Série documentaire de sept épisodes, « Les Petites Gouttes » présentent des personnes ayant choisi d’expérimenter le travail autrement. Chacun à leur façon, ils et elles questionnent leur rapport au temps, à une activité professionnelle, et à l’argent. A la recherche de réponses, la réalisatrice Pauline Antipot nous dévoile avec délicatesse l’intimité de leur cheminement personnel.
Adapter son travail à son mode de vie
Cadre dynamique parisienne soumise à un rythme de travail frénétique, Pauline Antipot quitte tout après six ans pour faire le tour de l’Atlantique en voile. A son retour en France, elle se demande comment concilier ses besoins avec une activité professionnelle qui ne soit pas synonyme de souffrance psychique. Elle lance alors un appel à témoignages et part à la rencontre de ceux ayant adapté leur travail à leur mode de vie, et non l’inverse.
Le monde du travail est un vaste sujet, et les individus qui le composent ont tous des parcours et des profils différents. Lors de l’écriture du projet, Pauline Antipot et son producteur Etienne Milliès-Lacroix ont donc choisi de se concentrer sur ses semblables : ces diplômés trentenaires qui ont décidé de vivre le travail autrement.
« Face au projet, certaines personnes m’ont dit : « vous êtes une génération de privilégiés, vous n’en avez pas marre de faire des caprices ? » Parmi les gens qui m’ont raconté leurs expériences, certains ont fait des tentatives de suicide. Ce n’est pas parce que la personne n’est pas exploitée dans une mine ou en train de souffrir physiquement qu’il faut ignorer la souffrance psychique au travail. J’ai conscience d’être chanceuse d’avoir pu faire des études. C’est justement parce que certains n’ont pas eu cette opportunité, ou qu’ils connaissent des conditions de vie plus dures, qu’il faut se poser les bonnes questions et inventer de nouvelles façons de travailler qui laissent la place à tous. » Pauline Antipot, réalisatrice

Au total, Pauline Antipot a discuté avec soixante personnes au téléphone pour en sélectionner six selon leur histoire et la fluidité de leur échange. Avec son camion TiRuilh, elle a passé une semaine chez chacune de ces petites gouttes pour mieux s’imprégner de leur quotidien.
Faire un pas de côté
Les Petites Gouttes, ce sont Luc, Amandine, Grégor, Axelle, Vincent, Adèle, Alex et Yann : huit choix de vie sur la façon dont ils veulent occuper leur temps. Qu’ils soient artistes, agriculteur en devenir, patrons, travailleurs indépendants ou salariés, chacun a exploré, interrogé puis créé pour trouver leur équilibre.

Chacun a trouvé ses réponses en fonction de qui il est. Leurs chemins sont parfois radicalement opposés. Ainsi, Amandine a décidé de vivre de sa passion et de se lancer comme artisane céramiste. A l’inverse, Adèle s’est salariée sur un poste fixe à mi-temps en plus de son activité indépendante d’éditrice pour avoir plus de sécurité et de vrais horaires de travail séparés de sa vie personnelle.
« Une des raisons pour lesquelles j’ai voulu faire cette série, c’est mon vécu. Pendant mon travail, je me suis sentie assez isolée et seule dans cette souffrance. Quand j’ai commencé à libérer la parole, j’ai réalisé que nous sommes plein à avoir vécu les mêmes choses. Avec cette série, je veux propager un point de vue, une idée sur cette société en transition. Plus nous échangerons, mieux nous inventerons ensemble de nouvelles façon de travailler. » Pauline Antipot

Pauline Antipot a nourri sa réflexion de travaux de chercheurs sur le travail. Parmi eux, la sociologue Danièle Linhart l’a particulièrement marquée avec son livre « La Comédie humaine du travail. De la déshumanisation taylorienne à la sur-humanisation managériale ».
Pauline Antipot l’a interviewée, ce qui lui a donné des clés de compréhension sur la façon dont l’organisation du travail peut créer de la souffrance. Cette rencontre lui a permis de structurer sa pensée, en essayant de ne tomber ni dans le pathos, ni dans « l’analyse de comptoir ». Egalement, le livre « Des dominants très dominés » de Gaëtan Flocco lui a permis de poser un regard plus critique sur le statut de « cadre » au sein d’une entreprise, et du système dans lequel les personnes ayant ce statut évoluent.
« Au fur et à mesure du récit, je suis passée du « je » au « nous ». Il nous appartient à tous de remettre en cause cette emprise philosophique du travaillisme, de se réapproprier le vocabulaire et de raconter notre version des faits pour faire circuler de bonnes idées. Enormément de choses se font, il faut juste que l’on arrive à se parler pour découvrir que nous sommes des millions. » Pauline Antipot