La Poste a lancé un nouveau service, « Veiller sur mes parents », qui facture 19,90 euros une visite prétendument créatrice de lien social (selon le descriptif même de l’offre) et censée adoucir l’éloignement de certaines personnes âgées. Une innovation qui est loin de faire consensus et pose plusieurs questions à notre société en termes d’éthique et de politique sociale !
La monétarisation de l’échange
Pour une visite par semaine, on paie 19,90 euros par mois, pour cinq supplémentaires, la Rolls Royce du lien social, ce montant grimpe à 139,90 euros. Les principaux arguments avancés par La Poste afin de justifier ce nouveau service sont les suivants : « Favoriser le maintien à domicile le plus longtemps possible », maintenir « le lien social », rompre la solitude grâce à une prestation de téléassistance accessible 24h/24 et 7j/7 et proposer des services de dépannage. Tout cela sur une plateforme interactive à laquelle peuvent accéder à la fois le bénéficiaire, le facteur et le payeur (car c’est bien d’un payeur dont il s’agit).
Ce payeur, La Poste tente de le déculpabiliser dans un spot publicitaire qui montre une vieille dame, parlant à la photographie de son mari décédé et lui disant : « Tu te rends compte qu’à l’époque ils gardaient les parents à la maison ? Ah moi j’aurais jamais voulu ça ». Un morceau de piano calme en guise de fond musical pose l’ambiance. Grands sourires, yeux pétillants de la petite dame, pimpante dans un petit chemisier blanc et un gilet jaune, complicité intergénérationnelle avec le jeune facteur, tout est là pour rassurer.
Rien à voir avec la vidéo de France 3 dans laquelle on peut voir Claudette, une factrice bien moins souriante, qui pose une série de questions à Esther, 87 ans, coche des cases sur son smartphone. « Une fois toutes les réponses validées, il n’y a plus qu’à signer », dit la journaliste.

Visiblement consciente des éventuelles polémiques que pourrait soulever ce service, La Poste met l’accent sur la protection et la sécurité des personnes âgées mais la démarche apparaît surtout comme une manière de soulager la conscience des enfants qui sont loin de leurs parents. Ainsi, une rubrique « Comment en parler à votre parent » donne des conseils aux potentiels utilisateurs pour amorcer le débat avec eux.
Des facteurs protestent
Dans un article publié sur Streetpress, Lily, factrice saisonnière pendant plusieurs années, proteste en expliquant que « Tout l’intérêt de ce métier, c’est le contact humain, c’est avoir le sentiment de rendre service aux gens, et d’être parfois LE sourire de leur journée ».
Elle explique que ce qui était jusque-là naturel et gratuit, ce qui faisait partie intégrante du métier de facteur devient un service marchand et regrette cette mesure. Ne risque-t-on pas en effet de perdre toute la spontanéité de l’échange social en le rendant payant ? Elle dénonce également la légèreté de la formation que reçoivent les facteurs habilités à rendre ce service. C’est seulement après une formation de trois heures suivie sur internet ou au gérontopôle des Pays de la Loire que les facteurs peuvent remplir cette tâche ! Déjà 30 000 d’entre eux y ont été formés.
Ce modèle de relation se rapproche de celui d’une transaction : une fois que la transaction est achevée, la relation s’arrête aussi simplement. Il nous est tous déjà arrivé, en passant chez un buraliste, que celui-ci nous dise au revoir sans attendre que nous ayons empoché notre monnaie, quand bien même il n’y aurait personne derrière nous. La Poste affirme explicitement sa volonté de croissance dans un communiqué de 2010 qui expose le plan « Ambitions 2015 », avec pour but principal la pérennisation de sa compétitivité et de sa rentabilité. C’est cependant d’autres arguments qui sont avancés pour justifier le programme « Veiller sur nos parents ».
Des arguments qui mettent en avant l’aide à la personne et l’indépendance des personnes âgées
Philippe Wahl, le PDG du Groupe La Poste a publié le 27 septembre 2016 un billet sur Linkedin dans lequel il se fait l’apologue de la « Silver économie ». Il y explique que le souhait le plus cher des séniors est de conserver leur indépendance. C’est dans cette dynamique qu’il conçoit l’extension du service d’aide à la personne de La Poste à travers l’offre « Veiller sur mes parents ». Il met en avant « la proximité humaine », « bien vieillir » et l’ « indépendance ». On ne peut nier que ce service peut avoir une certaine utilité mais on peut en revanche remettre en question son éthique : payer pour une rencontre a-t-il jamais produit du lien social ? Est-ce à La Poste de veiller sur les personnes âgées ?
Une mesure qui s’insère dans la diversification des activités de La Poste
Philippe Wahl l’affirme lui-même dans une interview : depuis quelques années, La Poste s’est trouvée forcée à évoluer et à diversifier ses activités afin de pallier la baisse constante du transport physique de courrier. « À prix du timbre constant, cela représente une perte annuelle de 500 millions d’euros de chiffre d’affaires », explique-t-il.
Au titre de la diversification des activités, depuis le 1er février 2016, certains postiers sont habilités à faire passer le permis de conduire, examen sur lequel les auto-écoles avaient jusque là un monopole.
Il répond aux critiques qui dénoncent le fait de faire payer des interactions sociales qui étaient auparavant gratuites en avançant que « cela n’a jamais été vraiment gratuit. Dans une tournée, le temps libre alloué à de telles prestations informelles n’était rendu possible que grâce à l’excédent de revenus permis par un monopole du courrier, qui a disparu ». On imagine toutefois mal une largesse sur les salaires des facteurs en raison des bénéfices importants sur le transport du courrier…
Tabler sur la « Silver économie » serait donc avant tout une affaire de gros sous pour empêcher une activité en déclin de couler ? Et on voudrait, sur ses bases, amoindrir le sentiment de solitude des personnes âgées ? Peut-être est-il temps pour chacun de nous de ne pas laisser l’idéologie marchande gagner tous les domaines de notre société.

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