Alors que les médias égrènent le nombre de cas et de décès liés au coronavirus quotidiennement, un rapport de l’Agence européenne de l’environnement (AEE) vient remettre les choses en perspective. En 2012, 13% des morts ont été directement causés par la pollution dans l’Union Européenne, soit un total de 630 000 décès. Le covid-19, lui, a causé la mort de 198 886 ressortissants européens à ce jour. Et les décès liés au coronavirus pourraient bien s’ajouter à la prochaine étude de ce genre. En effet, l’AEE rappelle que la pandémie COVID-19 est un exemple frappant des liens inextricables entre la santé humaine et la santé des écosystèmes dont il est grand temps de prendre soin.
Les multiples pollutions qui nous empoisonnent
Si les gouvernements des pays européens étaient si soucieux de la santé de leur population, ils feraient mieux de s’attaquer sérieusement à la pollution atmosphérique et sonore, aux causes du changement climatique et à l’omniprésence de produits chimiques dangereux dans nos sociétés.
Voilà ce que nous dit en substance l’Agence européenne de l’environnement dans un rapport justement intitulé« Un environnement sain, une vie saine : comment l’environnement influe sur la santé et le bien-être en Europe. » Il s’appuie largement sur les données de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) et met en avant la manière dont la qualité de l’environnement en Europe a une incidence majeure sur notre santé et notre bien-être, les personnes les plus précaires étant encore une fois les plus sévèrement touchées.
Parmi les pollutions déplorées dans le rapport, la pollution atmosphérique demeure la principale menace environnementale avec plus de 400 000 décès dus à la pollution atmosphérique chaque année au sein de l’UE. Vient ensuite la pollution sonore qui cause 12 000 décès prématurés et contribue à 48 000 nouveaux cas de cardiopathie ischémique chaque année.
Les effets du changement climatique sur la santé, eux, sont complexes et comprennent les dangers immédiats d’événements météorologiques extrêmes, dont certains particulièrement meurtriers comme les vagues de chaleur.
Mais ils entraînent aussi des menaces systémiques sur nos infrastructures ou notre production alimentaire. Le rapport cite ainsi en exemple la perte de biodiversité qui a des impacts indirects graves comme la réduction de la productivité agricole et la perte de plantes pouvant nous soigner.
D’autres pollutions, moins bien connues, sont également prises en compte dans le rapport telles que l’exposition aux produits chimiques, responsable d’un « large éventail de maladies chroniques » et d’autres effets sanitaires encore trop méconnus et tout aussi dangereux selon l’AEE. Le rapport pointe le manque de recherche sur les risques sanitaires liés à la synergie entre l’exposition aux produits chimiques dangereux et celle aux perturbateurs endocriniens.
Dans la même veine, l’AEE déplore que la multiplication des ondes électromagnétiques soit un danger sanitaire sous-estimé alors qu’elles provoquent des symptômes bien connus tels que la stimulation nerveuse et sensorielle des organes et l’échauffement des tissus. L’AEE s’inquiète de leurs effets à long-terme pour l’ensemble de la population, notamment avec le déploiement de la 5G sur le territoire sans étude sanitaire sérieuse.
Si le rapport souligne tout de même une bonne qualité générale de l’eau (à la fois de baignade et d’eau potable), il pointe cependant les rejets d’antibiotiques dont le rejet dans les eaux usées provoque des infections causées par des bactéries plus résistantes qui causent 25 000 décès dans l’UE chaque année.
Toutes ces pollutions environnementales entraînent une flopée de maladies comme des cancers, maladies cardiaques, AVC, maladies respiratoires et troubles neurologiques qui détériorent la qualité de vie des personnes atteintes et leur ont réduit plus de 20 millions d’années de vie en 2012, un chiffre si vertigineux qu’il en est difficilement appréhendable !

Les villes, un environnement particulièrement pollué
Malheureusement, la plupart des gens sont exposés à plusieurs pollution environnementales qui se combinent et, dans certains cas, agissent en synergie : comme la pollution de l’air et des températures élevées qui entraînent une hausse de la morbidité et de la mortalité lorsqu’elles sont associées.
