos vêtements. Les marques se servent, elles font plus de 80% ou 90% de plus-value sur le moindre produit et pour moi, acheter c’est approuver, c’est participer.
On ne peut pas en rester là, c’est fini ; ça, c’est le monde d’hier. Et moi je suis certain d’une chose, c’est qu’on ne les arrêtera pas en les mettant en prison. Ce qu’il faut faire, c’est leur grappiller des parts de marché. Et chaque petite initiative écologique et durable qui récolte un euro, c’est un euro de moins dans leur poche. Jusqu’au jour où pour préserver leurs parts de marché, les grandes entreprises se mettront à faire du bio, de la production durable et arrêteront d’exploiter les gens. Cela ne sert à rien de détruire la planète et de détruire l’homme pour ensuite reverser de l’argent aux associations ! C’est une charité criminelle. Il faut qu’à la source, le projet soit viable pour tout le monde, il faut réduire nos marges et faire profiter le plus grand nombre possible avec les meilleurs produits possible.
La Relève : À t’écouter, on dirait que ton projet a aussi pour vocation de créer une vraie communauté d’entraide ?
Martin Pautard :
À Montreuil, c’est pareil qu’à Brooklyn : il y a une énergie que tu peux sentir physiquement, en discutant avec les gens, l’impression que l’intégration est réussie ; les gens se côtoient, échangent, évoluent ensemble. Il y a un terreau ouvrier qui reste, plein d’initiatives locales, des artistes, des intermittents du spectacle, des techniciens, des travailleurs, des artisans, des créateurs d’entreprise, et tout ce monde-là vit ensemble ! Les gens sont très sensibles aux problèmes écologiques et sociaux. On parle toujours du 93 comme de la jungle dans la plupart des médias, sur TF1 ou BFM par exemple. Moi je pense que la France de demain est ici : c’est une ville où les différences vivent ensemble. Je voulais lancer une marque locale qui porte le nom d’un lien social : Montreuil.
Montreuil, c’est la diversité. Le but ce n’est pas de fermer des portes, c’est d’en ouvrir : j’en suis donc arrivé, pour le format des vêtements, à un coloris noir et blanc, avec un graphisme épuré, juste un peu de travers, pour montrer qu’on peut faire différent et que tout le monde peut s’y retrouver en même temps : les jeunes, les vieux, les riches, les pauvres. C’est une marque inclusive, pas exclusive. Des gens ont soutenu l’idée, plein de gens, et ils étaient prêts à acheter les tee-shirts sans les avoir vus, juste par conviction. Ce n’est que comme ça que j’ai pu lancer ma première série.
La Relève : Et comment ça marche Montreuil Story ? C’est quoi une marque locale et écologique ?
Martin Pautard :
D’abord je cherche le style et les matières éco-responsables les plus abordables, puis je commande des tee-shirts vierges à un fournisseur anglais : Continental Clothing, qui produit des vêtements 100% coton biologique confectionné en Inde par des personnes dont les droits sont respectés (par exemple : travail des enfants interdit, emploi librement consenti, pas de discrimination, salaires décents, heures de travail limitées, liberté d’association, etc.).
Parallèlement, je m’assure que ces valeurs sont bien contrôlées par différents organismes : la FWF (Fondation Fair Wear), organisation indépendante à but non lucratif qui travaille avec les entreprises et usines sur l’amélioration des conditions de travail des salariés du domaine de l’habillement. Le Carbon Reduction Label lui, certifie qu’on a réduit au maximum l’émission de CO2, en veillant au faible impact de l’agriculture biologique, à l’efficacité dans la manufacture et le transport, et à l’utilisation des énergies renouvelables au lieu de l’électricité issue des combustibles fossiles. Et enfin GOTS (Global Organic Textil Standard), définit des normes de critères écologiques et sociaux indispensables. Et ce qui est incroyable, c’est que pour nous, pour nos conditions de travail, tout cela serait un minimum. Mais ce n’est là que la première étape ! Quand j’ai réussi à rassembler tous ces critères, j’envoie les vêtements à la sérigraphie à Montreuil, qui n’utilise que de la peinture à l’eau et qui ne travaille qu’avec des marques locales comme moi. Ce n’est que de la très bonne qualité. La vente se fait sur les réseaux sociaux, dans les petits magasins de Montreuil et grâce au bouche à oreille.
Aujourd’hui, le projet évolue, et je travaille avec les Tatas flingueuses : ce sont deux Montreuilloises qui tiennent trois petites boutiques de quartier et qui promeuvent la culture de la ville. Elles se sont tournées vers les artistes et les artisans de Montreuil. Il y a du miel, de la musique, du café, de la bière, des sacs, des vêtements, des crayons… On ne pourrait pas citer tous les produits locaux. L’avenir est dans l’économie locale, l’écologie et la solidarité sociale. On ne peut plus exploiter les individus comme on le fait, exploiter la planète comme des sauvages. On sait très bien qu’on va dans le mur. Et on ne peut plus attendre que les grandes entreprises acceptent ou nous proposent des démarches écologiques. On doit leur griller des parts de marché, c’est notre seule chance d’y arriver. Quand on achète un tee-shirt de grande marque dans l’industrie textile, on n’achète pas un tee-shirt, on participe à l’esclavage moderne, et en plus ce sont des mauvais produits. Il y a une frustration quand l’achat compulsif est passé. Avec moi, les gens ont un vrai vêtement écologique et éthique, ils sont heureux dans la durée. Une de mes grandes victoires, c’est que toutes les personnes qui ont participé au financement du projet et qui ont reçu leur tee-shirt ne m’ont fait que des compliments sur la qualité : ce n’est pas juste un projet militant, c’est aussi un projet utile qui permet aux gens de s’habiller et de faire progresser le monde.
La Relève : Ce genre d’initiatives se développe un peu partout, t’en penses quoi de l’avenir ?
Martin Pautard :
J’essaie d’être dans l’instant présent. L’idée, c’est de produire le plus de choses possible de façon éco-responsable pour que ce ne soit plus « à part » pour les gens. Il faut qu’ils puissent se dire qu’ils passent totalement dans l’écologique et l’éthique, que ce ne soit plus une lubie pour eux, et pour cela, il faut répondre à leur demande. Proposer une véritable alternative. C’est pourquoi j’aimerais développer les gammes : faire des sacs, des manteaux, des lunettes… Et si demain, des gens m’appellent et me disent : je voudrais faire comme toi, eh bien je suis prêt à leur faire bénéficier de toutes les recherches et les démarches que j’ai faites.
Ce sont des micro-parts de marché plus des micro-parts de marché et ainsi de suite… Je pense que moraliser ou culpabiliser les entreprises ne sert à rien, il faut forcer leur égoïsme à faire de l’équitable. Et puis, il faut que nombre de ces initiatives se développent. Si un ado perdu au milieu de la France lit cet article et désire se lancer, il faut qu’il le fasse tout de suite sans attendre, avec n’importe quoi : on peut multiplier ces initiatives à l’infini. Notre société d’aujourd’hui est dans le partage. Il faut partager sans cesse avec le plus de monde possible, il ne faut garder aucun secret. C’est ce qui creuse l’écart entre riches et pauvres, et ça c’est intolérable. Il faut partager ses idées et son savoir-faire. Il faut que les gens en parlent autour d’eux surtout… Tout est une question d’économie locale.
Crédits: Montreuil Story

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