Depuis plus de deux semaines, 500 à 600 manifestants bloquent le chantier du « Thirty Meter Telescope » (TMT), l’un des plus grands télescopes au monde avec 30 mètres de diamètre, sur la montagne Mauna Kea, à Hawaii. Les Kanaka Maoli, des autochtones hawaïens, revendiquent leur droit à préserver leurs terres ancestrales et sacrées, ainsi que leur culture. Avec le soutien de personnalités du monde entier, leur combat devient le symbole des peuples autochtones du monde entier qui souffrent d’une culture imposée.
Depuis le 15 juillet, à Hawaii, les « protecteurs de Mauna Kea » campent aux pieds de leur montagne sacrée qui culmine à 4 200 mètres d’altitude et représente Wākea, le dieu du ciel. Les autochtones hawaïens, majoritairement des Kanaka Maoli, entretiennent toujours un lien très étroit avec Mauna Kea où leurs ancêtres y sont inhumés et des cérémonies toujours pratiquées. Les autochtones sont tellement liés à la montagne qu’ils y enterrent toujours leur « pufenua », le cordon ombilical.
La montagne Mauna Kea est l’un des sites les plus réputés au monde pour l’astronomie, en raison des conditions de visibilité exceptionnelle. La construction de télescopes y a commencé dès les années 60 et Mauna Kea en compte maintenant 13, dont l’un d’eux a observé le tout premier trou noir. Mais en 2015, lorsque les autorités ont annoncé leur intention de bâtir l’un des plus grands télescopes du monde, le « Thirty Meter Telescope » (TMT), au sommet de Mauna Kea, des voix se sont élevées pour s’opposer au projet et protéger la montagne.

Avec un investissement d’1,4 milliard de dollars américains, le projet a mis du temps à obtenir toutes les autorisations légales en raison de son impact environnemental.
Si les partisans du TMT arguent que ce télescope permettra de développer une activité économique sur l’île et permettrait des avancées majeures en astronomie, les « protecteurs de Mauna Kea » se défendent d’opposer science et culture.
« Notre lutte contre le TMT n’a jamais été une affaire de culture et de science. Il s’agit de rappeler aux gens que la science ne l’emporte pas sur tout, surtout au détriment du ʻāina (la terre) et de notre culture. Ce que les protecteurs disent, ce n’est pas d’arrêter de faire de la science, mais de faire une science meilleure. De se rappeler que la science implique beaucoup plus que le sujet que vous étudiez. Elle affecte les gens, la communauté et le ʻAina autour de vous. Nous sommes Hawaiʻi ʻimi loa, les hawaïens qui explorent en quête de savoir et nous ne dirions jamais à personne de cesser la quête de connaissance. Ce que nous disons, c’est qu’il existe un meilleur moyen de le faire. Celui qui n’oublie pas la terre. Un modèle qui ne repose pas sur les ossements de notre culture et de nos sites sacrés. Nous vous exhortons à écouter ce que nous disons afin que nous puissions tous bénéficier d’une science plus juste. » Kanaeokana
L’opposition entre les autorités et les autochtones a pris un tournant plus marqué mardi 16 juillet, lorsqu’une trentaine d’anciens (kupuna) se sont fait arrêtés, puis relâchés. Si l’arrestation s’est faite dans le calme et sans usage de la violence, l’impact émotionnel sur les populations a été très fort, en raison des liens familiaux qui existent parfois entre les forces de l’ordre et les protecteurs de la montagne. Tahitiens, polynésiens, mais aussi célébrités du monde entier ont choisi de soutenir les autochtones hawaïens dans la défense de Mauna Kea. Ce soutien international veut éviter la criminalisation de peuples autochtones qui veulent protéger leurs terres et leur culture, comme c’est le cas dans de trop nombreuses régions du monde.
« Légal ne veut pas dire que c’est forcément juste. Il y avait eu une époque où l’esclavage était légal, où les femmes n’avaient pas le droit de vote, où ʻōlelo Hawai était illégal dans les écoles, mais cela ne les a jamais rendus justes pour autant. Et c’est à travers des actions comme ce blocage que les choses et la législation ont changé pour être plus justes. Donc juste parce que c’est légal, ça ne veut pas dire que c’est juste ou moral. » Kanuha, l’un des protecteurs de Mauna Kea
Dans une lettre ouverte, une communauté de 700 astronomes du monde entier a ainsi marqué son opposition à la criminalisation des protecteurs de Mauna Kea. Ils remettent en question les méthodes utilisées par la coalition et le gouvernement hawaïen pour mener à bien le projet TMT. Ils y dénoncent également les conséquences dévastatrices de l’expansion étasunienne sur de nombreuses communautés indigènes du monde entier et la répression terrible qu’elles ont subies.
« Les conquêtes des États-Unis ont été une exploitation et une destruction des manières autochtones de savoir (science) et d’être (cosmologie) sur le continent américain et dans le contexte hawaïen. Ces histoires ont progressé parallèlement au développement des « sciences » occidentales de la personnalité : de qui et / ou de ce qui est humain, et donc qui doit être sous-humain, et donc soumis à un contrôle via des mécanismes de maintien de l’ordre, d’incarcération et de violence militaire. La scientifique hawaïenne Aurora Kagawa-Viviani écrit : Pour moi, les pratiques scientifiques actuelles ressemblent dangereusement à la Destinée manifeste américaine (idéologie selon laquelle la nation américaine avait pour mission divine l’expansion de la « civilisation » vers l’Ouest) associé à une perte terrible pour de nombreuses communautés autochtones. » Les 700 astronomes
Il existe d’ailleurs un plan B : les Canaries, des îles espagnoles, se sont déclarées prêtes à accueillir dès maintenant le TMT. L’obstination d’implanter le TMT à Mauna Kea soulève ainsi la question de la légitimité d’un projet international à s’accomplir au détriment des populations locales, en sachant qu’une alternative est possible.
Image à la une : B.A.Tafreshi / NAOJ / Leemage