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« Un emploi vert pour tous » : la mobilisation pour créer 1 million d’emplois écolos et sociaux

Il s’agirait de transformer les dépenses sociales du chômage en salaires. Appliquée à 2,8 millions de personnes payées au SMIC, cette mesure exigerait environ 41 milliards d’euros par an, une somme qui absorberait – il faut le dire – les allocations actuelles et les crédits d’impôt. Le coût serait donc égal ou inférieur à l’argent investi aujourd’hui dans la lutte contre le chômage.

Résoudre le fléau du chômage de masse tout en accélérant la transition écologique de la société : c’est ce que proposent Hémisphère Gauche et l’Institut Rousseau, deux jeunes laboratoires d’idées qui viennent de lancer leur campagne « Un emploi vert pour tous ».

Le CICE : un coût de 280 000 euros par emploi créé

« L’habitude du chômage nous fait parfois oublier à quel point il est une absurdité. » Ainsi commence l’étude que publient Hémisphère Gauche et l’Institut Rousseau. Ces deux jeunes laboratoires d’idées, rassemblant des bénévoles bien décidés à en découdre avec l’un des mythes fondateurs de notre époque, proposent d’instaurer une garantie à l’emploi vert inspirée de l’expérimentation Territoires zéro chômeur de longue durée.

Apparu dans les années 1970 après le choc pétrolier, le chômage de masse est aujourd’hui considéré comme une fatalité. Depuis 40 ans, son taux oscille entre 8 et 10 % de la population active française : au troisième trimestre 2020, il a par exemple atteint 9 %, soit 2,7 millions de personnes.

Ce sont les données de l’Insee, mais d’autres décomptes chiffrent à 3,8 millions le nombre de demandeurs d’emploi, auxquels s’ajoutent 2,2 millions de travailleurs en situation d’emploi précaire. 

Au sein de cette nébuleuse, les chômeurs de longue durée, c’est-à-dire tous ceux qui sont privés d’emploi depuis plus d’un an, représenteraient 1 à 3 millions de personnes, selon qu’on choisit les estimations de l’Insee ou de Pôle emploi.

« Ce sont autant de gens qui sont indemnisés à être malheureux chez eux alors qu’ils pourraient contribuer au bien commun, nous explique Alexandre Ouizille, porte-parole de la campagne Un emploi vert pour tous et président d’Hémisphère Gauche. Pour la société, le chômage a un coût social et économique très élevé. Les finances publiques sont mobilisées sans que la situation soit satisfaisante pour personne. »

En 2015, le mouvement ATD Quart Monde a estimé que l’État dépensait chaque année 15 000 euros environ pour chaque personne durablement privée d’emploi. Rapporté à l’ensemble du territoire, ce montant avoisinerait donc 36 milliards d’euros par an, mais il n’inclut pas tous les coûts indirects : prestations familiales sous conditions de ressources, réductions tarifaires, manque à gagner en impôt sur le revenu…

En outre, comment apprécier les dommages que l’inactivité et l’isolement causent aux personnes ou à la société ? L’âme humaine échappe aux statistiques…

En quatre décennies, aucun gouvernement n’est parvenu à éradiquer le chômage de masse. L’étude d’Hémisphère Gauche et de l’Institut Rousseau classe la tactique française en deux catégories : les politiques dites passives, qui consistent « à atténuer les effets du chômage » (indemnisation, accompagnement, retraite anticipée) et les politiques actives visant « à créer ou sauver des emplois » (allègements fiscaux, réduction du temps de travail, réformes législatives, etc.). 

Parmi ces dernières, la France a récemment mis en place le célèbre crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE), un avantage fiscal accordé aux entreprises afin de favoriser l’embauche de nouveaux salariés. À l’époque de son entrée en vigueur, patronat et gouvernement promettaient un million d’emplois supplémentaires en cinq ans.

Mais en fin de compte, le CICE n’a « permis de créer [que] de 100 000 à 160 000 emplois entre 2013 et 2017, pour un coût de 28 milliards d’euros en tout, soit environ 280 000 euros par emploi », indique l’étude, qui se réfère à France Stratégie.

Ce bilan décevant des politiques de l’offre contraste crûment avec le succès des contrats dits aidés, drastiquement réduits par le gouvernement d’Édouard Philippe en 2018, alors qu’ils finançaient plus de 400 000 emplois, pour quelque 3 milliards d’euros de dépenses publiques. Bref, des dogmes bien ancrés empêchent l’appareil étatique de résoudre la question du chômage.

Or, rappelle Alexandre Ouizille, « le droit d’obtenir un emploi est une promesse constitutionnelle. Il figure dans le préambule de la Constitution, dans le bloc de constitutionnalité, supérieur à toutes les autres règles de droit. Cela veut dire qu’il possède un potentiel inexploité. Mais il ne se traduit que comme un droit à ne pas être licencié. Désormais, il faut faire vivre cette promesse en donnant concrètement du travail à celles et ceux qui en sont privés. »

Selon Hémisphère Gauche et l’Institut Rousseau, la reconnaissance du droit fondamental d’obtenir un emploi pourrait renverser notre rapport au chômage de masse, nous conduire à ne plus l’accepter.

