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Un projet de carrière menace la plus grande zone humide protégée du Cantal

La temporalité des carrières est longue : plusieurs dizaines d’années. Parfois, la temporalité des luttes l’est aussi. C’est dans cet esprit que des habitants qui s’étaient battu en 1995 pour préserver la narse ont décidé, au début de l’année, de ressusciter le collectif qui leur avait permis de faire reculer les carriers.

À mi-chemin entre Saint-Flour et les Monts du Cantal, la narse de Nouvialle, vaste zone humide et havre de biodiversité, est convoitée par deux multinationales souhaitant y ouvrir des carrières de diatomite. Mais ce projet destructeur suscite une vive opposition de la part de la population, bien décidée à protéger son territoire. 

Que peuvent bien avoir en commun la bière et le vin, la couleur bleu outremer, des isolants pour abris résistants au feu, des exfoliants pour le visage, la poudre à récurer et les litières pour animaux domestiques ? La réponse se nomme diatomite.

Composée de « diatomées » (des algues aquatiques fossilisées) et de silice minérale, cette roche sédimentaire, légère et poreuse occupe une place essentielle dans de larges domaines industriels et agricoles.

En brasserie et en viticulture, la « terre de diatomée » sert à filtrer les boissons. En agriculture, on l’utilise comme insecticide naturel ; en cosmétique, comme poudre ultra-absorbante et dans le BTP, on la recherche pour homogénéiser le béton ou fabriquer des peintures et des revêtements.

Mais les gisements de diatomite sont rares, si rares que la narse de Nouvialle, dans la partie la plus sauvage du Cantal, représenterait la plus grande réserve européenne connue. 

Diatomées marines vues au microscope – Crédit : Prof. Gordon T. Taylor, Stony Brook University

Un joyau de biodiversité aux 150 espèces d’oiseaux

Au carrefour de trois communes — Roffiac, Valuéjols et Tanavelle —, la narse de Nouvialle est une zone humide exceptionnelle s’étendant sur quelque 400 hectares. Au coeur de la Planèze de Saint-Flour, elle se niche, à plus de 1 000 mètres d’altitude, sur un plateau agricole formé par des coulées de lave du volcan cantalien, aujourd’hui éteint.

Au fil des siècles, cet ancien lac de cratère s’est transformé en un ensemble de prairies propices au pâturage l’été, mais humides et temporairement inondées l’hiver, d’où son nom de « narse », terme qui désigne, dans le Massif central, des zones marécageuses.

Reconnue d’intérêt communautaire par l’Union européenne, la Planèze de Saint-Flour est doublement classée Natura 2000. L’ensemble du plateau est protégé par la directive « Oiseaux » et plusieurs de ses parties sensibles, dont la narse, par la directive « Habitat – Faune – Flore », censée garantir un rang prioritaire de conservation.

Libellule à la narse – Crédit : Colette Collot

Utilisée comme halte migratoire, habitat hivernal ou zone de reproduction, la narse constitue en effet un écosystème essentiel pour une multitude d’oiseaux.

Cigognes blanches, hérons pourprés, hiboux des marais, courlis cendrés, milans, busards, alouettes, pas moins de 150 espèces aviaires y ont été recensées, dont 80 jouissent d’un statut de protection et 7 d’un plan national d’action (PNA).

On y trouve également des mammifères comme la loutre d’Europe, des amphibiens comme le crapaud calamite et la grenouille rousse, qui évoluent dans les milliers de petites mares de la narse, ainsi que des plantes remarquables telles que le flûteau nageant, dont la Planèze de Saint-Flour possède les plus grandes densités connues.

Premières vaches pâturant la narse de Nouvialle en 2021, avec ce troupeau de Salers – Crédit : Collectif pour la narse de Nouvialle

Pas à pas, les carriers avancent

C’est ce havre de biodiversité que convoitent deux multinationales : Imerys, groupe français possédant des dizaines de sites miniers à travers le monde, et Chemviron, filiale européenne du groupe Calgon Carbon Corporation spécialisée, entre autres, dans le minerai de silice.

Depuis des décennies, ces deux sociétés bien implantées dans le paysage cantalien exploitent un gisement de diatomite à Foufouilloux, sur la commune de Murat, à une vingtaine de kilomètres de la narse de Nouvialle.

Alors que le marché de la diatomite est en pleine expansion, la carrière de Foufouilloux, l’une des deux seules en activité en France, va bientôt arriver à épuisement. Imerys et Chemviron lorgnent donc sur le plus grand gisement d’Europe, qui promettrait un rendement sur un siècle.

Tout en se montrant discrètes, les deux multinationales n’ont cessé d’acquérir, d’année en année, des parcelles de la narse de Nouvialle. Aujourd’hui, Imery en posséderait déjà 65 hectares, Chemviron une quarantaine, le reste de la zone appartenant à des propriétaires privés.

Dans la presse, les promoteurs assurent que l’ouverture d’une nouvelle carrière créerait des dizaines d’emplois « non délocalisables ».