Le rapport pointe notamment à quel point un milieu urbain peut être l’environnement délétère par excellence à cause de la surreprésentation des risques. Les habitants des villes sont plus exposés à la pollution de l’air, au bruit et aux produits chimiques tout en ayant moins d’accès aux espaces verts que les personnes vivant en milieu rural.
Une récente étude, parue dans Nature Communications, vient ainsi de dévoiler que les chaussées urbaines et l’asphalte sont responsables d’une pollution aux particules fines largement sous-estimée. Les chercheurs ont découvert que lorsque l’asphalte est exposé à des conditions estivales chaudes, il entraîne une augmentation de 300% des émissions d’aérosols organiques secondaires (SOA), un polluant atmosphérique !
La bétonisation à-tout-va crée aussi les parfaites conditions pour la multiplication des vagues de chaleurs en milieu urbain. Selon les scénarios actuels de réchauffement climatique, il pourrait y avoir plus de 130 000 décès supplémentaires dus aux vagues de chaleur par an.
L’AEE exhorte donc les responsables territoriaux à aménager le plus possible des espaces verts et bleus (conçus autour de l’eau) en milieu urbain qui auraient des conséquences bénéfiques pour la santé, la société et l’environnement. Concrètement, il faudrait alors que la tendance à la bétonisation à outrance soit radicalement inversée pour lancer une vaste opération de re-végétalisation et re-naturation des espaces urbains.
Parmi les projets possibles, une initiative grenobloise : le projet « Libre Cour » qui veut débitumiser, végétaliser et dégenrer les cours d’école. A l’école Clémenceau, ce sont 5000 mètres carrés de bitumes qui vont être complètement transformés pour accueillir 26 arbres et un potager, mais aussi un point « calme ».
Une initiative heureuse car ainsi que l’explique l’AEE : l’exposition aux espaces verts à l’école et autour de la maison favorise un développement physique, émotionnel et cognitif sain chez les enfants, garantissant des bienfaits pour la santé pour leur vie future.
Mais cette dichotomie ville/campagne ne doit pas faire oublier les nombreuses pollutions qui existent en milieu rural, notamment l’épandage de pesticides près des habitations, ou les rejets d’usines polluantes. A la ville ou à la campagne, les classes sociales les plus concernées par ces pollutions sont les plus pauvres, ce que le rapport décrit comme des injustices environnementales.

Les populations les plus précaires sont les plus touchées
Les communautés socialement défavorisées doivent généralement faire face à un triple fardeau : pauvreté, environnement de mauvaise qualité et mauvaise santé. Les communautés les plus pauvres sont souvent exposées à des niveaux de pollution et de bruit plus élevés ainsi qu’à des températures élevées, tandis que leurs conditions sanitaires préexistantes augmentent leur vulnérabilité aux risques écologiques pour la santé.
« Les personnes les plus pauvres sont exposées de manière disproportionnée à la pollution et aux conditions météorologiques extrêmes, y compris les vagues de chaleur et le froid extrême. Cela est lié à l’endroit où ils vivent, travaillent et vont à l’école, souvent dans des zones socialement défavorisées et des quartiers en périphérie des grands axes de circulation. » note le rapport.
Et ces injustices environnementales se vérifient aussi bien au sein des Etats membres que d’un pays à l’autre. Ainsi, la charge que représentent la pollution et le changement climatique varie au sein de l’Europe, avec de nettes différences entre les pays de l’est et de l’ouest de l’Europe.
Si la proportion la plus élevée des décès nationaux imputables à l’environnement a été enregistrée en Bosnie-Herzégovine (27 %), la plus faible a été relevée en Islande et en Norvège (9 %).
De la même façon, le statut socio-économique peut être un facteur de certains comportements mauvais pour la santé. Les groupes socio-économiques plus faibles étant plus susceptibles d’avoir une alimentation plus pauvre, d’être en surpoids, de moins faire de l’exercice et de fumer. En plus d’avoir un impact sur la santé, ces comportements rendent les gens plus sensibles aux facteurs de risque environnementaux.