Un emploi vert pour tous : réussir la reconstruction écologique et sociale

Partant du constat que « personne n’est inemployable », que « de nombreux besoins de la société ne sont pas satisfaits » et que l’argent ne nous fait pas défaut (en témoigne le CICE), les deux laboratoires d’idées proposent de mettre en œuvre une politique de « garantie à l’emploi ».

Promue par de nombreux économistes, (tels que Aurore Lalucq, Dany Lang et Pavlina Tcherneva dans une tribune de novembre au Monde), cette politique prendrait la forme d’un financement direct de l’emploi par la puissance publique, en priorité à destination des personnes privées d’emploi depuis plus d’un an.

Il s’agirait de transformer les dépenses sociales du chômage en salaires. Appliquée à 2,8 millions de personnes payées au SMIC, cette mesure exigerait environ 41 milliards d’euros par an, une somme qui absorberait – il faut le dire – les allocations actuelles et les crédits d’impôt. Le coût serait donc égal ou inférieur à l’argent investi aujourd’hui dans la lutte contre le chômage.

Pour créer des emplois, l’État s’appuierait sur les écosystèmes locaux et notamment les collectivités, les employeurs publics et privés, les syndicats, Pôle emploi et les missions locales, sur tous « ces fins connaisseurs des territoires, comme le dit Alexandre Ouizille, qui sont capables d’identifier ensemble quels besoins ne sont pas satisfaits et composent un maillage disponible, compétent, volontaire. »

Mais la véritable originalité de la campagne Un emploi vert pour tous se situe dans le type d’emplois visés et dans la manière dont on pourrait les créer. Car une politique de garantie à l’emploi serait le meilleur moyen d’accélérer la transition écologique de la société.

Depuis 2017, la France mène une expérimentation baptisée « Territoires zéro chômeur longue durée » : dans dix micro-territoires comptant entre 5 000 et 10 000 habitants, l’État a pris en charge 100 à 200 chômeurs de longue durée en inversant la démarche habituelle. Au lieu de postuler à des offres spécifiques, les demandeurs se sont reposés sur des acteurs locaux, qui ont sondé leur territoire, mobilisé tout l’écosystème à la recherche de ses besoins non satisfaits.

« Et c’est une réussite ! se réjouit la président d’Hémisphère Gauche. Sur les dix petits bassins où s’est déroulée l’expérimentation, trois ont déjà atteint l’exhaustivité, c’est-à-dire qu’il n’y a plus de gens qui sont en situation de chômage depuis plus d’un an. »

Pour preuve, en décembre 2020, le dispositif a été étendu à 50 nouveaux micro-territoires. La campagne Un emploi vert pour tous propose quant à elle de le généraliser peu à peu, en multipliant les zones par 5 tous les deux ans.

Ainsi, les 6 700 « petits bassins » de l’Hexagone seraient couverts d’ici 2027 et 650 000 emplois créés. Le coût s’élèverait à 20 000 euros par personne et par an environ, dix fois moins que les 200 000 euros du CICE…

Grâce aux acteurs locaux, ces travailleurs pourraient être orientés vers des « métiers verts » que nécessite la transition écologique actuelle. Gardes forestiers, employés de la rénovation thermique des bâtiments, pépiniéristes, recycleurs, réparateurs, composteurs, agriculteurs, etc., les collectivités et les entreprises cherchant à se verdir ont besoin d’une masse salariale encore inexploitée.

C’est pourquoi, en sus de l’extension du dispositif « Territoires zéro chômeur de longue durée », l’étude suggère de financer 250 000 emplois verts sur le modèle des contrats aidés.

« Tous les spécialistes des questions environnementales nous disent que la contribution humaine dans certains secteurs va devoir augmenter de toute façon, commente Alexandre Ouizille. Les emplois verts encourageraient des acteurs de l’économie à basculer dans la reconstruction écologiqueCe qu’on voyait avant comme un effet d’aubaine devient une incitation à la transition. » 

En ciblant les métiers nécessaires à la reconstruction écologique et au renforcement des liens sociaux, la garantie à l’emploi ferait dès lors d’une pierre deux coups. L’argent investi par l’État servirait le bien commun et ruissellerait dans l’économie réelle, au lieu de nourrir les appétits toujours plus grands de certaines entreprises, qui captent systématiquement les deniers publics. Mais peut-être qu’avec le « plein emploi vert », une certaine armée de réserve viendrait alors à manquer ?

Pour accéder à la proposition ou signer la pétition  : www.emploivertpourtous.fr

Augustin Langlade

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