Au Nord-Est de l’Indonésie, sur l’île d’Halmahera, un vaste projet d’exploitation de nickel est mené par l’entreprise Weda Bay Nickel (WBN). L'entreprise se présente comme éthique, engagée en faveur du respect et de la protection de l’environnement, et prenant en compte les impacts sociaux de sa présence. Mais 300 à 500 membres du peuple autochtone de la région, vivant jusqu’alors sans contact avec le monde extérieur, n’ont pas donné leur accord pour cette exploitation, et l’extraction du minerai est très toxique.
WBN est dirigée par un partenariat entre l’entreprise chinoise Tsingshan et Eramet, une entreprise française. Cette dernière est responsable de l’exploitation minière elle-même.
En 2006, Eramet a acquis les droits d’exploitation d’un énorme gisement de nickel en Indonésie. En 2019, WBN commence son exploitation minière. Des images satellites prises en 2006 et en 2022 montrent l’évolution des dégâts de l’exploitation sur la forêt.
Le capital d’Eramet, basée à Paris, est détenu à hauteur de 27,13 % par l’État français, qui se retrouve par association impliqué dans ces activités dévastatrices.
« Ce projet s’inscrit dans le cadre du plan de l’Indonésie visant à faire du pays un important producteur de batteries pour voitures électriques grâce à l’extraction et à la fusion de nickel et d’autres minéraux – un plan dans lequel des entreprises internationales telles que Tesla investissent déjà des milliards de dollars » explique Survival International
Pour le gouvernement indonésien, les Hongana Manyawa est un peuple « primitif » qu’il faut « intégrer » dans la société. Ce manque de considération se construit sur un profond racisme qui a des conséquences désastreuses. Ce contact forcé a notamment causé de terribles épidémies de la fin des années 1970 au début des années 1990. Les plus traumatisés par les tentatives de sédentarisation forcée du gouvernement ont fui dans leur forêt.
La population des Hongana Manyawa, dont le nom signifie “peuple de la forêt”, est l’un des derniers peuples de chasseurs-cueilleurs nomades d’Indonésie. Elle est estimée à environ 3000 personnes, et 300 à 500 d’entre eux vivent aujourd’hui sans contact avec le monde extérieur, dans les forêts de l’intérieur de l’île d’Halmahera.
« De leur naissance jusqu’à leur mort, les Hongana Manyawa enracinent leur vie entière dans la forêt. À la naissance d’un enfant, la famille plante un arbre en remerciement et enterre le cordon ombilical à son pied : l’arbre grandit avec l’enfant, marquant son âge. À la fin de leur vie, leurs corps sont placés dans les arbres d’une zone spéciale de la forêt réservée aux esprits » précise Survival International
Vivant en symbiose avec leur environnement, les Hongana Manyawa sont nomades et vivent principalement de la chasse et de la cueillette : ils s’installent dans une partie de la forêt avant de s’en éloigner et de la laisser se régénérer. Grâce à leur présence ancestrale, ils détiennent des connaissances incroyablement précises de la forêt tropicale d’Halmahera et de ses plantes comestibles et médicinales.
Depuis le début de l’exploitation, de vastes zones de la forêt tropicale, que les Hongana Manyawa considèrent comme leur foyer, ont été détruites. Les sagoutiers, des plantes de la famille des palmiers qui constituent leur principale source d’hydrates de carbone, sont particulièrement menacés par la déforestation due à l’exploitation minière.
L’entreprise prévoit d’intensifier l’exploitation minière à un rythme plusieurs fois supérieur au rythme actuel, et de l’exploiter pendant une période qui pourrait aller jusqu’à cinquante ans.
Une aînée Hongana Manyawa récemment contactée a expliqué dans un entretien auprès de Survival International que le bambou qui pousse près de chez elle lui appartient, puisque c’est elle qui l’a planté :
« Je n’ai pas donné mon accord pour qu’ils le prennent. C’est notre forêt depuis des temps immémoriaux. C’est notre maison, nous avons toujours vécu ici. »
Elle ajoute : « C’est là [les camps de compagnie minière] que se trouvaient nos jardins. C’est là qu’ils ont délibérément pris nos terres. La zone qui a été déboisée [là où nous avons été expulsés] est également notre terre, que nous avons toujours occupée. Allez donc leur dire que nous ne voulons pas céder notre forêt. »
Cette exploitation minière est contraire au droit international, car les individus non-contactés ne peuvent pas donner leur consentement libre, informé et préalable (CLIP) à l’exploitation de leurs terres. Selon la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, le consentement des individus concernés est requis pour tous les développements sur les territoires autochtones.
La directrice de Survival International France, Fiore Longo, a déclaré qu’il s’agit là d’ : « un autre exemple flagrant des fausses solutions “vertes” mises en place par les entreprises et les gouvernements. A nouveau, des peuples autochtones, pourtant parmi les moins responsables de la crise climatique, paient le prix des fausses solutions “vertes” mises en avant par les pays du Nord – cette fois pour que des entreprises puissent vendre à leurs clients des voitures neutres en carbone. »
Le nickel extrait en Indonésie doit servir en grande partie à la fabrication de batteries de voitures électriques. Mais l’extraction n’a rien d’écologique. L’Agence internationale de l’énergie estime que 19 tonnes de CO₂ sont émises pour chaque tonne de nickel fondu. L’exploitation pollue ainsi l’air et endommage les rivières.
L’ONG Survival International plaide pour la suspension de toute exploitation minière d’Eramet et des autres sociétés sur les terres des peuples autochtones non-contactés. Pour l’organisation, le gouvernement indonésien doit également établir une zone interdite d’accès, afin de protéger les Hongana Manyawa non-contactés et leurs territoires.