Un rapport récent du Fonds monétaire international (FMI) montre clairement que les baleines sont au cœur de tous les enjeux écologiques actuels. De telles conclusions ne sont pas nouvelles, mais elles sont cette fois-ci exprimées par une institution d’envergure internationale, dont la voix pourrait prouver son efficacité, à condition que les États ne s’en servent pas pour ouvrir la voie à une monétisation des êtres vivants.
C’est une information qui n’a pas eu les répercussions qu’elle aurait dû avoir. En décembre, la revue trimestrielle du FMI, Finances et Développement, a publié un rapport intéressant sur l’utilité sans égale des baleines dans la lutte contre le réchauffement climatique. Signé (malheureusement) par des économistes, ce rapport a le mérite de rappeler certaines réalités, bien connues par les écologistes et les scientifiques, mais pourtant ignorées par la plupart des dirigeants : les baleines, au centre des écosystèmes marins, sont nos premières alliées dans la lutte contre la pollution.
Voici le principe. Remplies de fer, de phosphore et d’azote, les matières fécales des baleines alimentent considérablement le phytoplancton, c’est-à-dire les bactéries et les végétaux microscopiques présents partout à la surface des milieux marins et captant en masse le carbone, au point d’être à l’origine de la moitié de l’oxygène atmosphérique. Le phytoplancton est consommé par une espèce de crustacées minuscules, le krill, qui constitue lui-même le festin préféré de la baleine, qui à son tour rend au phytoplancton les nutriments qu’il lui a prêtés… Puis, en mourant, les cétacés laissent couler les dizaines de tonnes de carbone accumulées dans leur carcasse jusqu’au fin fond des océans, où ils mettront des siècles à se décomposer. On le voit, la nature a toujours la solution.
C’est pourquoi le déclin catastrophique des baleines est une bombe à retardement écologique. Même si ces chiffres sont à prendre avec prudence, depuis le début de leur chasse commerciale puis industrielle au cours du XIXe et du XXe siècle, ces cétacées seraient passés de 4 ou 5 millions d’individus à un million et demi sur l’ensemble du globe, faisant d’ailleurs chuter drastiquement certaines populations de poissons et d’oiseaux qui ont également besoin de consommer du krill.
Il faut donc songer que le déclin des baleines, encore extrêmement menacées, entraîne avec lui celui de nombreuses autres espèces et contribue, indirectement mais sûrement, à augmenter la pollution atmosphérique dont nous souffrons un peu plus tous les jours, car le plancton est privé des nutriments qui lui sont essentiels.
C’est ce que montrent, schémas à l’appui, les auteurs de ce rapport, qui recommandent par ailleurs d’encourager et de financer toutes les actions qui pourraient contribuer à repeupler les océans de baleines. Selon eux, les bénéfices pour l’environnement d’une seule baleine équivaudraient à ceux de milliers d’arbres, à « quatre forêts amazoniennes ».
Leur valeur financière, toutes espèces confondues et en prenant en compte les « stocks » de poissons, l’environnement et le tourisme, s’élèverait à 1000 milliards de dollars, des gains qui compenseraient de loin les pertes résultant du moratoire contre la traque à la baleine de 1986…
Mais une baleine vaut-elle vraiment « deux millions de dollars » ?
Comment peut-on décemment intégrer les espèces vivantes et les ressources naturelles comme l’eau ou l’air dans des calculs de coûts et de profits ? Bien que les intentions de ce rapport soient bonnes et sa démarche louable, c’est encore une fois l’absurde monétisation du vivant qui y triomphe et nous sommes en droit de saisir cette occasion pour nous interroger sur les chiffres, les graphiques et le système comparatif que les auteurs de l’étude mettent en œuvre pour étayer leurs arguments.
La notion même d’écosystème n’est pas comprise lorsqu’on oppose une espèce à une autre, quand on évalue les différentes ambitions environnementales à la lumière de leur rentabilité et non sous l’axe de la résilience, de la conversion intégrale. De là à ce que la guerre économique qui divise et fragmente toute chose s’introduise dans le sanctuaire de l’écologie, il n’y a qu’un pas. Doit-on s’attendre, dès lors, à ce que les États se réveillent une fois que les intérêts à tirer de la protection de la nature seront assurés ? Dans ce cas, il est certain que nous devrons patienter jusqu’aux prémices de l’effondrement.