En ces temps de crise sanitaire et économique, le pouvoir exécutif a exhorté les grands groupes français à être « modérés » dans le versement des dividendes à leurs actionnaires, afin de ne pas solliciter des subventions publiques pour les maintenir à flot. Total, avec 1,8 milliards d’euros donnés à ses actionnaires, fait partie des entreprises qui ont tout de même décidé de verser les fameux dividendes.
Total, la générosité affichée, le dividende caché
L’alerte a été lancée par le journal « Les Jours » : mercredi 1er avril, le groupe pétrolier Total a maintenu le paiement du troisième acompte(sur les quatre nécessaires au versement total des dividendes) à ses 450 000 actionnaires, « principalement des fonds de pension situés hors de France. »
« Sachant qu’au 25 mars 2020, il y avait 2 601 881 075 actions Total cotées sur les marchés, le versement d’un dividende de 0,68 euro par action aboutit à une distribution totale de 1 769 279 131 euros, qu’on a arrondi à 1,8 milliard. » détaille ainsi le média sur son site pour expliquer la façon dont il a calculé cette somme
Le montant de 0,68€ par action représente une hausse de 6% par rapport à celui de 2018. Couplé au maintien du versement des dividendes, l’effet s’est tout de suite fait ressentir sur les marchés boursiers puisque l’action de Total a augmenté de 6,34 % dès le lundi, pour terminer la séance en hausse de 5,42 %, à 35,39 euros le mardi.
Si le groupe s’est auto-félicité dans un communiqué de sa grande largesse pour les 50 millions d’euros de bons d’essence pour le personnel soignant, le versement des dividendes a lui été beaucoup plus discret. Les Jours a eu vent de l’affaire en se rendant sur les forums boursiers, et rappelle que cet « effort solidaire » plafonné représente seulement 2,8% de la somme versée à ses actionnaires.
L’indécence des dividendes en période de collecte nationale solidaire
Nous vous en parlions samedi dernier, les dividendes records de 2019, 60 milliards pour les entreprises du CAC 40, n’ont pas encore toutes été versées aux actionnaires. Vu les circonstances économiques actuelles, il serait de bon goût de les annuler purement et simplement pour imposer à ces multinationales de payer elles-mêmes les coûts de leur réduction d’activité, et ouvrir la possibilité de reprendre le dessus sur ce pouvoir financier qui nous échappe.
Total n’a pas communiqué directement sur le montant des dividendes versés aux actionnaires mais a, le jour-même, précisé que :
« le Groupe Total ne sollicitera pas le soutien de l’Etat pour faire face aux difficultés économiques créées par le Covid-19 que ce soit sous forme de soutien de trésorerie (prêts bancaires garantis, report de paiement des charges sociales ou fiscales) ou de recours au dispositif exceptionnel de chômage partiel. »
En effet, il devient de plus en plus difficile pour des multinationales d’assumer le versement de telles sommes colossales alors que Gérald Darmanin, le ministre de l’Action et des Comptes Publics, a lancé une plateforme de dons en appelant à la « solidarité nationale ».
L’opposition au gouvernement s’est ouvertement moqué de cette initiative en rappelant qu’une telle mesure de solidarité existait déjà : l’impôt. Ils ont notamment souligné qu’il serait plus sensé de rétablir l’ISF plutôt que solliciter des particuliers mis eux-mêmes en précarité par le confinement.
On le rappelle, les entreprises françaises sont celles qui versent le plus de dividendes aux actionnaires parmi toute l’Europe ! Il y a donc beaucoup d’argent en France, 60 milliards, qui pourrait être alloué par ces entreprises à contribuer à la « solidarité nationale ». Qui plus est,comment justifier de ne rémunérer que 84% du salaire net aux salariés en chômage partiel, quand le reste est pris en charge par l’État, tout en rémunérant à grands coups de milliards les actionnaires ?
Ces entreprises qui versent des dividendes en période de collecte financière solidaire
Face à l’indignation populaire, ou principalement pour garder une trésorerie en vue de la récession qui s’annonce, de nombreuses entreprises ont déclaré qu’elles ne verseraient pas leurs dividendes cette année. Parmi elles : Société Générale, Airbus, Safran, Natixis, JC Decaux, Eiffage, Tarkett, Altran, TF1, Elis, CNP Assurances, Casino, ADP, Orange, M6.
En revanche, d’autres entreprises ont décidé de verser leurs dividendes malgré tout : en le baissant, en le maintenant au niveau prévu, ou carrément en l’augmentant ! C’est une stratégie suivie par les entreprises soucieuses de sécuriser leurs actionnaires alors qu’elles sont au plus mal. C’est le cas de Total, qui fait face à la déplétion du pétrole avec un baril à 20$ soit son plus bas niveau depuis 2002, mais aussi de Publicis, grand nom de la publicité et l’événementiel qui voit tous ses contrats annulés.
Ceux qui l’augmentent : Pernod Ricard, Kering, Edenred, Saint Gobain, Scor, Rémy Cointreau, Nexity, Amundi, Atos, Air Liquide
Ceux qui le baissent : Hermès, Lagardère, Plastic Omnium, Gecina, Danone, Alstom, Engie EDF, BIC, Bolloré, Veolia, Michelin
Ceux qui le laissent inchangé : Total, L’Oréal, Publicis, STMicro
Pour un collectif d’ONG, la faute en revient à l’exécutif qui n’impose aucune mesure contraignante et permet aux entreprises de bénéficier de certaines mesures d’urgence, notamment le dispositif renforcé de chômage partiel, tout en continuant de verser des dividendes à leurs actionnaires.
« Dans le contexte de crise actuelle, les entreprises doivent dédier l’ensemble de leurs moyens à assurer une protection et une rémunération aux salariés, aux fournisseurs et investir dans un modèle plus résilient. Si Bruno Le Maire veut réellement accélérer la transformation de notre système économique pour le rendre « plus soucieux des inégalités et de l’environnement », des mesures de rupture sont indispensables. » expliquent-elles
Aujourd’hui encore plus qu’hier et moins que demain, vu les conséquences qu’aura le confinement sur les plus petites entreprises, il faut enclencher une législation contraignante et efficace sur un meilleur partage des richesses au sein de la société. L’encadrement des dividendes en fait définitivement partie.