Alicem, un logiciel de reconnaissance faciale pour les démarches administratives, va être déployé dès novembre en France. Libre de toute législation, l’utilisation de ce logiciel fait débat, et en ferait presque oublier l’invasion des systèmes de vidéosurveillance dans tout l’espace public.
La reconnaissance faciale pour accéder à des services publics
Conçue par le ministère de l’Intérieur, Alicem est une application mobile destinée à s’identifier via une photo ou vidéo pour faire ses démarches administratives. En phase de test sur FranceConnect, le dispositif de l’État pour l’accès aux services en ligne, depuis juin 2019, Alicem va être officiellement lancée dès novembre 2019.
Un article de Bloomberg, daté du 3 octobre 2019, a lancé l’alerte parmi les titres de presse : la France deviendrait ainsi le premier pays européen à lancer cette démarche d’identification via reconnaissance faciale « que ses citoyens le veulent ou non ». Le problème, c’est que le lancement de cet outil de reconnaissance faciale se fait via un décret, sans aucun cadre législatif ayant permis un débat public sur le sujet.
« Sur Alicem, la CNIL (le gendarme des données personnelles) a bien dit que le décret n’est pas conforme à la loi, donc illégal. Pourtant, le gouvernement a quand même lancé son utilisation. Et la CNIL, plutôt que de saisir le Conseil d’Etat, n’a rien fait. Elle n’a pas rempli sa mission. C’est pourquoi la Quadrature du Net a déposé un recours devant le Conseil d’Etat pour demander l’annulation du décret en juillet. » expliqueArthur Messaud, juriste pour La Quadrature du Net, à La Relève et La Peste
La Quadrature du Net est une association qui lutte contre la censure et la surveillance. Pour l’heure, elle n’a pas eu de retour sur le recours, le rythme des actions en justice étant très variables selon les sujets et l’actualité du gouvernement. La Quadrature du Net effectue un véritable travail de vigilance sur ce le sujet, de peur que le débat sur la reconnaissance faciale soit glissé dans un « grand fourre-tout législatif ».

Où dessiner la ligne rouge ?
En effet, Alicem n’est que la partie émergée de l’iceberg sur les dispositifs de vidéosurveillance et reconnaissance faciale qui se répandent partout en France. Méduses pour mesurer le bruit et prendre des photos des bars animés à la Butte-aux-Cailles, dans les aéroports, les palais de justice, dispositif de reconnaissance faciale dans des lycées, test grandeur nature pendant le Carnaval de Nice, drones de reconnaissance déployés pendant les manifestations… les caméras deviennent omniprésentes dans l’espace public.
A Lyon, en septembre, un homme a été amené en procès pour la première fois sur la seule base de la reconnaissance faciale pour le vol d’un camion. Il a été identifié par un logiciel qui a croisé des millions de photos appartenant aux fiches de la police. Pour La Quadrature du Net, Alicem vient simplement mettre en lumière une culture d’autorité de plus en plus forte de la part du gouvernement. Mal utilisés et sans cadre législatif, l’utilisation des logiciels de reconnaissance faciale peut mener à toutes sortes de dérives autoritaires.
« Il y a des infractions qui sont dévoyées et détournées pour faire de la lutte pure et simple contre les opposants politiques. Dans le cadre de manifestations, on craint que la police prenne des images des visages des participants et puisse ensuite aller chercher dans les fichiers TES (photos des passeports et carte d’identité française) pour identifier tous les manifestants afin de faire des garde à vues préventives ou des mises sous écoute systématiques, comme c’est déjà le cas actuellement. Aujourd’hui en manifestation, la population n’a pas les moyens de se défendre face aux drones hormis avec du maquillage dont on ne connaît pas l’efficacité, et se masquer le visage est interdit ! Pareil, on redoute l’utilisation de la reconnaissance faciale aux frontières, qui pourrait entraîner l’expulsion directe des sans-papiers, sans aucune protection juridique. » détaille Arthur Messaud, juriste pour La Quadrature du Net, à La Relève et La Peste
Pour renforcer son travail de vigilance sur ses sujets, l’association a joint ses forces avec d’autres groupes pour former une vigie au nom évocateur : « Technopolice ». Ensemble, ses différents membres font un travail de veille sur les marchés publics et autres appels d’offres pour établir quelle ville ou quelle région cèdent aux sirènes de la vidéosurveillance systématique. L’objectif de Technopolice est de cartographier le développement des technologies de reconnaissance faciale et d’établir une méthode pour y répondre de façon exhaustive.
Les manifestants français devront-ils bientôt recourir aux mêmes subterfuges que leurs homologues chinois pour brouiller les systèmes de reconnaissance faciale ? Une chose est sûre, avec le nombre de caméras déjà installées, il n’y a plus qu’à activer les logiciels de reconnaissance pour couvrir tout le territoire, sans même modifier l’environnement des passants.