Initié par la Société pour la protection des réseaux souterrains (SPUN), un projet de grande ampleur est en cours : la cartographie du monde fongique. Aussi communément appelé le réseau mycorhizien, il est bien qu’invisible, extrêmement vaste et absolument essentiel pour la survie de nombreuses espèces animales et végétales. Les scientifiques à l’origine du projet veulent mieux protéger ce réseau, qui sert à la fois de puits de carbone et réserve de nutriments.
Un réseau équivalent à la moitié de la galaxie
Cette cartographie s’échelonnera au niveau mondial. L’équipe internationale se donne ainsi dix-huit mois pour récolter 10 000 nouveaux échantillons dans différentes parties du globe, afin de mieux protéger ce monde encore peu connu.
François Martin, chercheur en microbiologie à l’INRA de Nancy, explique pour FranceInter que le grand monde fongique : « (…) englobe l’ensemble des filaments microscopiques qui tissent un réseau, un maillage extrêmement fin, sous les feuilles, sous la litière, et qui recouvrent tout le sol des écosystèmes, qu’il s’agisse des prairies, des forêts, et même des agrosystèmes. »
Les sols abritent 25% de toutes les espèces terrestres. Le but de cette cartographie est d’introduire un changement dans la façon dont est pensée la conservation de la nature, afin que les organismes protégés ne soient pas que ceux de surface, mais inclue aussi les organismes souterrains, qui nous sont invisibles.
Selon la biologiste évolutionniste Toby Kiers, l’une des deux scientifiques à l’origine de cette cartographie fongique, si l’on passe outre le réseau mycorhizien dans notre considération de la biodiversité, 50 % des écosystèmes les plus variés sur terre sont ignorés.
La biologiste donne des échelles de comparaison. Dans une seule poignée de terre se trouve 100 kilomètres de réseau fongique. De la même façon, les deux premiers centimètres d’un hectare de prairie regrouperaient l’équivalent de douze millions de fleuves Amazone, le plus long de la terre, avec ses 7025 km.
Dans le monde entier, la longueur totale du mycélium fongique dans les dix premiers centimètres du sol est de plus de 450 quadrillions de kilomètres : environ la moitié de la largeur de notre galaxie, un chiffre vertigineux.
Cet écosystème inexploré est donc très vaste, mais également très complexe. Il propose en concordance avec sa taille une grande diversité : des champignons décomposeurs, des champignons symbiotiques… Plus le réseau est dense, plus les types de partenaires qui le construisent sont nombreux, et plus grand le nombre de plantes qui peuvent s’y développer.
Un rôle écologique inestimable
Cette grande diversité fonctionne en symbiose avec de nombreux écosystèmes, tels que les forêts vierges. D’après Toby Kiers, une terre déforestée peut perdre jusqu’à 95 % de son réseau fongique.
Les mycorhizes sont présents sur 90 à 95 % des espèces végétales, produisant des échanges riches dont les champignons tirent également des bénéfices, en recevant notamment des sucres, tandis qu’ils prodiguent à la plante des minéraux essentiels.
Cette étude permettra ainsi de mieux comprendre l’échange des éléments nutritifs entre les différentes composantes de la forêt, des prairies ou des écosystèmes naturels, et de ce fait d’observer si des écosystèmes sont en danger.
Au-delà des nutriments, le réseau fongique a un rôle de séquestration du carbone crucial. Les écosystèmes souterrains des hautes latitudes contiennent 13 fois plus de carbone que les forêts tropicales.
À l’échelle mondiale, environ 75 % du carbone terrestre se trouve dans le sol. C’est trois fois plus que la quantité stockée dans les plantes et les animaux vivants. Les réseaux fongiques constituent ainsi jusqu’à 50% de la biomasse vivante des sols.
L’agriculture intensive et l’usage intensif de pesticides, la déforestation, et l’urbanisation menacent aujourd’hui les liens de ces écosystèmes invisibles. Ils disparaissent à des taux alarmants, et cette destruction peut accélérer le changement climatique puisqu’elle sert de nutriments pour une grande partie de la biodiversité.
A cause des activités humaines, les estimations actuelles prévoient que plus de 90 % des sols de la Terre seront gravement détériorés d’ici 2050. Protéger le sous-sol des ravages de l’agriculture industrielle pourrait éviter le rejet de 41 milliards de tonnes de CO2 provenant des stocks du sol au cours des 30 prochaines années, soit 8 fois les émissions annuelles de CO2 des États-Unis.
La cartographie du réseau fongique mondial n’est donc pas seulement un apport essentiel à la connaissance des écosystèmes terrestres, mais surtout un outil crucial pour mieux aider à sa conservation face au rôle inestimable qu’il joue dans l’équilibre de la planète.