« Parce que la destruction à grande échelle de notre planète a commencé par la colonisation et l’extension des capacités productives de l’Europe occidentale, l’exploitation de terres et de peuples asservis, voire exterminés. Parce qu’à ces dominations sociale, raciale et environnementale, qui se répandent au niveau planétaire, se superposent aussitôt des injustices locales. Très vite dans notre société productiviste, les violences environnementales (déchets toxiques, pollutions diverses, exclusion par l’urbanisme de populations entières d’espaces naturels) s’imposent et viennent se greffer sur les violences sociales, et les amplifier. Partout, des côtes du Bangladesh aux bassins miniers français, les plus précaires sont les plus exposés. » expliquent ainsi Marie Toussaint et Priscillia Ludoski dans leur livre « Ensemble nous demandons justice »
Pour l’AEE, des mesures générales visant à prévenir et à réduire la répartition inégale des risques environnementaux doivent être accompagnées de mesures plus ciblées afin d’améliorer les conditions environnementales des plus vulnérables en Europe, notamment avec la pandémie actuelle de covid-19 qui a frappé plus durement les populations précaires de tous les Etats membres.

Le coronavirus, une maladie supplémentaire causée par l’impact de l’humain sur son environnement
Selon l’AEE, la pandémie COVID-19 fournit ainsi un exemple frappant des liens inextricables entre la santé humaine et la santé des écosystèmes. Il pour l’instant admis que cette nouvelle maladie serait apparue parmi les populations de chauves-souris en Asie, voyageant d’une espèce à l’autre pour finir par infecter les humains sur un marché de fruits de mer et d’animaux.
L’émergence de telles zoonoses est causée par la dégradation de l’environnement et des interactions humaines avec les animaux dans le système alimentaire. Pour l’AEE, la gravité de la pandémie de COVID-19 devrait donc renouveler les efforts pour s’attaquer aux facteurs de maladies infectieuses émergentes, en particulier la structure du système alimentaire et la demande de protéines animales.
« Il existe un lien évident entre l’état de l’environnement et la santé de notre population. Chacun doit comprendre qu’en prenant soin de notre planète, nous ne sauvons pas seulement les écosystèmes, mais aussi des vies, et plus particulièrement celles des plus vulnérables. » a déclaré Virginijus Sinkevičius, commissaire à l’environnement, aux océans et à la pêche.
Dans leur récent rapport, le Programme des Nations Unies pour l’environnement et l’Institut international de recherche sur l’élevage (2020) identifient sept principaux facteurs anthropiques de l’émergence des zoonoses, notamment :
- Une demande accrue de protéines animales
- Intensification agricole non durable
- Utilisation et exploitation accrues de la faune
- Utilisation non durable des ressources naturelles accélérée par l’urbanisation, le changement d’affectation des terres et les industries extractives
- Voyage et transport
- Changements dans les chaînes d’approvisionnement alimentaire
- Changement climatique.
L’AEE dénonce aussi comment l’activité humaine continue de nuire à l’environnement européen :
« À moins que nous n’apportions des changements fondamentaux aux principaux systèmes sociétaux qui entraînent des pressions environnementales et climatiques, les perspectives de notre société ne sont pas positives. »
Ces systèmes clés comprennent nos systèmes d’alimentation, d’énergie, de mobilité et de production, ainsi que nos modes de consommation et nos modes de vie. Compte tenu des liens inhérents au comportement humain et aux modes de consommation, l’AEE explique que les nouvelles initiatives de science citoyenne fournissent un moyen utile de recueillir des données, d’impliquer le public et d’accroître la sensibilisation et l’action au niveau local et individuel.
S’il en fallait un de plus, ce rapport nous rappelle de façon criante l’importance primordiale de prendre soin du vivant et créer une civilisation régénératrice, pour sortir enfin d’un modèle de société écocidaire.