Sandrine Peraud-Degez, directrice des opérations chez Imérys France, ajoute que « l’objectif » serait « d’exploiter [le gisement] de manière raisonnée, rationnelle et dans le respect de l’environnement ».

En définitive, affirment les deux multinationales à l’unisson, la surface ouverte se restreindrait (au moins dans un premier temps) à quelques hectares et le site serait remis en état après exploitation : les zones humides ne pouvant être restaurées, un « plan d’eau » serait formé en lieu et place de la carrière et les pistes seraient rendues à leur vocation agricole… 

Carrière de diatomite de Foufouilloux, dans le Cantal – Crédit : Pablito

La lutte locale s’organise

Du côté des usagers ou des amoureux de la narse, cependant, ces belles déclarations aux allures de pétitions de principe ne convainquent pas. Furieuse de voir le projet avancer dans l’ombre, la population cantalienne commence à s’organiser pour empêcher que des opérateurs miniers détruisent irrémédiablement tout un écosystème.

Après une première tentative, échouée, de créer une carrière dans les années 1990, le projet est redevenu d’actualité il y a une dizaine d’années. En 2010, des essais d’extraction de diatomite ont été effectués sur la narse, prouvant à la population que les industriels n’avaient jamais véritablement abandonné leur projet.

La temporalité des carrières est longue : plusieurs dizaines d’années. Parfois, la temporalité des luttes l’est aussi. C’est dans cet esprit que des habitants qui s’étaient battu en 1995 pour préserver la narse ont décidé, au début de l’année, de ressusciter le collectif qui leur avait permis de faire reculer les carriers.

Rassemblement du Collectif sur la Narse de Nouvialle

Le Collectif pour la Narse de Nouvialle rassemble ainsi des riverains, élus, agriculteurs, chasseurs, naturalistes, professionnels du tourisme ou militants qui refusent de céder leur territoire. Devenu la bannière de la lutte, il compte aujourd’hui plus de 500 personnes et jouit du soutien d’une douzaine d’associations locales ou régionales, comme la LPO, la Confédération paysanne et Terre de liens.

Lire aussi : David contre Goliath : ces citoyen.ne.s qui reprennent le pouvoir sur leur territoire

Selon le collectif, les raisons de refuser l’ouverture d’une nouvelle carrière sont légion. Outre l’impact évident qu’une excavation de plusieurs hectares aurait sur les espèces logeant ou passant dans la narse, la destruction d’une partie de la zone humide priverait les agriculteurs de ressources indispensables et bouleverserait les activités touristiques dont dépendent les habitants.

Car la narse n’est pas profitable qu’aux animaux sauvages : regorgeant d’eau et offrant des pics de floraison étalés, ces prairies humides fournissent aux 33 agriculteurs qui l’exploitent un espace de fauchage, de pâturage et d’abreuvement d’autant moins remplaçable que ces ressources se font de plus en plus rares dans le contexte du changement climatique.

Mais si un argument devait primer sur les autres, ce serait sans doute celui de la gestion de l’eau. Située sur le bassin versant de l’Ander, sous-affluent de la Garonne par le Lot, la narse de Nouvialle joue un rôle essentiel dans le bon fonctionnement hydrologique de la Planèze de Saint-Flour.

Tampons naturels, ses prairies humides emmagasinent l’eau en période de fortes pluies, évitant les inondations et les crues, puis la restituent durant les périodes sèches, alimentant les sources et les ruisseaux dont bénéficient aussi bien les milieux naturels que la population.

Qui plus est, l’eau de la narse, filtrée et épurée par la végétation et les sous-sols, constitue un réservoir extrêmement utile pour l’alimentation en eau potable du territoire, à l’heure où tous les indicateurs nous prouvent que les sécheresses iront en s’intensifiant.

La zone humide offre un cadre de vie remarquable aux villages alentours – Crédit : Collectif pour la narse de Nouvialle

Loin des idées d’industrie, le collectif plaide pour une préservation intégrale de la zone, ainsi que pour « la construction d’un projet de territoire durable », grâce auquel les postes « non créés » par la carrière seraient requalifiés en emplois davantage écologiques, « à forte valeur ajoutée » pour l’économie locale.

En novembre 2019 et février 2020, les conseils municipaux de Tanavelle, Roffiac et Valuéjols ont voté en faveur de la préservation de la narse de Nouvialle, de même que Saint-Flour Communauté, l’intercommunalité en charge des sites Natura 2000.

Sur le plan réglementaire, le collectif a adressé deux demandes de classement de la zone humide, la première à la préfecture du Cantal, pour que celle-ci prenne un arrêté de protection de biotope (APPB), la seconde au conseil départemental, pour que la narse soit estampillée espace naturel sensible (ENS). Ces deux statuts permettraient d’épargner durablement le site.

Le son des pelleteuses et des camions est encore loin. Pour que la carrière soit ouverte, maintes étapes administratives doivent être surmontées, à commencer par la modification du Schéma de cohérence territoriale de l’Est-Cantal, document-cadre de la politique d’aménagement devant faire l’objet d’une révision dans un futur proche. Rien ne peut donc être envisagé avant 2030.

Augustin Langlade

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