À Garlin, l’entreprise toulousaine Miraïa ambitionne d’implanter la plus grande usine de biochar de France. Chaque année, 135 000 tonnes de biomasse forestière seront nécessaires à la production de ce charbon végétal destiné à la fertilisation des sols agricoles et à la fabrication de carburants de véhicules. Face à ce projet d’ampleur, le collectif Forêts Vivantes Pyrénées alerte sur les conséquences, telles que la déforestation, la pollution et les risques sanitaires. Un décryptage de Rodolphe Lamothe.
Un projet d’usine de biochar à Garlin
D’après l’IGN (Institut national de l’information géographique et forestière), en dix ans seulement, les arbres ont doublé de mortalité. Une situation dramatique, aggravée par la surexploitation et le changement climatique. En dépit du récit fantasmé de quelques gisements forestiers denses, abondants, en vogue chez une poignée d’industriels, la Nouvelle-Aquitaine n’est pas épargnée.
C’est pourquoi, dans le sillage de vastes projets de déboisement impliquant parfois des multinationales françaises, le collectif Forêts Vivantes Pyrénées s’inquiète de l’implantation locale d’usines de grande ampleur visant à produire un charbon végétal, le biochar, à partir de bois noble.
Situé à la frontière nord du Béarn, près de l’autoroute A65, le village de Garlin a ainsi été choisi par une entreprise privée – Miraïa – pour accueillir en son sein la plus grande usine de biochar en France, prévue sur une superficie de cinq hectares. Chaque année, la transformation de 135 000 tonnes de biomasse permettrait d’obtenir 55 000 tonnes de bio-liquides (pour produire des carburants par exemple) et 20 000 tonnes de biochar , grâce à un processus de décomposition thermique énergivore – la pyrolyse de biomasse. En vue de transformer le bois en charbon végétal, quatre tours de 25 mètres de haut seront également érigées en périphérie du bourg.
Le biochar industriel, un mirage écologique ?
Le collectif Forêts Vivantes Pyrénées, qui agrège 67 associations nationales et régionales, s’est procuré le plan d’approvisionnement en bois. Selon toute vraisemblance, la zone de fourniture devrait s’étendre sur un rayon situé entre 100 et 150 kilomètres autour de la commune. Un non-sens écologique, en considérant la pollution induite par le transport des marchandises, via les allers-retours quotidiens de 80 camions.
En réalité, ce choix s’explique aisément : à l’image du projet E-CHO dans le bassin de Lacq, prévoyant d’accumuler 500 000 m³ de biomasse chaque année, les sociétés se disputent les mêmes forêts privées, ce qui pousse les industriels à explorer les départements voisins.
« Notre objectif est de construire plusieurs usines en France plutôt qu’une méga-usine (sic) dans un territoire sur lequel l’on viendrait déstabiliser tout le secteur », se défend Jean Escaffre, Directeur Général de Miraïa, pour La Relève et La Peste.
Ces modèles, parfois auto-qualifiés de « vertueux », concourent pourtant à l’accélération du changement climatique. À mesure que la déforestation s’accroît, la quantité de CO2 dans l’atmosphère augmente – les arbres ne pouvant plus l’absorber correctement.
« N’aurions-nous pas plutôt intérêt à multiplier les parcelles agroforestières de manière à produire un bois qui ne serait plus en concurrence avec les forêts ? », s’interroge Martin Pigeon, chercheur à l’ONG internationale Fern, pour La Relève et La Peste.
Ailleurs, comme à Argentan, des pellets sont utilisés afin de produire du biochar, destiné à enrichir les sols des grands jardins de France, notamment ceux des châteaux de Fontainebleau et de Chambord.
« C’est une production que l’on suppose limitée et respectueuse de l’environnement. Elle n’est pas dédiée à l’agriculture intensive », explique Jeanne Ophuls, attachée de presse du collectif et coautrice d’un rapport sur le biochar, pour La Relève et La Peste.
Preuve qu’il est possible de réduire son empreinte écologique et que le bois de forêt ne représente en rien une nécessité absolue dans la fabrication de ce que certain·es communicant·es appellent « l’or noir ».
Des usages infinis
Outre les problématiques de matière première et d’approvisionnement, les réticences des associations portent sur l’utilisation du biochar. Dans le cas du projet d’usine, il sera principalement exploité à des fins d’amendement des sols agricoles. Toutefois, son efficacité varie selon la nature des terres et des cultures, la cendre qu’il contient accentuant l’acidité du substrat. D’où l’importance de mesurer ce paramètre avant l’épandage du charbon.
Miraïa cible également l’industrie du BTP : le biochar pourrait être intégré au ciment et employé dans la réfection des routes. Quid de la loi de l’offre et de la demande ? Si cette dernière atteint des niveaux record, l’entreprise devrait intensifier les coupes d’arbres pour honorer ses commandes de charbon, dont le prix s’élèvera à près de 800 euros la tonne.
« Si l’on ajoute à cela des nouveaux usages artificiellement créés par le marché des crédits et de la compensation carbones, à l’instar du biochar ou des biocarburants, la forêt française risque de basculer en puits de carbone négatif », déplore Jeanne, pour La Relève et La Peste.
Une trajectoire politique
En Europe, cette mode du biochar continue de croître, encouragée par le lobbying, les réglementations et diverses déclarations. Initialement, le GIEC s’était prononcé en faveur de son développement, à condition, pour les entreprises, de réutiliser des déchets agricoles. Depuis, les industriels ont transformé ce plébiscite en argument commercial.
C’est d’ailleurs ce qu’écrit Miraïa à l’intérieur d’un document de présentation : « Le biochar est identifié par le GIEC comme l’une des 10 techniques permettant de séquestrer du CO2 ». Le classement du bois comme énergie renouvelable par le Parlement européen a encore renforcé cette dynamique. En juillet 2024, le Secrétariat général à la planification écologique (SGPE) a même hissé le charbon végétal en priorité numéro une, à l’occasion d’un rapport controversé sur les usages de la biomasse.
« Ces pratiques sont incompatibles avec la stratégie nationale de neutralité carbone à l’horizon 2050 », argumentait Jacques Descargues, ancien Secrétaire Général de l’ONF et porte-parole de Forêts Vivantes Pyrénées, durant une conférence de presse.
En dépit d’une réglementation européenne favorable, le biochar n’est pas sans conséquences pour l’environnement. La littérature scientifique documente largement l’un des principaux risques qui lui est associé : la présence de composants toxiques, notamment les Hydrocarbures Aromatiques Polycycliques (HAP), qui se forment lors de la pyrolyse, dans des quantités proportionnelles à la température et au volume de production. Sans un contrôle sanitaire rigoureux, le biochar risque donc de contaminer les sols et les plantes, voire d’affecter la santé des animaux, et par extension, celle des humains.
Pour l’heure, Miraïa a d’ores et déjà prévu de construire au moins cinq usines de biochar en France. De leur côté, les opposant·es au projet demandent aux autorités un moratoire sur l’utilisation de la biomasse forestière et ont annoncé, via un communiqué, déposer un recours contre la modification du PLU (Plan local d’urbanisme) de la Communauté de communes des Luys en Béarn.